(Par Antoine-Dover Osongo-Lukadi)
Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo, Président de la République

Constant Mutamba, Vice-Premier Ministre, Ministre de la Justice et Garde des Sceaux
Tribune d’expression libre
« Félix Tshisekedi et Constant Mutamba pour un apport exponentiel du développement et de transformation de la RDC et la solution au problème congolais par une approche prioritairement épistémique, praxique plutôt que politique »
1. Le chainon manquant du mandat présidentiel et système Tshisekedi
Pour commencer, juger en termes des chiffres le mandat politique d’un homme politique pour déduire en qualité et en quantité son bilan nous paraît d’emblée peu objectif, surtout s’il court encore et toujours. Nous ne nous muons pas ni en porte-parole ni en communicateur attitré du chef de l’Etat, qui a pour cela un personnel confiant et outillé en la matière. Reste que pour avoir suivi son action politique au lendemain de son élection jusqu’aujourd’hui, force est de constater que Félix Tshisekedi a eu plusieurs résultats positifs, particulièrement au plan social, au point que ce serait grotesque, hérétique de ne pas le reconnaître. Evidement qu’il a, en cinq ans d’exercice, réalisé ce qu’aucun autre chef de l’Etat n’y était arrivé dont la gratuité de l’enseignement de base, la gratuité de la maternité, la gratuité de l’assurance maladie universelle aux professeurs de l’Enseignement Supérieur et Universitaire de notre pays, le projet des 145 territoires, l’aménagement routier sur plusieurs kilomètres, réaménagement des stades sportifs, Trans Academia, et aujourd’hui avec l’arrivée à la tête du Ministère de la Justice de Constant Mutamba, la réorganisation structurelle de tout l’appareil juridique et judiciaire dont la bancarisation en cours des taxes pénales et ce n’est qu’un début. Par ailleurs nous serons d’accord que c’est sur le plan sécuritaire et donc politico-militaire que le bilan du chef de l’Etat est famélique. Nous en avions déjà dit assez dans nos nombreuses publications scientifiques et politiques, que tout ceci est plus clair de nos lecteurs et auditeurs politiques, scientifiques ou populations lambda. Pour résumer en quelques mots ce que nous avions demandé au président de la république, c’était primo penser à réformer l’Etat congolais par la refonte du système électoraliste, unitariste pour le système fédéraliste comme seul moyen de contrer la balkanisation de la République Démocratique du Congo et secundo par l’obtention de la paix à l’intérieur de nos frontières par l’initiation et la culture citoyenne de la guerre perpétuelle, dans la mesure où un adage bien célèbre dit que «qui veut la paix, prépare la guerre »…
Constant Mutamba que nous n’avons ni vu ni rencontré de toute notre vie est sans doute non seulement l’homme qu’il faut à la place qu’il faut mais l’homme d’Etat qui manquait au rouage politique de Félix Tshisekedi pour crédibiliser en interne comme en externe son action politique à la tête de cet immense pays qu’est la République Démocratique du Congo. Un pays qui ne manque pas d’hommes politiques ni d’hommes tout court. Ceux-ci, les hommes politiques, se recrutant à tous les étalages. Malheureusement, ce ne sont pas tous les hommes politiques, qui sont des hommes d’Etat.
Dans notre pays, il n’y en a pas beaucoup voire tout court il n’y en a pas. Et s’il y en avait, on peut les compter sur le bout des doigts. Ce que nous avons en hommes politiques, c’est une pègre des tribalistes, des clanistes, des tricheurs, des escrocs, des voleurs et détourneurs des deniers publics, sans foi ni loi. Des hommes politiques limités au nombrilisme réfractaire dont seul compte leurs femmes, leurs enfants, leurs nièces, leurs neveux, leurs oncles, leurs tantes, leurs cousins et cousines, sans compter leurs diverses connaissances. Leur conception du pays se résume au bénéfice financier, à comment ils vont s’y retrouver. Le partage est un délit passible de peine de prison à vie voire de mort. Puisque la seule obligation -, pour cette race d’hommes politiques véreux, futiles, séniles -, des pauvres et des chômeurs c’est d’y mourir comme tels. Il n’y a aucun miracle de se retrouver à la présidence, au parlement, à la gouvernance comme conseiller, fonctionnaire ou travailleur simple si l’on n’est pas membres des familles biologiques de ces hommes politiques.
