(Par Jean-Marie Mutamba Makombo, Professeur émérite / Université de Kinshasa)
Ecce Homo. Me Robert Bourgi, 79 ans, avocat d’affaires, binational franco-libanais. Né à Dakar, il est issu d’une famille de commerçants cossus installée au Sénégal depuis 1918. En septembre dernier, il vient de publier ses mémoires à Paris aux éditions Max Milo sous le titre : « Ils savent que je sais tout. Ma vie en Françafrique ». C’est un livre de 510 pages, format 16 x 24 cm, qui comprend 45 pages de photos, 150 pages d’annexes et documents.
Pour la promotion du livre, l’auteur est passé sur plusieurs chaînes de télévision et de radio. Les interviews sont virales, et ont marqué les auditeurs : le président Nicolas Sarkozy avait juré de « vitrifier » Laurent Gbagbo qui avait remporté les élections présidentielles en Côte d’Ivoire en 2010, et ne voulait pas céder le pouvoir à son ami Alassane Ouattara ; et au Gabon, c’est Jean Ping qui était le vainqueur en 2016 et non Ali Bongo.
Pour les lecteurs de LA PROSPERITE, nous avons fixé le zoom sur les chapitres 12 et 14 qui parlent de Mobutu et du Zaïre. Me Bourgi a connu Mobutu au début des années 1990 grâce aux bons offices d’un homme d’affaires camerounais qui l’a présenté à la fille du Maréchal Ngawali Mobutu.
Ces années 1990 sont les plus difficiles pour le pouvoir autocratique de Mobutu. Au Zaïre il essuyait les coups de boutoir d’une fronde parlementaire qui le harcelait et le tourmentait depuis huit ans. Et face à la dégradation de la situation économique, sociale et financière du pays, le mécontentement grandissait dans la population. Dans le monde, l’effondrement des régimes de l’Est avec la Perestroïka en Russie, la chute du mur de Berlin, l’élimination de Ceausescu en Roumanie provoqua le lâchage des Occidentaux. Avec la fin de la Guerre Froide, on n’avait plus besoin de lui. Il ne représentait plus rien pour eux. Un quarteron d’officiels mandatés par l’Oncle Sam est arrivé à Kinshasa pour lui demander instamment de partir.
Me Robert Bourgi était le fils d’un père qui avait pris pendant la Seconde Guerre Mondiale le parti de la France Libre et de son chef le Général de Gaulle. Jacques Foccart, « le Monsieur Afrique du Général de Gaulle », venait à la maison paternelle à Dakar en 1947-1948. Il va devenir son mentor. C’est lui qui va présenter Me Bourgi au président gabonais Omar Bongo qui l’adopte comme « son conseiller personnel ». Me Bourgi appelait Omar Bongo « Papa ».
En France, l’avocat commence à rendre de menus services à la famille : obtention de visas, recherches d’écoles pour les enfants, autorisation de visites à l’hôpital Bichat-Claude Bernard pour voir Niwa Mobutu malade. Mobutu lui dédicace sa photo le 7 juin 1990 avec cette mention « un ami, un complice pour ce qui se fait dans l’ombre pour la cause franco-zaïroise ».
Mû par le syndrome du droit de préemption accordé à la France en 1884, Jacques Foccart, chef de la cellule africaine de l’Elysée, était soucieux de « sauver ce régime (de Mobutu) face à la menace anglophone qui couvait ». Il fallait « surveiller le plus grand pays francophone d’Afrique et éviter son implosion ». Les émissaires français vont obtenir de Mobutu la nomination du Premier ministre Kengo wa Dondo le 6 juillet 1994 malgré l’opposition de Ngbanda, de Vunduawe et de plusieurs généraux. Ils ont plaidé pour la nomination du général Donatien Mahele comme chef de l’Etat-major de l’Armée. Ils ont amené le président François Mitterrand « à comprendre l’importance pour Paris de ne pas diaboliser le Zaïre, allié fidèle de l’Occident ».
Les 10 et 11 août 1994, Me Bourgi et Jacques Foccart ont fait le voyage de Gbadolite au Zaïre. Ils ont eu plus de 7 heures d’entretien. Le but était de réhabiliter Mobutu face aux Etats-Unis et à la Belgique. Cette réhabilitation n’était pas gratuite. Me Bourgi reconnaît qu’elle était fortement monnayée. Un contrat de 600.000$ fut partagée entre trois lobbyistes : Herman Cohen, ancien secrétaire d’Etat adjoint chargé des Affaires africaines sous l’Administration Clinton, Max-Olivier Cahen, fils d’un haut fonctionnaire belge ami de Mobutu, et lui-même.
