Par Aimé Gata-Kambundi
(Titulaire d’une Maitrise en Droit public approfondi, Chercheur et doctorant en Droit constitutionnel) ; et
Carlos Ngwapitshi Ngwamashi
(Avocat au Barreau de Kinshasa Gombe et Doctorant en Criminologie économique et environnemental).
Résumé ………………………………………………………………………………1
Introduction ……………………………………………………………………….2
I. Le fondement du Contentieux de constitutionnalité en RDC……………… 3
- Les contrôles a priori et le contrôle a posteriori reconnus par la Constitution……………………………………………………3
- Le forcing de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle pour créer d’autres types de contrôle de constitutionnalité contra-legem………………………………….. 4
- L’évolution d’une jurisprudence contre-legem et dangereuse…………………………………… .5
- La position du droit comparé qui aurait pu inspirer la Cour constitutionnelle congolaise………………………………………………………………………6
ll. La dangerosité de l’arrêt R.CONST 2259 : vers une Cour constitutionnelle « supra constitutionnelle » et incontrôlable ? ………………9
- Le risque d’enchevêtrement des décisions judiciaires contradictoires……… 10
- Le risque de faire de la Cour constitutionnelle un Léviathan judiciaire et politique…………………………………………………. 11
Conclusion …………………………………………………………………. 12
INTRODUCTION
En date du 29 avril 2024, il s’est tenue des élections des Gouverneurs et vice-Gouverneurs couplées à celles des sénateurs, dans la majorité de provinces en République démocratique du Congo (RDC). Au Kongo Central, les résultats provisoires de ces scrutins, sanctionnés par la décision de la Ceni n°018/CENI/AP/2024, avaient fait l’objet des contestations pour cause de fraude et irrégularités concernant essentiellement l’élection du Gouverneur et du vice-Gouverneur.
Cette décision qui avait provisoirement proclamé gagnant Grâce NKUANGA BILOLO, au détriment du docteur Guy BANDU NDUNGIDI, avait été attaqué par ce dernier devant la cour d’appel du Kongo Central, faisant office de cour administrative.
A son niveau, la cour d’appel du Kongo Central a confirmé ces résultats provisoires par son arrêt sous RCRG 001/2024 du 7 mai 2024. Non satisfait de cette décision, le camp Guy BANDU NDUNGIDI a interjeté appel auprès du Conseil d’État qui, par son arrêt sous REA 421 du 20 mai 2024, a infirmé la décision de la cour d’appel du Kongo Central, avec injonction faite à la Ceni d’organiser un nouveau scrutin dans les soixante jours à dater de la signification de l’arrêt.
Alors que cette nouvelle décision du Conseil d’État avait été notifiée à toutes les parties et que la Ceni avait déjà fixé la date du 7 juin 2024 comme celle de l’organisation du nouveau scrutin, contre toute attente, la Cour constitutionnelle a surpris tout le monde avec son arrêt sous R.CONST 2259 du 31 mai 2024 qui « Déclare l’arrêt du Conseil d’État sous REA 421 du 20 mai 2024 contraire à la Constitution et partant nul et de nul effet ».
En conséquence, la Cour constitutionnelle, saisie par le candidat Grâce NKUANGA BILOLO, déclare qu’il ne reste valide et seul applicable que l’arrêt RCRG 001/2024 du 7 mai 2024 de la cour d’appel du Kongo Central qui avait proclamé le requérant, monsieur Grâce NKUANGA BILOLO et son colistier comme élu Gouverneur et vice-Gouverneur de la province du Kongo Central.
A cet effet, la cour d’appel du Kongo Central a rendu un nouvel arrêt de proclamation des résultats définitifs de l’élection du Gouverneur et vice-Gouverneur sous RPRG 001 du 4 juin 2024, lequel a été encore attaqué en appel devant le Conseil d’État par le candidat Guy BANDU NDUNGIDI. Pendant que nous écrivons cet article, le Conseil d’État ne s’est pas encore prononcé et nous ne pouvons pas anticiper sa position. Va-t-il faire de la résistance et confirmer la décision son premier arrêt sous REA 421 du 20 mai 2024 ? Nous le saurons dans un futur très proche.
Qu’à cela ne tienne, cette saga judiciaire et ce jeu de ping-pong juridictionnel ne pouvait pas nous laisser indifférent. Il va sans dire qu’il y a plusieurs points de droit qui méritent d’être élucidés dont notamment le risque d’enchevêtrement des décisions judiciaires contradictoires entre le Conseil d’État et la Cour constitutionnelle dans ce contentieux électoral du Kongo Central.
De cette manière, en partant de cet arrêt sous R.CONST 2259 de la Cour constitutionnelle, nous allons faire un effort, d’une part, de poser dans sa globalité tous le contours du contentieux de la constitutionalité tel qu’organisé par la Constitution du 18 février 2006. D’autre part, on s’interrogera aussi sur le pouvoir que s’est octroyée la jurisprudence de la Cour constitutionnelle pour annuler un arrêt du Conseil d’Etat (I). En déclarant contraire à la Constitution l’arrêt sous REA 421 du Conseil d’État, le juge constitutionnel congolais vient d’admettre, non sans une teinte d’audace démesurée, qu’il a désormais le pouvoir de contrôler la constitutionnalité, non seulement des décisions des juridictions de première instance et d’appel (ce qui est déjà un acte arbitraire), mais aussi et surtout des décisions des Cours suprêmes (dans leurs ordres de juridictions) comme le Conseil d’État et la Cour de cassation. Cette évolution de la jurisprudence de la Cour n’est pas exempte de critiques dès lors qu’elle installe une relation hiérarchique ou un lien de subordination entre la Cour constitutionnelle et les autres Cours suprêmes avec toutes les conséquences sur la sécurité juridique, la légalité et la prévisibilité de l’organisation des procès et de l’administration de la justice (II).
