A quelques jours du verdict de la Haute Cour prévue pour le 27 août 2025, l’avocat et chercheur en Droit, Me Patrick Bamba, pense que dans l’affaire pendante devant la Cour de cassation opposant le Ministère public à l’ancien Ministre de la Justice et Garde des Sceaux, Constant Mutamba, la question n’est pas seulement celle d’une culpabilité ou d’une innocence individuelle, mais bien plus, d’un test majeur pour l’effectivité de l’Etat de droit en République Démocratique du Congo.
Le droit pénal congolais, fidèle aux principes universels, subordonne toute condamnation à l’établissement clair et irréfutable de trois éléments : un acte matériel de soustraction frauduleuse, un élément intentionnel de volonté d’appropriation, et un préjudice effectif pour le Trésor public. Or, en l’état du dossier, aucun de ces éléments ne se trouve réuni. Les 19 millions de dollars américains querellés demeurent intégralement traçables dans les circuits bancaires officiels, ce qui exclut l’idée même d’un enrichissement illicite ou d’une disparition de fonds. Plus encore, l’opération incriminée apparaît relevée de la sphère des erreurs de gestion administrative et technique dans la passation des marchés publics, lesquelles, aussi regrettables soient-elles, ne sauraient être criminalisées en détournement de deniers publics. Assimiler des irrégularités procédurales ou des failles de gouvernance à un détournement revient à dénaturer l’infraction elle-même, en confondant maladresse administrative et faute pénale, alors que le droit pénal exige l’existence d’un dol spécial, c’est-à-dire, une volonté délibérée de se soustraire aux règles pour s’approprier frauduleusement un bien public.
Cette distinction est fondamentale : l’erreur de gestion, fût-elle grave, appelle des sanctions administratives ou disciplinaires, voire politiques, mais elle ne constitue pas un crime de détournement. La jurisprudence comme la doctrine pénaliste enseignent que le juge ne saurait substituer au silence des preuves la force de présomptions subjectives, sous peine de violer le principe de la légalité criminelle et celui de l’interprétation stricte de la loi pénale.
Dès lors, si la responsabilité pénale de Monsieur Mutamba ne peut être valablement établie, toute condamnation éventuelle ne relèverait plus du domaine du droit mais de celui de l’instrumentalisation politique de la justice. L’immixtion du politique dans la judiciaire, perceptible à travers la médiatisation sélective et la pression de certains discours partisans, constitue une menace directe pour l’indépendance du pouvoir judiciaire. Céder à cette logique reviendrait à consacrer la justice comme bras séculier de luttes de pouvoir, au détriment de son rôle de gardienne impartiale de la légalité.
À l’inverse, un acquittement fondé sur la rigueur du droit et sur la reconnaissance de la nature non pénale des faits reprochés consacrerait la primauté de la règle de droit sur les interférences politiques. Ce serait l’occasion pour la Cour de démontrer son indépendance, de renforcer la confiance des citoyens dans l’institution judiciaire et de prouver que la justice congolaise n’est pas une simple chambre d’écho des passions politiques.
En définitive, l’affaire Mutamba est bien plus qu’un litige pénal : elle est une épreuve de vérité pour la RDC. Une condamnation sans preuves irréfragables ouvrirait la voie à la politisation systématique des procédures judiciaires et retarderait dangereusement la construction d’un État de droit effectif. En revanche, l’acquittement, seul conforme aux exigences du droit pénal congolais, enverrait au peuple et au monde le signal que la justice congolaise peut, en toute indépendance, résister aux pressions et consacrer la victoire du droit sur l’arbitraire. C’est de ce choix que dépend, en grande partie, l’émergence d’une justice véritablement souveraine et d’une démocratie congolaise moderne.
JMK