Les élites sont un danger contre leurs intérêts. Les penseurs, les analystes, tous ceux qui critiquent, réfléchissent n’y sont pas les bienvenus.
Or, il se fait que et pour la toute première fois, nous comptons au gouvernement de la république un jeune ministre de la Justice qui sort du lot car, il appelle tous les chats par leurs noms ; un jeune ministre qui n’a pas froid aux yeux, au point que publiquement à Kisangani lors de l’anniversaire du Congocost affirma son adversité à l’encontre du président rwandais en fonction en ce moment ; c’est qu’avant son avènement aucun autre membre du gouvernement n’en n’avait osé.
Ce Ministre est d’un autre genre. Un intellectuel, non pas au sens d’un diplômé, mais au contraire de celui qui réfléchit et fait accompagner son réflexif par une praxis éthique et/ou morale. Il ne suffit donc pas d’un doctorat pour être exempt d’un comportement reprochable. Nous avons vu, lors des dernières élections générales du 20 décembre 2023, des professeurs d’universités, dont des « juridistes », emporter et dissimuler chez eux des machines à voter pour tenter de se faire élire en toute illégalité par eux-mêmes, leurs familles et plusieurs de leurs sympathisants.
C’est donc la preuve que l’intelligence et la raison seules ne suffisent pas, elles doivent être accompagnées par une praxis irréprochable. Constant Mutamba est celui, au gouvernement actuel, qui nous paraît être le seul ministre qui allie en lui intelligence, rationalité et praxité.
C’est ce que nous allons montrer, en nous inspirant à partir de nos plusieurs interventions passées et encore à venir dans les colloques internationaux tant à l’extérieur du pays qu’à l’intérieur.
2. Les bases épistémologique et praxéologique de la politique du développement et de transformation d’un pays
Si le mouvement de la science est linéaire, celui de la philosophie est dialectique. La science est linéaire en tant qu’obsédée par le succès, le progrès, le pas en avant, jamais en arrière. La philosophie est avance et recule, bon et bondissement, continuité et discontinuité dans un toujours-déjà en mouvement perpétuel pensé et pensant en tant qu’activité proportionnellement dynamique voire dynamisante où la contradiction n’est pas que nécessairement conflit mais également accord où l’autre accompli l’accomplissement, c’est-à-dire, la discussion ou un accord entre sujets échangeant, communiquant. Pour rappel, la Théorie de l’agir communicationnel (1981) est la monumentale publication de Habermas. Il s’y est distingué par la distinction de deux types d’agir l’un stratégique et l’autre communicationnel. L’agir stratégique est celui par lequel on cherche à exercer une certaine influence sur l’autre (procédé mis en œuvre par la publicité ou le discours de propagande politique), et l’agir communicationnel, est celui par lequel on cherche simplement à s’entendre avec l’autre, de façon, à interpréter ensemble la situation et à s’accorder mutuellement sur la conduite à tenir. Habermas est ainsi conduit à s’interroger sur les conditions de l’intercompréhension dans le processus de communication.
Partant du constat que tout locuteur se réfère à un au-delà du discours (le monde vécu) qui n’est pas nécessairement partagé par l’auditeur, et que ce qui est compris par l’auditeur est au fond plus important que ce qui est dit par le locuteur, Habermas a mis au point une « éthique de la discussion », afin de garantir entre le locuteur et l’auditeur une authentique compréhension mutuelle.