- Le fondement du Contentieux de constitutionnalité en RDC.
Pour percevoir les évolutions dangereuses qu’a instauré la jurisprudence de la Cour constitutionnelle (B), il sied d’abord et avant tout de comprendre la structure du contentieux de la constitutionnalité tel qu’il est prévu par la Constitution du 18 février 2006 telle que modifiée à ce jour (A).
A. Les contrôles a priori et le contrôle a posteriori reconnus par la Constitution.
Les compétences de la Cour constitutionnelle peuvent être diverses et variées selon le système juridique et la Constitution de chaque pays. Toutefois, il est inconcevable de croire que la Cour constitutionnelle peut connaitre de n’importe quel litige portant sur l’application ou l’interprétation de la Constitution. Pour nombreuses qu’elles soient, les attributions d’une Cour constitutionnelle sont énumérées de façon limitative[1] par la Constitution elle-même et les lois portant sur l’organisation et le fonctionnement de la Cour.
Pour le cas de la RDC, c’est aux termes des dispositions pertinentes des articles 160 et 162 de la Constitution, 43 de la loi organique portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle, ainsi que l’article 64 de son Règlement Intérieur, qu’on attribue à la Cour constitutionnelle la compétence de « connaître du contrôle de la constitutionnalité des traités et accords internationaux, des lois, des actes ayant force de loi, des édits, des Règlements intérieurs des chambres parlementaires, du Congrès et des Institutions d’Appui à la démocratie ainsi que des actes réglementaires des autorités administratives ». Il en est de même des Ordonnances prises après délibération en Conseil des Ministres par le Président de la République, en cas d’état d’urgence ou de siège.
D’une part, ce contrôle est fait par voie d’action ou contrôle a priori. Dans ce cadre, la Cour constitutionnelle est saisie avant la promulgation de tous ces actes législatifs et règlementaires précités. Ce contrôle empêche donc l’entrée en vigueur d’un texte jugé inconstitutionnel[2].
D’autre part, le contrôle devant la Cour constitutionnelle se fait aussi par voie d’exception ou a posteriori. Il est effectué par toute personne dans une affaire qui la concerne devant une juridiction. Dans son Arrêt R.Const 1272 du 04 décembre 2020, la Cour a relevé que l’exception d’inconstitutionnalité n’est possible et réalisée que sur production d’un arrêt ou jugement avant dire droit rendu par la juridiction saisie de la cause lors de l’examen de laquelle cette question prioritaire préjudicielle est invoquée, non pas in limine litis, comme l’a laissé entendre la circulaire n° 001 du 7 mars 2017 du Premier Président de la Cour de cassation, mais plutôt à tout moment de la procédure. Il s’agit là d’un moyen d’ordre public qui oblige la juridiction saisie, après avoir prononcé la surséance, de renvoyer l’exception à la Cour constitutionnelle en précisant la disposition législative ou réglementaire déférer en inconstitutionnalité ainsi que celle constitutionnelle dont la violation est vantée. Dans pareils cas, la juridiction de fond doit attendre jusqu’à ce que la Cour constitutionnelle se prononce, seul organe compétent pour statuer sur la conformité à la Constitution[3].
B. Le forcing de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle pour créer d’autres types de contrôle de constitutionnalité contra-legem.
De tout ce qui a été dit au point précédent – et conformément aux articles 160 et 162 de la Constitution, 43 de la loi organique portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle, ainsi que l’article 64 de son Règlement Intérieur – il y a lieu de constater que parmi les actes ci-dessus énumérés et rentrant dans le cadre de la compétence de vérification de constitutionnalité par la Cour constitutionnelle, les décisions de justice ne figurent pas. Parce que, devant la Cour constitutionnelle, il s’agit d’un contrôle normatif, c’est-à-dire la confrontation d’une norme supérieure (la Constitution) à d’autres normes, inférieures.
De ce fait, pourquoi dans le cadre de l’arrêt sous R.CONST 2259 du 31 mai 2024 la Cour constitutionnelle s’est-elle arrogée le droit de contrôler en inconstitutionnalité et d’annuler l’arrêt sous REA 421 du Conseil d’État du 20 mai 2024 alors qu’elle n’en avait visiblement pas autorité ?
Pour le comprendre, il faut plonger dans les méandres de l’évolution de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle.
- L’évolution d’une jurisprudence contra-legem et dangereuse.
Depuis la création effective de la Cour constitutionnelle par Loi organique n° 13/026 du 15 octobre 2013, c’est en 2020 qu’elle a fait face pour la première fois à une requête en inconstitutionnalité contre une décision de justice. C’était dans le cadre de la requête de monsieur WANYANGA MUZUMBI Jean-Israël, Général de brigade de son état, qui avait saisi la Cour en inconstitutionnalité de la procédure et arrêt de la Haute Cour militaire du 2 juillet 2020 sous RP 015/2020.
