(Par Yoka Lye)
… Aujourd’hui, Pâque chrétienne catholique. Avant-hier, 10ème jour férié et inédit du calendrier républicain, c’était la Nativité chrétienne kimbanguiste… Ainsi va le monde : ombres et lumières, morts et résurrection, star d’un jour, star de toujours, héros à la carte et héros légendaires. Ainsi est passé le mois de mars, sans pagne, youyou exceptionnels des femmes ; sans haie d’honneur, sans tambours, ni trompette des hommes.
… Il en a été autrement des milieux des artistes : mois de mars, mois des morts. Sans espoir de résurrection, même symboliquement.
… Quatre artistes sont tombés sur la dalle, heurtés par les malices de l’âge avancé et de la maladie, pourtant, après d’éminents services rendus à la Nation congolaise et panafricaine.
Nous continuons à pleurer ainsi Damien Pwono, manager polyvalent et Directeur général de l’Ina mais aussi, Ndjoku Masula, artiste de talent, ange et monstre sacré sur la scène du Théâtre National notamment, dans le spectacle LIANJA de fulgurante mémoire. Mais aussi, Lokassa-ya-Mbongo, guitariste de Tabu lye aux doigts frénétiques et « soukoussants ». Mais enfin, Saak-Sakoul, danseur-animateur-atalakudu fameux TRIO- MADJESI. Au total, trois hommes et une femme.
Au total, trois hommes morts à l,étranger et une défunte à Kinshasa. Et les échos des « youyous », et les » milolos » des admirateurs ont fait vibrer le monde entier. Ils m’ont personnellement fait vibrer car tous quatre étaient des êtres proches à titres divers.
PWONO. Exemple de constance en stratégie culturelle et en pratique artistique. Globe-trotter de la Bonne Nouvelle du « soft power » et du sacerdoce multicolore. Mort et enterré aux Usa.
… NDJOKU. Danseuse au rythme de liane reptile et d’un corps tout-feu-tout-flammes. Une collaboratrice talentueuse et correcte. Morte dans l’anonymat d’une clinique interlope. Sans moyens. Sans secours.
… LOKASSA-YA-MBONGO. J’ai grandi avec Denis. J’ai vu comment Denis apprenait laborieusement sa guitare sous le coaching d’un ami anglais, lui-même amateurs doué. Denis m’a introduit dans les paradis artificiels de la drague, de la drogue et des fugues souterraines à côté des « yankees » et des « bills » kinois. Et toujours tous enivré par les « soukouss » de la Rumba tous-terrains. Mort aux Usa, Lokassa.
… SAAK-SAKOUL. Juin 1969. Révoltes des étudiants de l’université Lovanium et défis au Parti-Etat. Massacres des innocents. Chasse aux sorcières contre les survivants que nous étions, pendant toutes les vacances de saison sèche. Mais, en même temps la FIKIN, Foire Internationale de Kinshasa, a ouvert ses portes pour la première fois, avec des concerts mythiques.
Et des prestations « mystiques « , comme celle de l’Orchestre VEVE, et le TRIO Madjesi, dont Saak-Sakoul. Les rescapés des massacres de Lovanium cherchaient des échappatoires à la rafle policière ; ils ont trouvé la Fikin ; ils ont trouvé VEVE ; ils ont trouvé la chanson-fétiche « Anna ». Nous avions trouvé une idole : Saak-Sakoul, incroyable acrobate sur scène, et chanteur de charme. Nous avions trouvé notre consolation. Mais, pas la paix. Mort en France, Saak-Sakoul. Loin de la Fikin, loin d »‘Anna ».
… Voilà notre mars 2023. Sans panache. A l’ombre. A la carte. Mais, d’une charge émotionnelle sans pareil, sans contrepartie. Ineffaçable.
Yoka Lye