Ainsi, pour que mon énoncé soit digne de figurer dans un procès d’intercompréhension, il faut qu’il soit sensé, qu’il soit compréhensible pour mes interlocuteurs, qu’il n’exprime ni autorité, ni intimidation, ni menace (sinon l’on retombe dans l’agir stratégique) et qu’en dernier ressort, il soit susceptible d’être admis par chacun et par tous comme étant valable. Ici se dessine un modèle démocratique du consensus, modèle que prescrit la « raison communicationnelle » quand on l’applique au domaine du politique. Habermas espère ainsi sortir la démocratie des ornières dans lesquelles le complexe technico-scientifique l’a fait tomber[1]. Autrement dit ce que les Allemands appellent bien volontiers « Zuzamenhang-leben » que les Français nomment le « Vivre-ensemble ».
Toutefois, c’est par la science et avec la science qu’il est possible de prime abord à un homme isolé et ensuite à une communauté de se développer, de se transformer, de se créer et de se recréer, de produire et de se reproduire, d’inventer et de se réinventer. Or, qui dit science dit épistémologie. D’où, l’on interpelle les peuples et races en échec scientifique, technologique à se forger une mentalité scientifique et épistémologique pour prétendre à une vie meilleure et acceptable.
Il est vrai qu’on pourrait s’interroge sur la pauvreté, la misère de certains peuples, de certaines races par rapport à la richesse et l’opulence d’autres peuples, mais l’on s’y égarerait pour penser que le nœud de la solution est politique, sociologique, psychologique, historique, anthropologique ou prioritairement ontologique, mais au contraire épistémologique, car tout ceci ne devient possible à tout être humain qu’en se forgeant une mentalité scientifique.
Nous sommes convaincu qu’il y a réciprocité entre la science et le développement. Autour de cette relation, on construit une maison finalement à trois où l’épistémologie, c’est-à-dire la capacité qu’a tout être humain de se développer et de se transformer par l’importance qu’il accorde à la recherche scientifique et technologique, car l’une ne va jamais sans l’autre. La réflexion philosophique est née sœur jumelle, et longtemps non discernable, de la science.
Mais, à mesure qu’une dissociation s’ébauchait, une interrogation sur la nature de la science prenait une forme de plus en plus précise. Les doutes qui sont apparus chez certains, à différentes époques, sur la portée et la valeur de cette connaissance ont parfois donné un tour polémique à la philosophie de la science. Aujourd’hui même, l’accélération du progrès scientifique, l’irrésistible développement des pouvoirs qu’il confère aux utilisateurs et aux administrateurs de la science posent des questions dont l’urgence facilite mainte confusion entre l’étude proprement épistémologique et la réflexion éthique et politique sur le rôle de la science dans nos sociétés.
L’’épistémologie est une manière d’engager une profonde réflexion surla connaissance et le besoin insatiable de l’homme à assouvir sa curiosité. L’épistémologie désigne l’étude des sciences. Rechercher un enracinement épistémique à la capacité créatrice, productrice, inventrice et donc éminemment transformatrice à tout être humain est notre préoccupation capitale pour l’émergence et l’épanouissement de la République Démocratique du Congo dans le concert des pays développés holistiquement.
Cette préoccupation est vaste car, il s’agit au regard de l’essence de son fondement, dont la question consiste à savoir comment par la science, grâce ou à cause de la science, on égaliserait le développement, la transformation des peuples ? Une question qui en appelle bien sûr celle de savoir que faut-il faire pour amener les peuples, les races des continents en panne de transformation et de développement à pouvoir s’imprégner d’une épistémologie aussi prépondérante, imminente, conquérante qui les rendrait aussi meilleurs que ceux dont la science a porté ses fruits, l’Europe en général et sa partie occidentale plus précisément ? Tel est incontestablement le nœud gordien de la problématique soulevée par l’auteur. Parce qu’il est convaincu voire persuadé que l’écart développant et transformant qui existe entre les peuples qui se sont appuyés sur la science pour se développer et se transformer et ceux qui n’y sont pas encore arrivés voire jamais parvenus a pour source et cause le sous-développement épistémique et praxique des peuples et des races.