En réponse à cette requête, la Cour constitutionnelle a été on ne peut plus claire : « Dans la poursuite de l’idéal de l’Etat de droit découlant de l’article 1er de la Constitution de la République, elle a, par sa jurisprudence, étendu sa compétence à l’égard de seuls actes d’assemblée (…). Ainsi, l’arrêt sous R.CONST 1272 du 4 décembre 2020 a indiqué qu’hormis sa compétence d’attribution relevant des dispositions des articles 160 et 162 de la Constitution, la Cour peut exercer sa compétence résiduelle que dans les conditions fixées par sa jurisprudence. Qu’en l’espèce, l’examen d’une requête qui poursuit l’inconstitutionnalité d’un arrêt de la Haute Cour militaire n’est pas de la compétence de la Cour constitutionnelle car un tel arrêt n’est ni un acte législatif ni un acte règlementaire au sens de la Loi, moins encore un acte d’assemblée au sens de sa jurisprudence mais plutôt un acte juridictionnel susceptible des voies de recours devant la Cour de cassation[4].
Cependant, contre toute attente, la Cour va opérer un revirement jurisprudentiel qui ne manque pas d’audace. Saisie en inconstitutionnalité de l’arrêt sous REA 183 du 27 mai 2022 du Conseil d’État, la Cour constitutionnelle, par son arrêt R.CONST 1800 du 22 juillet 2022, a procédé à un changement de doctrine en affirmant cette fois-ci sa compétence en ces termes : « le fait que cette compétence ne soit pas explicitement prévue par la Constitution ne laisse aucunement carte blanche aux juridictions de franchir le Rubicon de l’inconstitutionnalité. En effet, la Cour rappelle que dans sa tradition jurisprudentielle, elle a étendu sa compétence aux actes d’assemblée chaque fois que l’État de droit était menacé. C’est notamment en cas de négation des droits de la personne humaine fondamentalisés et constitutionnalisés par le constituant du 18 février 2006 et en l’absence de toute autre juridiction à même de les rétablir ».
Dans ce même arrêt, la Cour constitutionnelle dit s’appuyer aussi « sur les législations et la jurisprudence constitutionnelle comparées, en ce qu’elles reconnaissent au juge constitutionnel la compétence de protéger l’État de droit incarné par la Constitution, volonté du peuple, seul détenteur de la souveraineté, même en l’absence de texte ».
Comme on pouvait s’y attendre, ce dernier arrêt R.CONST 1800 avait fait l’objet de plusieurs controverses dans les milieux juridique, judiciaire et scientifique en RDC. Ce d’autant que la Cour constitutionnelle avait fait le choix – sans aucun fondement textuel – de contrôler en inconstitutionnalité des décisions de justice. Ceci est une violation de la Constitution dès lors qu’aucune disposition de la Constitution n’offre à la Cour constitutionnelle un tel pouvoir. Et surtout qu’il est de principe en droit, « ex injuria jus non oritur », qui veut dire que d’une violation de la loi [de la Constitution, ndlr], on ne peut tirer un quelconque droit, même pas le siège d’une quelconque jurisprudence. Ainsi, au nom de de quoi devrait-on accepter une telle extension arbitraire des compétences de la Cour constitutionnelle ?
En réalité, cette fameuse jurisprudence, création artificielle de la Cour constitutionnelle est une manifestation audacieuse du non-respect de la constitution et des lois de notre République. Normalement, et comme le conclut aussi le juriste et chercheur Grâce MUWAWA LUWUNGI : « En droit congolais, les décisions de justice ne subissent pas de recours en inconstitutionnalité. Saisie d’un tel recours, la Cour constitutionnelle de la RDC n’a pas d’autre issue de secours que celle de se déclarer incompétente à statuer [5]»
Malheureusement, le juge constitutionnel congolais a jugé bon de continuer à violer la Constitution. Pour preuve, il a dupliqué le même raisonnement et le même argumentaire dans l’arrêt R.CONST 2259 qui vient de contrôler en inconstitutionnalité et d’annuler l’arrêt REA 421 du Conseil d’Etat, en prenant appui sur sa décision du 22 juillet 2022.
Dans cet arrêt R.CONST 2259, la Cour a commencé par reconnaitre que les décisions judiciaires n’appartiennent pas aux catégories d’actes repris aux article 160 alinéa 1 et 162 alinéa 2 de la Constitution et 43 de la loi organique portant organisation et fonctionnement de la Cour. Cependant, ils ont introduit une exception en faisant observer que dans la poursuite de l’idéal de l’état de droit et la protection des libertés publiques (…) la Cour peut étendre la latitude de ses compétences pour contrôler la constitutionnalité des actes des assemblées et des décisions de justice à la double condition que le requérant allègue, à suffisance de droit, la violation d’un droit fondamental auquel la Constitution accorde une protection particulière et que l’acte ne relève de la compétence matérielle d’aucun autre juge. Pour les actes de justice, il doit s’agir en outre des décisions de justice non susceptibles de recours[6].
- La position du droit comparé qui aurait pu inspirer la Cour constitutionnelle congolaise.
Quand on lit minutieusement l’arrêt R.CONST 1800 du 22 juillet 2022 qui avait cristallisé l’admission du contrôle de constitutionnalité des décisions de justice par la Cour constitutionnelle, on ne peut échapper de voir un détail important dans son argumentaire : c’est le fait que la Cour dit s’appuyer aussi sur les législations et la jurisprudence constitutionnelle comparées pour opérer son revirement jurisprudentiel. Toute la question est de savoir si le juge constitutionnel congolais avait fait référence à quelle jurisprudence et de quel pays et système juridique ? Faute de le dire et de citer ces lois et jurisprudences dans la motivation de son arrêt, la Cour entretient un flou qui n’est pas à la hauteur du sérieux qui devrait caractériser ses décisions.
