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Deux Congo, une histoire !(Par Thomas Luhaka Losendjola)

Par La Prospérité
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Savorgnan de Brazza et Makoko Iloo 1er
Les trois royaumes
Pour certains historiens, le Royaume Teke (ou Royaume Tio ou Anziku) est aussi vieux que les royaumes voisins du Kongo et du Loango. Ces trois organisations africaines pré-coloniales seraient apparues vers les 13e-14e siècles. Le plus connu et le plus évolué de tous est évidemment le royaume Kongo. Néanmoins, nous allons aujourd’hui jeter un pan de lumière sur un épisode de l’histoire du royaume Teke qui a eu un impact certain sur le devenir de la RDC et du Congo-Brazzaville.
La proposition du jeune Pierre Savorgnan de Brazza 
Cette histoire commence au mois d’août 1880 à Mbe, capitale du Royaume Teke. Mbe est à 143 Km au nord de l’actuelle ville de Brazzaville. Le royaume Teke est très vaste. Il va du sud du Gabon, occupe une partie de l’Est du Congo-Brazzaville et une partie de la RDC.
En 1880, le Makoko (déformation de Ma-Onko), c’est-à-dire le roi, s’appelle Iloo 1er. Et ce jour-là, Iloo 1er est très préoccupé. Ça fait plusieurs jours qu’il réfléchit à une proposition qu’un jeune blanc de 28 ans lui a soumise. Ce jeune « mundele » s’appelle Pierre Savorgnan de Brazza ; il est français d’origine italienne. En quoi consiste exactement cette proposition ? Il s’agit de mettre le royaume Teke sous la « protection » de la France. Ce qui signifie concrètement, perdre son indépendance. En même temps, le royaume fait déjà face à trois menaces d’invasion. Celles des Bakongo, des Bangala, des Banunu.
Les guerres contre les Bakongo 
Le Makoko se trouve devant un vrai dilemme. Depuis le 17e siècle, le royaume Teke a eu à s’affronter militairement et à plusieurs reprises avec l’armée du puissant voisin du sud, le royaume Kongo. A trois reprises, les guerriers Teke ont même réussi à tuer 3 Mani-Kongo (les rois bakongo) sur le champ des batailles. Parce que dans la tradition Kongo, le roi allait à la guerre avec ses troupes.
Maintenant que ce royaume Kongo est très affaibli par ses divisions internes, deux groupes d’immigrés Kongo envahissent le royaume Teke par vagues successives. Ce sont les Nsundi et les Lari. Cela se passe au sud du royaume Teke.
Le nord du royaume est déjà occupé par des populations en provenance de la région du lac Tumba, dans l’actuelle province de l’Equateur en RDC ; il s’agit des Mbochi. Ils ont repoussé les frontières du royaume Teke vers le sud. 
Les banunu bobangi veulent s’installer
La troisième menace d’invasion vient du fleuve Congo. Depuis des décennies, les autorités Teke autorisent que les navigateurs et commerçants Banunu Bobangi, originaires du nord, viennent commercer au niveau du Pool Malebo dans le royaume Teke. Mais depuis quelques temps, ces commerçants étrangers commencent à construire de villages permanents.
En réaction, les autorités Teke lancent des opérations de démolition de ces « constructions anarchiques » des banunu. Ce qui amène à des affrontements réguliers entre les deux communautés.
Le dilemme politique de Makoko
Le dilemme politique devant lequel se trouve le Makoko est de choisir entre préserver l’intégrité territoriale de son royaume contre les invasions extérieures (Bakongo au sud, Mbochi au nord, Banunu sur le fleuve) ou de sauvegarder l’indépendance de son royaume.
Dans ses calculs, le Makoko se dit qu’en acceptant la proposition de Savorgnan de Brazza, la puissance militaire et diplomatique de la France va lui permettre de préserver l’intégrité territoriale de son royaume. L’inconvénient est qu’il perdra son indépendance en devenant vassal de la France.
Makoko signe le traité d’amitié avec Savorgnan de Brazza
Après ces longues journées de réflexion, le Makoko Iloo 1er lève une option : il va signer le traité d’amitié que lui propose Savorgnan de Brazza. C’est ainsi que le 10 septembre 1880 est signé à Nkuna le traité d’amitié entre le Makoko Iloo 1er pour le compte du royaume Teke et Pierre Savorgnan de Brazza pour le compte de la France. La chambre des députés français va ratifier ce traité le 18 septembre 1882.  Par ce traité, Savorgnan de Brazza obtient aussi le droit de créer un poste au bord du Pool Malebo, dans le village Teke de Mfoua. Ce petit poste deviendra la grande ville de Brazzaville.
Les croyances spirituelles Teke
Selon les croyances ancestrales Teke, chaque autorité territoriale (chef de chefferie, roi) est assistée, dans la gestion de son entité, par un esprit de la nature qu’ils appellent « Nkira », chaque chefferie a donc son Nkira qui avait pour fonction de : Veiller au bien-être de tous les habitants de la chefferie ; Guider le chef dans les solutions à donner aux conflits ; Combattre les mauvais esprits ; Donner la fertilité.
Le Nkira de Makoko contre les esprits du fleuve
Le roi (Makoko) quant à lui était assisté par le Nkira supérieur qui veillait sur tout le royaume Teke. Ce Nkira s’appelait « Nkwe Mbali ». Mais dans ses relations avec le monde des esprits, le Makoko était soumis à un tabou. Il lui était formellement interdit de s’approcher du Fleuve Congo, mais surtout des chutes des Kinsuka au sud du Pool Malebo.
Ce site était supposé être le fief des grands esprits maléfiques qui pouvaient porter atteinte à la puissance de Makoko ou même à sa vie. C’est la raison pour laquelle le Makoko ne venait jamais au Pool Malebo.
Ngaliema Insi « Mukoko »


