Alors que l’Angola tente de relancer sa médiation, la RDC et le Rwanda ne s’entendent pas sur le format d’un dialogue entre le M23 et les autorités congolaises. Les négociations pilotées par l’ex-président kényan Uhuru Kenyatta, et reléguées ces derniers mois au second plan, pourraient-elles permettre une sortie de crise ?
Félix Tshisekedi et Paul Kagame ne se sont pas vus le 15 décembre à Luanda, mais leurs ministres des Affaires étrangères ont largement assuré le service après-vente de ce rendez-vous manqué. Pendant plusieurs jours, ils ont multiplié les interviews et les communiqués pour se renvoyer la responsabilité de l’échec des négociations.
Nairobi, la médiation de la dernière chance ?
La ministre congolaise des Affaires étrangères, Thérèse Kayikwamba Wagner, a reproché au Rwanda d’avoir voulu imposer un « dialogue direct » entre Kinshasa et les rebelles du M23 comme « condition de dernière minute » à la signature d’un accord de paix. Selon lui, elle aurait, lors de leur rencontre le 14 décembre, catégoriquement refusé la simple présence du mot « dialogue », et ce « alors que la RDC avait donné son accord au facilitateur pour (qu’un dialogue] ait lieu dans le cadre du processus de Nairobi ». L’annulation de la rencontre entre les deux présidents a confirmé l’impasse dans laquelle se trouve le processus piloté par l’Angola. Malgré tout, João Lourenço tente encore de trouver une issue. Celle-ci se trouvera-t-elle au Kenya ? Lancé en mai 2022, le processus de Nairobi est aujourd’hui présenté, à Kigali comme à Kinshasa, comme l’outil adéquat pour résoudre la question du M23.
Au point mort depuis plusieurs mois, cette médiation est dirigée par l’ex-président kényan, Uhuru Kenyatta. Elle comportait au départ deux volets : l’un prévoyait un dialogue avec différents groupes armés pour obtenir leur démobilisation ; l’autre encadrait le déploiement, dans l’est de la RDC, d’une force régionale de la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC). Problème : la table ronde avec les groupes armés, dont le M23 avait rapidement été exclu, a très vite périclité tandis que la force régionale, déployée en novembre 2022, a fini par être poussée vers la sortie moins d’un an plus tard, accusée par Félix Tshisekedi d’être « complice » des rebelles soutenus par Kigali.
Depuis, le processus de Nairobi avait été relégué au second plan, au profit de la médiation pilotée par João Lourenço. Mais ces dernières semaines, de discrètes initiatives poussaient pour sa résurrection, notamment après la validation d’un concept d’opération. Signé par les différentes parties le 25 novembre, celui-ci prévoit la neutralisation des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR)-groupe armé fondé par d’anciens génocidaires rwandais qui combat aux côtés de l’armée congolaise –, mais aussi le désengagement des troupes rwandaises.
Diminuer l’influence du M23
La question du M23 étant devenue le dernier point de contentieux à régler avant la signature d’un projet d’accord de paix, des négociations ont été lancées en coulisse entre la RDC, le Rwanda et l’Angola. Le 27 novembre, dans un courrier du ministre rwandais des Affaires étrangères, consulté par Jeune Afrique, Kigali a proposé que l’accord de paix stipule que « le gouvernement de la RDC s’engage à un dialogue politique direct avec le M23 dans le but de trouver une solution définitive au conflit, en s’attaquant à ses causes profondes ». Le lendemain, l’Angola a formulé une contre-proposition, en suggérant que la RDC et le Rwanda s’accordent pour que la question du M23 « soit traitée dans le cadre du processus de Nairobi ».
Une proposition à nouveau révisée, cette fois par la partie congolaise, qui a toujours considéré qu’un dialogue avec le M23 constituait une « ligne rouge ». Le 9 décembre, dans un courrier signé par Thérèse Kayikwamba Wagner, dont Jeune Afrique a également pu prendre connaissance, la RDC a accepté de renvoyer la question du M23 au processus de Nairobi. Mais Kinshasa a proposé d’amender la formulation pour spécifier, dans le projet d’accord de paix, que « tous les groupes armés locaux actifs en RDC participeront sans condition au processus de Nairobi » et que « tous les groupes armés étrangers devront désarmer et retourner immédiatement et sans condition dans leur pays d’origine, sous peine d’être considérés comme des forces négatives.
Si la RDC et le Rwanda s’accordent donc à faire du processus de Nairobi un cadre de discussion pour le M23, leurs visions d’un dialogue demeurent diamétralement opposées. Déterminé à ne pas négocier en tête-à-tête avec le M23, Kinshasa veut élargir au maximum le processus afin de réduire l’influence et les éventuelles revendications des rebelles. Sur France 24, Thérèse Kayikwamba Wagner a d’ailleurs rappelé qu’il était important que « tous les groupes armés participent pour partir sur un pied d’égalité et ne pas créer de précédent ».
« Je ne discuterai jamais avec eux »
Et quid des autres groupes qui pourraient prendre part à un tel dialogue ? Certains mouvements éligibles font aujourd’hui partie des groupes armés Wazalendo, actifs aux côtés de l’armée congolaise face au M23. Difficile d’imaginer qu’ils rejoignent un dialogue auquel prendraient part les combattants du M23.
« Nous restons ouverts à toute forme d’échange avec le facilitateur Uhuru Kenyatta, mais il est inenvisageable pour nous de rejoindre le même processus que les forces qui combattent pour Kinshasa », confie également, sous le couvert de l’anonymat, l’un des cadres du M23. Une position sur laquelle Kigali semble aligné. « Le dialogue avec le M23, même dans le cadre du processus de Nairobi, doit être individualisé. Il ne doit pas être mélangé au dialogue avec les autres groupes armés, presque tous alliés à Kinshasa », estime une source officielle rwandaise.
Sur le terrain, les rebelles continuent de faire pression sur les autorités congolaises. Depuis l’annulation de la réunion du 15 décembre, ils ont continué leur progression dans le territoire de Lubero, dans le nord de la province du Nord-Kivu. Une avancée que Félix Tshisekedi espère enrayer avec le vaste remaniement de l’armée auquel il a procédé, le 19 décembre. Le 21 décembre, face aux élus de sa majorité, le chef de l’État a une nouvelle fois adressé une fin de non-recevoir au M23. « Ils peuvent même arriver jusqu’à la porte de Kinshasa ou de la Cité de l’OUA (la présidence congolaise), je ne discuterai jamais avec eux.

(Tiré de Jeune Afrique)