Voilà pourquoi, en ce qui nous concerne, faute d’avoir les précisions de la Cour, nous avons fait quelques efforts de recherche pour trouver ces lois et jurisprudences qui aurait pu inspirer le juge constitutionnel congolais.
Ainsi, il faut reconnaitre que le contrôle juridictionnel de constitutionnalité des décisions de justice n’est pas une invention de la Cour constitutionnelle de la République Démocratique du Congo (RDC). Pour s’en convaincre, il convient de voir ce qui se passe en Allemagne, en Espagne et, dans une certaine mesure, en Autruche où le juge constitutionnel a le droit de connaitre en inconstitutionnalité et d’annuler les décisions de justice. Très certainement, nous pensons que le juge constitutionnel congolais avait lorgné dans ce droit comparé avant de flotter du régime d’interdiction de contrôle des décisions de justice (arrêt R.CONST 1272 du 2 juillet 2020) au régime d’auto-permission (arrêts R.CONST 1800 et R.CONST 2259).
Cependant, il s’agit de proposer quelques explications pour tenter de faire comprendre à ceux qui soutiennent cette nouvelle jurisprudence de la Cour constitutionnelle congolais que leur référence au droit comparé (allemand, espagnol ou autre) nous parait peu convaincant ou pas valide du tout. Si les procédures paraissent semblables à ce qui s’est fait à la Cour constitutionnelle congolaise (avec les arrêts R.CONST 1800 et R.CONST 2259), elles ne les sont pas vraiment dans le fond.
Primo, il est vrai que la Cour constitutionnelle fédérale allemande vérifie la constitutionnalité des décisions juridictionnelles ordinaires et même celles émanant des cours suprêmes des Landers. Elle peut être aussi saisi de toute question de constitutionnalité sur renvoi du juge ordinaire[7]. Pour autant, il faut aussi rappeler que la Cour constitutionnelle allemande ne s’est pas attribuée cette compétence de manière audacieuse en violant la Constitution et les lois de leur République. Au contraire, les recours individuels dirigés contre une décision de justice et portés devant la Cour constitutionnelle fédérale font partie des attributions énumérées par le § 13 de la Loi relative à la Cour constitutionnelle fédérale du 12 mars 1951[8] . De plus, Le § 90 alinéas 1 et 2 de cette même loi précise que « (1) Quiconque estime avoir été lésé par la puissance publique dans l’un de ses droits fondamentaux ou dans l’un de ses droits garantis par les articles 20, al. 4, 33, 38, 101, 103 et 104 de la Loi fondamentale peut former un recours constitutionnel devant la Cour constitutionnelle fédérale. (2) Lorsque des voies de recours sont ouvertes contre la violation, le recours constitutionnel ne peut être introduit qu’après épuisement des voies de recours. La Cour constitutionnelle fédérale peut toutefois statuer directement sur un recours constitutionnel introduit avant l’épuisement des voies de recours, si le recours constitutionnel est d’importance générale ou si cela causait au requérant un préjudice grave et inévitable, s’il était d’abord renvoyé à emprunter les voies de recours »[9].
Secundo, il en est de même avec le système espagnol qui a mis en place le recours d’amparo contre les décisions juridictionnelles devant le Tribunal constitutionnel. Pour le définir succinctement, ce recours d’amparo constitutionnel est donc « la voie de droit qui permet à toute personne qui se prétend victime d’une atteinte à l’un des droits fondamentaux, et qui estime ne pas en avoir obtenu la protection par le juge ordinaire, de former directement un recours devant le juge constitutionnel. Cette voie d’accès direct au juge constitutionnel est ouverte à tout justiciable, et peut être rapprochée du recours constitutionnel direct existant en Allemagne ou en Autriche[10] ».
Et, comme pour le cas de l’Allemagne que nous venons d’analyser précédemment, la procédure d’amparo aussi n’est pas sans fondement textuel. L’article 53, alinéa 2, de la Constitution du 27 décembre 1978 de l’Espagne dit : « Tout citoyen pourra demander la protection des libertés et des droits reconnus à l’article 14 et à la section première du chapitre deux devant les tribunaux ordinaires par une action fondée sur les principes de priorité et de la procédure sommaire et, le cas échéant, par le recours individuel d’amparo devant le Tribunal constitutionnel. Ce recours sera applicable à l’objection de conscience, reconnue à l’article 30 ».
Comme on peut le remarquer, la démonstration faite de ces deux exemples que nous venons de citer prouve à suffisance que c’est à tort que certains constitutionalistes congolais évoquent le droit comparé pour justifier le fait que la Cour constitutionnelle de la RDC a eu raison de se positionner en vérificateur de conformité à la Constitution des décisions de justice.
On le voit bien, qu’il s’agisse de la Cour constitutionnelle fédérale allemande et du Tribunal constitutionnel d’Espagne, le maître-mot est que leurs compétences de connaitre en inconstitutionnalité les décisions de justice tirent leur fondement dans leurs Constitutions et les lois portant création et fonctionnement de leurs Hautes Cours. A l’inverse, on ne trouve nulle part, dans la Constitution congolaise du 18 février 2006, une clause de compétence très générale analogue à celle de l’article 93 alinéa 1 de la Loi fondamentale allemande et de l’article 53 alinéa 2 de la Constitution du 27 décembre 1978 de l’Espagne.