Pour des raisons administratives, le Makoko Iloo 1er va nommer son proche parent (frère, demi-frère ou cousin ?) Ngaliema Insi comme son représentant personnel sur la rive gauche du Pool Malebo. Ngaliema était aussi appelé « Mukoko », qui signifie « Prince » en Kiteke.
Après la signature du traité d’amitié avec Savorgnan de Brazza, le Makoko charge Ngaliema de présenter l’explorateur français auprès des Chefs Teke du Pool (lui-même ne pouvant pas s’approcher du fleuve) et de confirmer l’accord signé avec lui. Ngaliema exécutera à la lettre la mission de son roi.
Ngaliema se rebelle contre Makoko
Mais une année après la signature du traité d’amitié entre Makoko et Savorgnan, Ngaliema Insi va, le 24 décembre 1881, signer, à la surprise générale, un nouveau traité d’amitié avec un autre explorateur européen d’origine anglaise Henri Morton Stanley, qui travaille pour le compte du roi des Belges Léopold II. Après la signature, les deux nouveaux partenaires, Ngaliema et Stanley, vont jusqu’à signer un pacte de sang en se faisant des petites incisions aux avant-bras et en mélangeant leurs sangs.
Par ce traité, Ngaliema autorise Stanley à créer des postes sur la rive gauche du fleuve Congo. C’est ainsi que Stanley va créer en 1881 le poste de Kintambo (Ki-Ntambo veut dire chez Ntambo en kiteke), qu’il va dénommer Léopoldville et le poste de Kintsasa (Ki-Ntsasa signifie chez Ntsasa. Ce nom sera francisé en Kinshasa) vers l’actuel Beach Ngobila.
Deux traités en contradiction
Le traité Ngaliema–Stanley du 24 décembre 1881, qui cède la rive gauche du Pool Malebo (qui pourtant fait partie du royaume Teke) à Léopold II, entre en contradiction avec le traité Makoko-Savorgnan du 10 septembre 1880, qui avait mis tout le royaume Teke, y compris la rive gauche du Pool Malebo, sous la protection de la France.
Les français considèrent que Ngaliema, qui n’est que le représentant de Makoko, n’a aucun pouvoir qui lui permet de soustraire une partie du royaume Teke et la céder à une tierce personne. C’est de la rébellion caractérisée.
Comment régler ce contentieux 
Pour Stanley, Ngaliema est l’autorité légitime qu’il a trouvée sur place ; sa signature est donc valable. C’est le nœud du conflit entre Stanley et Savorgnan. Pour éviter que ce conflit ne puisse dégénérer en affrontement armé sur le terrain et prenant en compte d’autres conflits en cours entre puissances européennes en Afrique (La France et l’Angleterre se dispute l’Egypte, la France et l’Italie pour la Tunisie, le Portugal et l’Angleterre qui monopolise l’embouchure du fleuve congo…), les occidentaux vont décider de convoquer une grande conférence diplomatique pour régler toutes ces divergences : c’est la fameuse conférence de Berlin de 1884-1885.
La France cède la rive gauche du Pool Malebo
A la fin de cette conférence, la France va s’incliner et reconnaître la souveraineté du futur Etat Indépendant du Congo (EIC) sur toute la région du royaume Teke qui se trouve sur la rive gauche du fleuve Congo.
Pourquoi la France cède-t–elle si facilement ? Léopold II, à travers un accord signé par l’Association Internationale du Congo, qui deviendra l’EIC, a accordé intelligemment à la France un droit de préemption sur le Congo (EIC) en 1884. Il est stipulé dans cet accord secret que si Léopold II n’arrive pas à mettre en valeur son Congo, il le cèdera à la France.
Ngaliema, rebelle ou héros ?
Pour certains intellectuels Teke, Ngaliema, par sa rébellion vis-à-vis du Makoko, a facilité la balkanisation du royaume Teke. Alors que pour la majorité des congolais de la RDC, Ngaliema est un grand homme qui a permis à l’Etat congolais d’acquérir ce vaste territoire de Kinshasa qui est depuis 100 ans (1er juillet 1923-1er juillet 2023) la capitale de la RDC. 
En reconnaissance à Ngaliema, l’Etat congolais a donné son nom à l’une des grandes communes de la ville de Kinshasa : la commune de Ngaliema. La résidence officielle du président de la RDC est sur le mont Ngaliema. Et l’un des grands hôpitaux de Kinshasa s’appelle Clinique Ngaliema. 
On comprend mieux maintenant la proximité culturelle et géographique de Brazzaville et de Kinshasa, qui sont les deux capitales les plus rapprochés au monde. Au départ, c’étaient deux localités du Royaume Teke du « Ngatsie ». Ce surnom de Makoko veut dire simplement le propriétaire terrien en kiteke. 
*Vos observations, corrections et critiques sont les bienvenues

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