Ceux qui pensent, qui réfléchissent mieux ou encore produisent la science et une bonne science se développent et se transforment tandis que ceux qui négligent la science voire produisent une mauvaise science se coincent, se freinent et conséquemment ne se développent pas et ne se transforment non plus.
C’est dans cette dialectique contraignante que se joue haut la main le destin des peuples, des races et des nations. On tombe ici, consciemment ou inconsciemment à la question du rapport des forces entre pays, peuples ou races développés et peuples, pays ou races sous-développés, autrement dit sur le « dialogue » Nord-Sud. Clairement et explicitement, nous voulons monter en y insistant sur l’importance de la science et davantage encore sur un appel du pied fait aux pays du Sud et à ceux africains en particulier à prendre exemple en cette matière-ci sur ceux du NORD. Pourtant sans chercher à nous agripper sur un détail du travail qui n’est que partiel, il y a lieu de montrer tout de même que l’essentiel des ressources naturelles qui fournissent une embellie scientifique au NORD se trouve, mieux, puisé au SUD et plus particulièrement en Afrique subsaharienne.
Car, sans ces ressources exploitées éhontement par le NORD, la science occidentale, en dépit de l’ingéniosité de ses producteurs de souche, n’aurait pas atteint son degré de créativité, de productivité et d’inventivité qui est la sienne, surtout en ce moment. Cette interdépendance entre avancées scientifiques occidentales et exploitation des ressources naturelles afro-subsahariennes mérite d’être mise en évidence clairement, non pas pour trouver la moindre excuse à la lassitude épistémique des peuples du SUD et d’Afrique noire en particulier, mais pour faire justice aux exploités et en même temps faire porter une partie de chapeau aux exploiteurs sur la déliquescence, la faiblesse, la lenteur épistémologique des peuples épistémologiquement sous-développés.
C’est justement pour cette raison précise que nous avions accordé une attention soutenue et très entretenue aux problèmes du développement et de transformation de l’Afrique noire attentiste et contemplative en la matière, en plus d’y être épistémiquement arriérée, dépassée, retardée. Quiconque a travaillé dans le domaine du développement en Afrique noire sait à quel point l’aide étrangère est considérée par les autorités et les populations bénéficiaires comme une chose naturelle, et à quel point il est difficile d’obtenir la participation des populations à la réalisation des projets, même lorsque les priorités sont définies par elles.
Comme le souligne Axelle Kabou, « les Africains sont les seuls individus au monde à croire que leur développement peut être pris en charge par d’autres personnes que par eux-mêmes ». Et il n’est pas exagéré d’écrire qu’en Afrique noire, il n’y a pas, à proprement parler, de combines, car la norme c’est cela. Les Africains attendent et reçoivent tout de l’Occident, oubliant que la main qui donne est toujours au-dessus de la main qui reçoit ; ils contemplent passivement la technoscience occidentale, oubliant que la contemplation est « l’action par excellence » comme l’exprime Maurice Blondel ; ils copient tout mais copient mal en sombrant dans le quiétisme pour emprunter le concept préféré que nous empruntons à Sartre; ils se complotent pour compromettre leur propre avenir et deviennent complices de l’oppression étrangère.
Dans ce contexte, il n’est nullement surprenant, paraphrasant A. Kabou, que l’opprimé devienne complice intime de son oppresseur. L’Afrique se lamente depuis quatre siècles qu’elle est opprimée et victime de l’histoire : la traite négrière, la colonisation, l’apartheid, la détérioration des termes de l’échange, la dette extérieure, le complexe d’infériorité raciale et culturelle, la nostalgie morbide de la passe précoloniale, le racisme interafricain, le néo-colonialisme, etc.