Ceci prouve à suffisance que les jurisprudences congolaises qui posent problème (Arrêts R.CONST 1800 et R.CONST 2259) sont une création artificielle et audacieuse de la Cour constitutionnelle qui a levé l’option de violer impunément la Constitution du 18 février 2006 et les lois de la République afin d’étendre motu proprio ses compétences en dehors du cadre lui fixé, avec tous les risques sur la sécurité juridique et judiciaire qu’elle ne saura freiner, jetant en pâture tous les efforts conjugués pour l’érection d’un Etat de Droit.
Enfin, le seul cas qui s’approche un peu de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle de la RDC, c’est celui de la Cour constitutionnelle du Benin qui, sans que cette compétence soit inscrite dans la Constitution, a pris, elle aussi, une position qui a consacré que les décisions de justice soient désormais comptées parmi les actes susceptibles de recours devant la Cour constitutionnelle sous certaines conditions.
Comme l’explique clairement Joseph DJOGBENOU, « les faits de l’espèce qui révulsa la Cour constitutionnelle sont pourtant simples. Appelés à trancher un conflit de droit de propriété, les juges du fond (tribunal de première instance et Cour d’appel) déboutèrent l’une des parties au motif que, esclaves, leurs auteurs ne pouvaient acquérir le droit de propriété, sur le fondement de ce qui fut le [droit] coutumier du [Royaume] Dahomey. L’arrêt de la Cour d’appel fut alors déféré en cassation, à la Cour suprême du Bénin alors que, concurremment, fut saisie la Cour constitutionnelle par voie d’action directe. Celle-ci rendit sa décision avant l’arrêt de la Cour suprême en déclarant contraire à la Constitution aussi bien le jugement que l’arrêt de la Cour d’appel. Cette décision fut transmise par une lettre à la Cour suprême dont la chambre judiciaire a néanmoins rejeté le pourvoi par arrêt en date du 24 novembre 2006. C’est alors que la Cour constitutionnelle fut à nouveau saisie pour également déclarer l’arrêt de la Cour suprême contraire à la Constitution dans la décision datée du 13 août 2009. Ainsi, par deux fois, dans cette saga judiciaire, la Cour a procédé au contrôle de constitutionalité de trois décisions de justice : un jugement, un arrêt de la Cour d’appel et un arrêt de la Cour suprême[11] ».
Ainsi, selon ce dernier arrêt de la Cour constitutionnelle béninoise : « les décisions de justice ne sont pas des actes susceptibles de recours devant la Cour Constitutionnelle pour autant qu’elles ne violent pas les droits fondamentaux des citoyens et les libertés publiques ».
Bien que la logique paraisse un peu la même, on ne peut pas dire que la décision DCC 09-087 du 13 aout 2009, ait la même finalité que les arrêts R.CONST 1800 du 22 juillet 2022 et R.CONST 2259 du 31 mai 2024. Ce d’autant que les motivations de la Cour constitutionnelle congolaise en créant cette jurisprudence portent seulement sur les mêmes catégories d’enjeux (les contentieux électoraux), ouvrant ainsi la voie à un troisième degré de juridiction après avoir épuisé toutes les voies de recours reconnues par la loi. Si l’arrêt R.CONST 1800 c’était pour les élections des Gouverneurs et vice-Gouverneur dans la province de Mongala, l’arrêt R.CONST 2259 quant à lui porte sur le contentieux électoral au Kongo Central. Tout porte à croire que la Cour se retrouve au milieu des requérants qui tiennent mordicus à valider leurs mandats pour accéder ou se maintenir au pouvoir au point qu’ils forcent la Cour à violer la Constitution.
- La dangerosité de l’arrêt R.CONST 2259 : vers une Cour constitutionnelle « supra constitutionnelle » et incontrôlable ?
Le revirement jurisprudentiel – opéré par la Cour constitutionnelle depuis l’arrêt sous R.CONST 1800 du 22 juillet 2022, et qui est consolidé dans l’arrêt sous R.CONST 2259 du 31 mai 2024, – instaure une forme d’arbitraire à l’intérieur de l’organisation juridictionnelle du pays.
Il semble bien que cette jurisprudence octroie à la Cour un statut d’autorité de validation des décisions de justice, ce qui peut nuire, très vite, à la sécurité juridique, l’équilibre judiciaire et l’état de droit consacrés dans la Constitution congolaise du 18 février 2006.
Selon nous, il convient de remédier à cet arbitraire si nous ne souhaitons pas voir se détériorer la structure judiciaire du pays ainsi que la sureté procédurale qui s’attache à la bonne administration de la justice.
Et surtout, le problème se poserait encore avec acuité si les autres Cours suprêmes comme le Conseil d’Etat et la Cour de cassation résistaient à la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, ce qui engendrerait un risque d’enchevêtrement des décisions judiciaires contradictoires.
- Le risque d’enchevêtrement des décisions judiciaires contradictoires.
Ne l’oublions pas quand même, l’actuelle Cour constitutionnelle fait partie d’une histoire. Elle est issue de l’éclatement de l’ancienne Cour suprême de justice qui était repartie en section judiciaire, administrative et législative. C’est la Constitution du 18 février 2006 telle que modifié à ce jour qui a levé l’option de faire de chacune de ces sections une Cour suprême autonome. C’est ainsi qu’il est proclamé dans l’exposé des motifs de la Constitution de la République du 18 février 2006 que : « Pour plus d’efficacité, de spécialité et de célérité dans le traitement des dossiers, les Cours et tribunaux ont été éclatés en trois ordres juridictionnels : les juridictions de l’ordre judiciaire placées sous le contrôle de la Cour de cassation ; celles de l’ordre administratif coiffées par le Conseil d’État, et la Cour constitutionnelle ».
