Conversation libre entre la petite fille et le papa :
« Fille : Salut, papa ! Tu vas bien ? Pourquoi tu rentres tard ? Tu as fait un tour à nganda-bar ?
Papa : Salut, ma chérie, Chuuut ! Pas un mot à ta maman. Un secret entre nous…
Fille : Oh oui, papa : je jure de ne rien dire de secret à maman, que papa a dit de ne rien dire à maman…
Papa : Hmm… Nganda-bar, tu connais ? Ah, je n’ai fait qu’une escale très très rapide. J’ai plutôt passé la journée avec mon patron le ministre, avec les « nganga-mayele » savants, avec des grandes dames et des grands messieurs, pour parler de l’amour et de la mort.
Fille : Ah, les grandes dames et les grands messieurs chantent aussi l’amour et la mort, comme du karaoke ?
Papa ; non, non, petite. Voilà : je te révèle le titre savant de la palabre savante. Rien à voir avec ton…kaka, karaoke. Titre de notre palabre: « La restitution des biens culturels et des restes humains »
Fille : le titre de cette chanson est cool ; mais où est l’amour ou la mort là-dedans ?
Papa : Petite, écoute bien, ce n’est pas simple : tu vois nos cimetières ? Chaque année, à même date, toi et moi y allons pour célébrer le souvenir de tes grands parents « sang-pour-sang », en reconnaissance des millions de tendresses, de câlins, de cadeaux qu’ils nous ont donnés chaque jour sans arrêt. Mais hélas ; il y a longtemps, longtemps, de mauvais Blancs se sont imposés chez nous dans les villages de nos ancêtres, et ont détruit nos cimetières traditionnels, et ont emporté chez eux loin, loin d’ici des os, des crânes, des vertèbres, soit pour extorquer les pouvoirs cachés dans ces restes humains, soit pour les parquer dans les armoires des laboratoires de sorciers.
Fille : Brrrr ! J’ai la frousse ; donc, ces mauvais Blancs ont pris ces fantômes comme des compagnons de récréation, de nuit comme de jour ? Brrrr ! J’ai la frousse…
Papa : Mais non, non, ma fille. Ces mauvais Blancs cherchaient à savoir si nous, les Noirs, étions comme eux : à l’image de Dieu comme eux ; intelligents comme eux, cascadeurs comme eux, forts comme eux…
Fille : … et sincèrement, nos ancêtres étaient comme eux ? Ton arrière-arrière- grand-père était-il ministre d’un chauffeur blanc ? Les enfants allaient-ils et aimaient-ils étudier les bouquins mieux que de se balader dans les forêts ou à l’école buissonnière ? Les mamans-ancêtres étaient-elles câlines-câlines pour les enfants et les papas, et tout le temps ?
Papa : fille, nous étions à la fois pareils comme êtres humains et différents d’eux : nous avions du génie, nous avions nos sanctuaires de savoirs et de savoir-faire ; nous avions nos fétiches et nos talismans pour nous protéger de la foudre, du poison, des maladies ; nous avions des musiques et des danses pour amoureux ; mais nous en avions d’autres pour chasser la mort…
Fille : Ah, je pige un peu ; cela me rappelle le film que j’ai vu hier à la télé sur Youtube de mon Androïd –Tshombo…
Papa : You…Tube ? Androïd ?
Fille : Oui, des trucs et des gadgets chébrans, c’est-à-dire branchés du numérique.
Papa : Hm… Je comprends un peu. Alors, la suite du film ?
Fille : Un film ou des Blancs sont en train de couper les mains des Noirs têtus, et de les intimider à la chicotte ; mais un film avec des Noirs debout, résistants. Mais, mais ensuite, un miracle super-formidable s’est produit : un Superman surgi de nulle part et de partout, un homme noir, un héros applaudi par tous…
Papa :… C’est Lumumba ! Superman, oracle noir, prophète noir ; mais aussi voix de tonnerre, éclair éblouissant, passeur du crépuscule à l’aube nouvelle…
Fille : d’accord… d’accord, papa. Vraiment la fin du crépuscule ?
Papa : J’y crois. Il y a un Lumumba en chacun d’entre nous, hommes et femmes. Une flamme secrète de Superman. Qui s’éteint parfois, mais se rallume souvent.
Fille : Ah, papa, secret contre secret. Promets-moi d’être mon Lumumba, mon Superman. Promets de ne plus faire escale prolongée de cuiteur au nganda-bar… »
Yoka Lye