Bref, elle se représente le sous-développement comme l’unique produit des manigances et de la malveillance de puissances extérieures déterminées à la maintenir dans un état de sujétion. L’Afrique est profondément persuadée que l’essentiel des responsabilités de la détérioration se situent en dehors du continent ! Les Africains ne se perçoivent pas comme des êtres aptes à influer sur le cours de leur propre existence. Ils sont persuadés de n’être, en rien responsable de leur sort. C’est ainsi que dans son ouvrage intitulé « Et si l’Afrique refusait le Développement » (Paris, l’Harmattan, 1991), Axelle Kabou tente de comprendre pourquoi un continent qui se présente comme la victime d’un complot extérieur séculaire s’embourbe dans l’invective et lamendicité ? Pourquoi l’Afrique qui dispose d’énormes richesses et qui a bénéficié d’un soutienconceptuel exogène extraordinaire reste colonisable après plus de décennies de liberté ?
L’auteur se pose la question fondamentale de savoir comment l’Afrique perçoit la notion de développement et démontre les mécanismes du processus conceptuel par lequel ce continentrejette le progrès. Il existe sans nul doute une sorte de prescription tacite interdisantformellement de relier directement la situation actuelle de l’Afrique au comportement de seshabitants. En effet, jusqu’à présent le malaise africain a toujours été décrit dans le cadre des effets pernicieux de la conjoncture mondiale. Et par pudeur personne n’ose plus dire la vérité.
De ce fait, nous affirmerions avec A. Kabou, que l’Afrique qui se lamente d’être opprimée a toujours été complice de son oppression. Les blessures connues au cours de l’histoire (traite négrière, colonialisme), voire les guerres, aujourd’hui, ne sont pas les fruits de l’imposition extérieure, mais de la volonté participative et coopérative des Africains autochtones pour nuire à leurs propres frères Africains au profit des Occidentaux. Là on pique à point nommé la pertinence de cette assertion pour parler de la volonté assimilée des Africains au triste sort qu’ils assument.
Ce sont nos propres ancêtres qui vendaient leurs frères en esclavage moyennant un sac de sel, ce sont des Africains qui torturaient leurs propres frères avec les fouets pendant la colonisation sous le commandement des colons, ce sont des Africains qui tuent leurs propres frères pendant la guerre avec les armes venant de l’Occident. L’ennemi de l’Africain c’est l’Africain lui-même. Les Africains continuent à sombrer dans la nostalgie et mémoire blésée oubliant que « l’important ce n’est pas ce qu’on a fait de nous, mais ce que nous-mêmes nous faisons de ce qu’on a fait de nous», précise Jean Paul Sartres. Dans ces conditions, comment penser le progrès ?
De la sorte, le désir africain du progrès n’est et ne restera qu’un vain mot vociférant, menaçant mais sans encrage véritable, réel avec la réalité vécue ailleurs.
L’Afrique noire, se convainc A. Kabou, n’a pas encore décollée du point de vue développement car elle refuse obstinément de choisir cette voie. En effet, les Africains mettent en arrière-plan la méthode et l’organisation, ils gaspillent leurs ressources, sabotent le bien commun et tout ce qui pourrait fonctionner durablement. Selon Axelle Kabou, les Africains détestent la cohérence, la transparence, la rigueur. Leur faveur va systématiquement au bricolage, au terrorisme technologique, à l’improvisation et à la navigation à vue.
L’Afrique est une grande gaspilleuse de temps, d’argent, de talents, d’énergie. Momifiée à l’extrême, incapable de se mouvoir à la vitesse des exigences de sa situation catastrophique, elle reste sourde aux réalités du monde. C’est un continent qui se distingue par un mépris souverain pour la créativité, la diffusion du savoir technique, par une absence terrifiante d’imagination et un conformisme meurtrier.
Comme dans la plus belle de ses traditions, la curiosité n’est pas une valeur prise. La volonté de démarcation culturelle n’est pas uniquement l’apanage de l’Afrique. Toutes les sociétés humaines ont élaboré des systèmes d’auto-signification pour se distinguer des autres. Cependant, l’Afrique outrepasse dangereusement le seuil minimal de singularité, de démarcation et de spécificité culturelle. La technique reste perçue comme quelque chose du blanc qu’on utilise plus ou moins dédaigneusement, sans chercher à s’en emparer.