Cela montre à suffisance que chacune de ces trois Cours suprêmes doit être autonome (dans leur fonctionnement et dans leur jurisprudence) et qu’aucune d’elles ne peut se prévaloir du statut de supériorité sur les autres, Cour constitutionnelle soit-elle.
En claire, s’il n’est fondé nulle part la possibilité pour la Cour constitutionnelle de connaitre en inconstitutionnalité la décision de n’importe quelle autre juridiction, il en est encore moins de la décision d’une autre Cour suprême de son rang comme le Conseil d’état et la Cour de cassation.
De plus, il faut rappeler que les décisions prises par le Conseil d’État ainsi que par la Cour de cassation sont des décisions définitives, insusceptibles de tout autre recours juridictionnel. Les soumettre à la validité de la Cour constitutionnelle est un défaut qu’il convient de rectifier. Ce d’autant que ce sont des décisions qui ont déjà acquis l’autorité de la chose jugée.
Ce dernier principe « signifie que lorsqu’une décision de justice est devenue définitive, c’est-à-dire lorsqu’elle n’est plus susceptible d’aucun recours, il n’existe aucune voie de droit permettant de contester le contenu de cette décision. En d’autres termes, elle ne peut plus être remise en cause, même s’il parait à certains égards discutable[12] ». Pour d’autres, l’autorité de la chose jugée peut être aussi définie comme une présomption d’intangibilité attachée aux jugements dès lors que ceux-ci ne font pas l’objet de l’exercice des voies ordinaires ou extraordinaires de recours : res judicata pro veritate habetur.
Dans ces conditions, admettre le contrôle de constitutionnalité des décisions des autres Cours suprêmes (Conseil d’Etat et Cour de cassation) fait automatiquement de la Cour constitutionnelle une juridiction de troisième degré qui laisse à douter de la pertinence des voies de recours classiques, ce qui nuit à la prévisibilité et à la sécurité de la chose à juger.
Des conflits peuvent aussi surgir si les autres Cours suprêmes décident de ne pas se soumettre à la jurisprudence de la Cour constitutionnelle au motif qu’elle viole la Constitution. A cette allure, on peut très vite se trouver devant un enchevêtrement des décisions judiciaires contradictoires entre les différents ordres juridiques.
Le cas le plus flagrant est celui sous examen du contentieux électoral du Kongo Central. Nonobstant le fait que l’arrêt R.CONST 2259 de la Cour constitutionnelle ait déclaré l’arrêt REA 421 du Conseil d’Etat nul et de nul effet ; et qu’elle ait déclaré valide et seul applicable l’arrêt RCRG 001/2024 de la Cour d’appel du Kongo central qui proclame monsieur Grace BILOLO MUSUANGI comme élu Gouverneur de cette province, la procédure ne semble pas s’arrêter pour autant. Après que la Cour d’appel du Kongo Central ait pris un nouvel arrêt de proclamation des résultats définitifs sous RPRG 001 du 4 juin 2024, le conseil juridique de monsieur Guy BANDU NDUNGIDI a attaqué encore cette nouvelle décision en interjetant appel à la section du contentieux du Conseil d’état à la date du 6 juin 2024.
Il reste à savoir ce que sera la décision du Conseil d’Etat en réponse à l’appel formé par le conseil juridique du Gouverneur sortant, Guy BANDU NDUNGIDI. Au cas où le Conseil d’Etat maintenait sa décision d’annulation des élections et qu’il infirmait l’arrêt RPRG 001 du 4 juin 2024, on se trouverait devant une impasse avec la décision de la Cour constitutionnelle et celle du Conseil d’État qui s’affrontent et qui cherchent chacune à s’imposer. C’est un véritable danger pour la sécurité juridique et pour la bonne administration de la justice.
C’est vrai que la Cour constitutionnelle peut toujours faire prévaloir la primauté de son arrêt R.CONST 2259 en soulevant l’article 168 de la Constitution qui dit clairement que « les arrêts de la Cour constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours et sont obligatoires, immédiatement exécutoires (ndlr) et s’imposent aux pouvoirs publics, à toutes les autorités administratives et juridictionnelles, civiles et militaires ainsi qu’aux particuliers » ; mais, il n’en demeure pas moins que la raison considérable de cette cacophonie vient de la Cour elle-même qui n’a pas su respecter la Constitution qui lui fixe très clairement ses attributions.
A ce sujet, comme nous l’avons rappelé plus haut, il est de principe en droit, « ex injuria jus non oritur », ce qui veut dire que d’une violation de la loi on ne peut tirer un quelconque droit, même pas le siège d’une quelconque jurisprudence. Et surtout que la RDC fait partie de la famille de droit romano-germanique avec la primauté de la loi sur la jurisprudence où toutes les institutions de l’Etat, Cour constitutionnelle soit-elle, sont censées respecter la Constitution et les lois de la République.
- Le risque de faire de la Cour constitutionnelle un Léviathan judiciaire et politique.
Ceux qui soutiennent le revirement de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle et qui veulent faire de celle-ci une juridiction des juridictions insistent sur un principe selon lequel la Cour dispose d’un « pouvoir régulateur » des institutions qui est attaché à son fonctionnement.