Comment ont-ils opéré ? Aux Etats-Unis, ils ont rencontré des personnalités de la Maison Blanche et un sénateur influent sur les affaires africaines. En France ils ont utilisé les réseaux Foccart et Pasqua. Me Bourgi a organisé un déjeuner à son cabinet ; il a facilité la rencontre du Maréchal avec le ministre français des Affaires étrangères dans les appartements de Mobutu sur l’avenue Foch à Paris. Et à cette occasion, le Maréchal Mobutu a épaté son hôte en lui parlant de sa généalogie, de la cuisine et des vins français.
A la demande faite à Me Bourgi par le ministre français de la Culture et de la Francophonie, Mobutu Sese Seko a affrété un avion pour emmener et ramener le ministre avec toute sa délégation de Paris à Biarritz pour le Sommet France-Afrique les 7 et 8 novembre 1994. Rebelote ! A la demande du même ministre, le Maréchal a affrété un Falcon 900 pour emmener et ramener la délégation française de Paris-Bourget à Erevan en Arménie. Tout a été pris en charge pendant deux jours. C’est ce qui a excédé Me Bourgi : « J’en ai assez qu’on se paie Mobutu sans connaître cela. Il prend tout en charge pour aller à Biarritz ? En Arménie ? Franchement ».
Le Maréchal Mobutu a été sollicité pour une contribution à l’approche des élections présidentielles de 1995 avec d’autres présidents africains, Omar Bongo, Denis Sassou Nguesso, Blaise Compaoré. Le 13 mars 1995, Me Bourgi note que Mobutu a remis personnellement 2 millions de dollars à Jacques Foccart pour Jacques Chirac. Le 24 avril 1996, Mobutu a de nouveau remis 2 millions de dollars à Foccart pour Chirac.
Sans doute espérait-il le retour de l’ascenseur pour le malade qu’il était avec le cancer de la prostate. Me Bourgi a rendu visite à Mobutu à Lausanne à plusieurs reprises en 1996. Il estimait que le Maréchal avait toujours été fidèle à Chirac. Il a poussé le Secrétaire général de l’Elysée Dominique de Villepin à rendre aussi visite à Mobutu à Lausanne. Le 16 janvier 1997, Me Bourgi a écrit au Secrétaire général de l’Elysée pour qu’il dissuade le ministre de la Coopération de ne pas insister pour obtenir du président du Zaïre le retour en France de l’Ambassadeur Ramazani, car c’était « préjudiciable à nos intérêts et à notre politique africaine ».
Se souvenant de l’intervention du 2ème régiment étranger de parachutistes à Kolwezi en 1978 avec Giscard d’Estaing, le Maréchal Mobutu demanda à Jacques Foccart l’apport du Service Action (S.A.) de la Direction Générale Sécurité Extérieure pour contrer les Kadogos de Laurent Désiré Kabila. Foccart téléphona au président Chirac qui se référa à Alain Juppé, Premier ministre ; ce dernier marqua son opposition parce qu’il n’appréciait pas Mobutu.
Et le Maréchal de marquer le coup : « Robert, la France me laisse tomber et Jacques a la mémoire courte ! ».
Me Bourgi a accompagné le Maréchal Mobutu à son retour à Kinshasa en mars 1997. Mobutu lâchera : « On m’a poignardé dans le dos ! ». L’avocat a assisté à la rencontre d’Outenika avec Mandela et Laurent Désiré Kabila. Il témoigne que le président Mobutu a demandé la faveur de rentrer en France pour mourir dans sa résidence à Roquebrune-Cap-Saint Martin. Me Bourgi a appelé Villepin, qui s’est référé à Chirac, qui a appelé à son tour Alain Juppé qui a dit NON : « Qu’il aille mourir ailleurs ! ». L’aide de camp du Maréchal a gémi : « Eh, maître, même ça ! ». Le président Gnassingbé Eyadema étant embarrassé, Jacques Chirac est intervenu auprès du roi Hassan II du Maroc pour l’exil du Maréchal Mobutu.
Si Me Robert Bourgi trouve dans ce livre l’« occasion de laver sa conscience », et de « ne pas être complice d’une trahison », nous sommes conforté dans l’idée qu’« un pays n’a pas d’amis, mais des intérêts ». Durant ce mois de mars 1995 où le président du Zaïre versait 2 millions de dollars à Jacques Chirac, le professeur ordinaire des Universités du Zaïre percevait un salaire converti de 20,20$. De juillet à octobre 1994, il avait perçu un salaire converti à : 2,50$, 1,66$, 1,27$, 1,03$.
Nous n’avons trouvé qu’une erreur. Notre compatriote Nguza Karl-I-Bond n’est pas originaire de Léopoldville (p.124).