II est clair, pour A. Kabou, que le relativisme culturel occulte la question fondamentale du gap technologique existant entre l’Afrique et le reste du monde, par un tour de passe-passe égalitariste qui résiste difficilement à l’épreuve des faits.
La supercherie a consisté à diaboliser la machine du blanc et à accorder une promotion raciale et culturelle au nègre primitif. Le particularisme, on le sait, est une constante inhibant de l’histoire du progrès des brassages culturels en Afrique. Bien que le reste du monde sait désormais que le développement est plus largement due en emprunt l’intelligent à d’autres civilisations qu’au génie intrinsèque d’un peuple, les Africains feignent de l’ignorer ou refusent de l’admettre et continuent de croire que la renaissance de leur culture précoloniale est l’unique condition préalable de leur développement.
Mais, comme solution, les Africains, poursuit Axelle Kabou, ont misé sur la voie du particularisme et du relativisme.
En effet, pour combler la faille profonde du sous-développement technique, les Africains ont choisi la voie facile du particularisme et du relativisme culturel. L’Afrique se barricade donc derrière une philosophie culturaliste fallacieuse et proclame la survalorisation des cultures africaines considérées comme autonomes et archaïques. C’est là l’erreur fondamentale, le relativisme culturel n’est pas transposable au plan technologique ! Ce qui ne signifie nullement que les Africains doivent renoncer à leurs valeurs de civilisation.
Au contraire, ils devraient dresser un inventaire de toutes ces valeurs qui pourraient fournir une base solide à tout projet de développement cohérent, et à rejeter les valeurs objectivement nuisibles au progrès. Cette démarche n’a cependant aucune chance de réussir tant que subsistera l’obstacle psychologiquement majeur qui veut que le développement soit perçu au départ comme un phénomène anti-africain et/ou comme la chose de l’homme blanc, puisque les efforts de développement sont toujours ressentis comme des aveux d’impuissance, de faiblesse, d’infériorité culturelle et raciale. L’absence de tradition critique est, sans contester, un des autres signes majeurs du sous-développement. L’Afrique semble incapable à interpréter les changements intervenus dans le monde et élaborer des stratégies pour y faire face.
A telle enseigne que l’émergence d’un esprit analytique fécond parait se heurter essentiellement à trois obstacles bien connus, notamment les tabous traditionnels, l’absence de démocratie, et à une pierre d’achoppement insoupçonnée mais, de taille :la sorcellerie.
Pourtant, l’Afrique gagnerait de l’avis d’Axelle Kabou à revoir ses modes de pensée de fond en comble, afin de comprendre comment elle effectue des choix qui expliquent amplement sa situation actuelle. La contradiction reste trop souvent perçue comme un devoir d’anti-occidentalisme immunisant l’Africain contre les bactéries d’une civilisation technicienne blanche. Le mythe de l’infériorité de l’Africain reste donc d’actualité. C’est pour cela que ce continent veut incarner la pureté de l’âme humaine en se félicitant d’avoir résisté au démon de la machine. C’est aux mythes des primitivistes (à la Levy-Brul), ou aux contre-mythes inventés par les Africains eux-mêmes (l’Africa félix pré-coloniale) et les africanistes en général (à la Tempels et Griaule), connus à des fins de réhabilitation culturelle et raciale des nègres opprimés, que se trouvent précisément les causes du sous-développement.
Pour que cette mascarade change, les tabous pesant sur les mentalités africaines doivent disparaitre. En lieu et place d’un territoire épistémologique, l’Afrique explique A. Kabou est restée une Afrique foncièrement traditionnaliste. L’Afrique est restée profondément ce qu’elle a toujours été : un terroir de traditionalisme.