Nous pensons, sans crainte d’être contredits, que la plupart ne comprennent pas vraiment le rôle que doit jouer la Cour constitutionnelle en qualité d’ « organe régulateur de l’activité des pouvoirs publics ». Il ne s’agit pas de violer la Constitution ou de se présenter comme un organe « supra-constitutionnel », mais plutôt de veiller à l’équilibre des pouvoirs établis dans la Constitution tout en imposant, à travers sa jurisprudence, que les pouvoirs législatif et exécutif ne puissent empiéter sur le domaine du pouvoir juridictionnel. En réalité le pouvoir régulateur de la Cour constitutionnelle doit se manifester dans la défense de la hiérarchie des normes, l’équilibre des pouvoirs, la défense des droits et libertés ainsi que la sécurité juridique.
Si on ne le voit pas dans ce sens ci-haut présenté, on risque de faire de la Cour constitutionnelle un Léviathan judiciaire voire politique qui peut se voir attribuer une clause de compétence générale pour tout régler, même en dehors des compétences lui reconnues par la Constitution.
De plus, les adeptes de l’arbitraire risqueraient de mettre la Cour en conflit avec l’institution Président de la République qui, lui aussi, a un rôle régulateur des institutions lui accordé par l’article 69 de la Constitution qui dispose : « Le Président de la République est le Chef de l’Etat. Il représente la nation et il est le symbole de l’unité nationale. Il veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et des Institutions ainsi que la continuité de l’Etat. Il est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire, de la souveraineté nationale et du respect des traités et accords internationaux. »
Pour finir avec ce point, nous pensons que la Cour constitutionnelle, créée pour maintenir les équilibres entre le pouvoirs publics, devrait plutôt jouer le rôle d’ « aiguilleur ». En effet, placé au carrefour crucial des institutions, elle doit canaliser le flot des changements et des orientations de la société et du droit en maintenant les pouvoirs publics ainsi que toutes les institutions dans leurs places et dans le respect strict de la Constitution.
Et pour maintenir ce rôle de pivot, la Cour n’a pas besoin d’infantiliser les autres juridictions ainsi que les autres Cours suprêmes comme le Conseil d’Etat et la Cour de cassation en décidant d’annuler leurs décisions. Il convient tout simplement qu’il y ait un dialogue des juges entre la Cour constitutionnelle, le Conseil d’Etat et la Cour de cassation afin qu’ils adoptent de plus en plus des arrêts de principes. Ces derniers peuvent être une solution pour la cohérence des jurisprudences de nos Cours, étant donné qu’elles sont des décisions rendues pour poser des solutions de portée générale, qui ont vocation à s’appliquer à d’autres cas similaires ultérieurs.
Pour le cas qui nous intéresse par exemple (contentieux électoral au Kongo Central), le problème ne se poserait pas si on avait un arrêt de principe qui explique ce qu’il appert de considérer concrètement comme fraude dans le cas où un électeur se fait accompagner par un autre. Parce que, au-delà des explications données par l’article 58 de la loi électorale, on a vu, à travers leurs deux arrêts que la Conseil d’Etat et la Cour constitutionnelle n’avait pas du tout la même approche sur ce point. Que les juges de Hautes Cours travaillent vraiment dans le sens de pondre plus d’arrêts de principe pour harmoniser notre jurisprudence.
Conclusion
Toute la démonstration que nous avons faite dans le cadre de ces quelques lignes prouvent à suffisance qu’en droit congolais, les décisions de justice ne subissent pas de recours en inconstitutionnalité. Et, dans le contentieux électoral du Kongo Central, saisie par le candidat Grace BILOLO MUSUANGI, la Cour constitutionnelle de la RDC n’avait pas d’autres issues de secours que celle de se déclarer incompétente à statuer, en lieu et place de déclarer l’arrêt du Conseil d’Etat sous REA 421 contraire à la Constitution et partant nul et de nul effet.
Toutefois, la Cour constitutionnelle elle-même l’avait déjà reconnu dans son arrêt sous R.CONST 1272 du 4 décembre 2020 en indiquant, qu’hormis sa compétence d’attribution relevant des dispositions des articles 160 et 162 de la Constitution, qu’elle n’avait pas la compétence d’examiner en inconstitutionnalité les décisions de justice, à l’occurrence, l’arrêt de la Haute Cour militaire qui, selon les termes de la Cour, « n’est ni un acte législatif ni un acte règlementaire au sens de la Loi, moins encore un acte d’assemblée au sens de sa jurisprudence mais plutôt un acte juridictionnel susceptible des voies de recours devant la Cour de cassation[13] ».
De ce fait, on s’étonne que ce nouveau revirement jurisprudentiel de la Cour constitutionnelle s’emploie à violer la Constitution au point d’examiner la constitutionnalité, même pas des décisions des tribunaux d’instance et des cours d’appel (ce qui serait déjà une violation), mais plutôt des autres Cours suprêmes dans leur ordre de juridictions comme le Conseil d’Etat et la Cour de cassation. Et pourtant, on le sait bien, les décisions de ces deux derniers Cours sont aussi définitives, c’est-à-dire qu’elles sont susceptibles d’aucun autre recours.
Nous pensons que cet arbitraire doit être corrigé au plus vite, ce d’autant que dans la famille de droit romano-germanique à laquelle la RDC appartient, le juge n’est qu’une bouche pour dire la loi. Il ne peut pas inventer selon son bon vouloir n’importe quelle règle à travers la jurisprudence et l’imposer à tous. Pourtant, nous voyons à travers les arrêts sous R.CONST 1800 et sous R.CONST 2259, que la Cour constitutionnelle a inventé ses nouvelles et propres voies de recours (au grand dam de ce que prévoit la loi) en se positionnant comme un Léviathan judiciaire qui peut annuler impunément toute décision de justice.
Compte tenu de toutes ces violations et du fait que le Conseil d’Etat pourrait faire de la résistance contre la jurisprudence de la Cour constitutionnelle (ce qui aurait comme conséquence un enchevêtrement des décisions contradictoires entre deux ordres de juridictions distincts), nous suggérons une médiation du Président de la République au sujet de ce contentieux électoral du Kongo Central. Il peut le faire en qualité de garant du respect de la Constitution et arbitre du fonctionnement régulier des pouvoirs publics et des institutions (article 69 de la Constitution)[14].
[1] Pierre BRUNET, Francis HAMON et Michel TROPER, Droit constitutionnel, 44ème éd., 2023-2024, LGDJ, p. 807.
[2] Le contrôle a priori peut aussi être enclenché par le Président de la République, le Premier Ministre, le Président de l’Assemblée Nationale, le Président du Sénat ou le dixième des Députés ou Sénateurs pour faire déclarer une loi ordinaire à promulguer non conforme à la Constitution du 18 février 2006 telle que modifiée à ce jour.
Le Procureur Général près la Cour peut également saisir la Cour constitutionnelle pour un contrôle a priori des actes législatifs et règlementaires concernés, à l’exception des traités et accords internationaux, lorsqu’ils portent atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine ou aux libertés publiques.
Lire à ce sujet : Grâce MUWAWA LUWUNGI, « Note critique de l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 22 juillet 2022 en inconstitutionnalité de l’arrêt REA 183 du 27 mai 2022 du Conseil d’État », in LegalRdc, https://legalrdc.com/2022/08/16/note-critique-de-larret-de-la-cour-constitutionnelle-disant-inconstitutionnel-un-arret-du-conseil-detat/ (non paginé).
[3] Idem (non paginé).
[4] Cour constitutionnelle, R.CONST 1272 du 4 décembre 2020, Sixième feuillet.
[5] Grâce MUWAWA LUWUNGI, Op.cit, non paginé.
[6] Cour constitutionnelle, R.CONST 2259 du 31 mai 2024, Quatorzième feuillet.
[7] Louis FAVOREU, La Constitution et son juge, éd. Economica, p. 1040.
[8] Michel FROMONT, « Le recours individuel dirigé contre une décision de justice pour violation d’un droit fondamental dans la République fédérale d’Allemagne », pp. 141-160 in Marthe Fatin-Rouge STEFANINI et Caterina SEVERINO (dir.), Le contrôle de constitutionnalité des décisions de justice : Une nouvelle étape après la QPC ?, Confluence des droits [en ligne]. Aix-en-Provence : Droits International, Comparé et européen, 2017. Disponible sur Internet : http://dice.univ-amu.fr/fr/dice/dice/publications/confluence-droits.
[9] « Loi relative à la Cour constitutionnelle fédérale dans la version publiée le 11 août 1993 (Journal officiel fédéral – BGBl I p. 1473), modifiée dernièrement par l’article 2 de la loi du 12 avril 2024 (BGBl. 2024 I n° 121).
Disponible sur internet : https://www.bundesverfassungsgericht.de/SharedDocs/Downloads/FR/Gesetze/BVerfGG.pdf?__blob=publicationFile&v=6
[10] Hubert ALCARAZ, « Le recours d’amparo contre les décisions juridictionnelles Le cas de l’Espagne », in Marthe Fatin-Rouge STEFANINI et Caterina SEVERINO (dir.), Op.cit., pp. 161-175.
[11] Joseph DJOGBENOU, « Le contrôle de constitutionnalité des décisions de justice : une fantaisie de plus ? », Disponible sur internet : https://afrilex.u-bordeaux.fr/wp content/uploads/2021/03/DJOGBENOU_Quelques_propos_sur_le_controle_de_constitutio_nalite_des_decisions_de_justice_type_2_co-.pdf
[12] Francis HAMON et Michel TROPER, Droit constitutionnel, 44ème éd., 2022-2023, LGDJ, p.844.
[13] Cour constitutionnelle, R.CONST 1272 du 4 décembre 2020, Sixième feuillet.
[14] Nous n’avons pas écrit cette dernière phrase de gaité de cœur car, en temps normal, si le juge constitutionnel n’avait pas violé les dispositions de la Constitution par l’audace démesurée de sa jurisprudence, nous ne serions pas en train de demander l’arbitrage du Président de la République, ce qui est aussi, nous nous en convenons, une infantilisation du pouvoir judiciaire.
Nous le savons bien, en Afrique on se plaint très souvent des incursions du pouvoir exécutif dans le pouvoir judiciaire que certains qualifient même, avec raison, de dérive dictatoriale. Mais, en lieu et place de se plaindre des tentatives d’incursions du pouvoir exécutif, nous pensons que les magistrats et juges (pouvoir judiciaire) devraient plutôt faire un travail irréprochable qui ne se laisse guider que par le respect de la Constitution et des lois de la République. Ce n’est qu’à ce tire là et s’ils s’emploient à produire un travail à la hauteur de leur responsabilité que les magistrats et juges sauverons l’indépendance du pouvoir judiciaire et limiterons les incursions du pouvoir exécutif. Tout est question du sérieux que l’on se donne.
Malheureusement, ce n’est pas en violant eux-mêmes la Constitution qu’ils contribuerons à la respectabilité de l’institution judiciaire et le contentieux électoral du Kongo Central (pour lequel nous demandons l’intervention et l’arbitrage du Président de la République) est un exemple patent.