D’où, il ne croit pas à l’aliénation culturelle. Ces mythes ont pour seule fonction d’instaurer un climat de résistance à la pénétration d’idées nouvelles dans les mentalités. L’Afrique n’est pas en danger d’occidentalisation. Cette pseudo-aliénation a pour fonction de cacher l’extraordinaire homogénéité des modes de pensée en Afrique contemporaine, et l’inexistence d’une couche sociale capable d’assumer les transformations imposées par la détérioration croissante de la situation économique.
3. Urgence de l’émergence en Afrique subsaharienne d’une praxis du développement et de transformation ontologico-politique
Si le politique africain subsaharien a échoué jusqu’à présent dans son effort du développement et de transformation ontologico-anthropologique de son espace-temps, c’est prioritairement à la suite de sa déficience épistémique, mais également praxique, ce que nous désignons par l’absence d’une moralité digne, impeccable voire irréprochable.
Cette moralité se trouve évidemment dans la grille de lecture des valeurs africaines traditionnelles, mais étant donné l’esclavage et la colonisation, deux grandes et graves blessures qui ont occasionné l’acculturation et l’aliénation du continent subsaharien, nous pensons référer l’homme africain subsaharien à l’éthique kantienne.
La particularité de cette éthique voire de cette moralité kantienne est qu’elle établit une liaison indéfectible entre notre rationalité (notre façon de réfléchir, de penser) et notre « praxité » (notre façon de nous comporter, de nous conduire). Quand on observe bien Constant Mutamba, on voit bien que dans son penser, son réfléchir et dans sa conduite, cette connexion est bel et bien présente. D’où la célèbre distinction que Kant établit entre deux impératifs dont l’un est hypothétique et l’autre catégorique. Le premier, l’impératif hypothétique, est celui que nous utilisons généralement, surtout en politique politicienne, qui représente « la nécessité pratique d’une action possible, considérée comme moyen d’arriver à quelque autre chose que l’on veut » ; le second, l’impératif catégorique, représente « une action comme nécessaire pour elle-même ».
Cet impératif hypothétique comprend tantôt de simples règles de l’habileté : il faut faire ceci pour obtenir cela ; tantôt des conseils de prudence : il faut agir ainsi pour être heureux. En cela il est totalement dépouillé de toute moralité, de toute éthique parce qu’il suffit de déduire les moyens de la fin, réelle ou supposée. Seul donc l’impératif catégorique, qui fait de l’intention, et non des conséquences de l’acte, le principe de sa bonté, a un contenu moral. L’impératif catégorique n’a, par définition, aucun objectif déterminé. Il commande d’agir selon la loi, mais sans considérer les fins de l’action. Son contenu est donc réductible à la simple forme de toute loi : l’universalité. Premièrement « agir c’est agir universellement ». Agir moralement, c’est alors fonder le principe de son action sur la possibilité de son universalisation : « Agis uniquement d’après la maxime qui fait que tu peux vouloir en même temps qu’elle devienne une loi universelle ». Pour donner à comprendre cette formule d’apparence singulière, Kant fournit quelques exemples.
Nous les commenterons en détail plus bas. Retenons pour le moment que le suicide, la malhonnêteté, la paresse et l’égoïsme sont condamnés grâce à ce critère d’universalité. Il n’est pas question de savoir quelles seraient les conséquences, pour l’état du monde et de la société, d’une loi établissant comme principe universel ces quatre comportements. Il s’agit plus simplement de constater que l’universalisation des maximes de ces actions produit une autocontradiction, soit dans la formulation même de la maxime, soit dans la volonté qui en poursuivrait la réalisation.
On peut bien vouloir se suicider mais il est inconcevable de vouloir que le suicide devienne na normale universelle de l’action humaine. Deuxièmement « agir moralement ou éthiquement, c’est faire de la dignité et du respect le principe de l’humanité. Ce deuxième principe moral ou éthique est la conséquence évidemment du premier principe qui détermine au moins partiellement la manière possible du devoir. Celle-ci ne peut en aucun cas être un objet d’expérience, puisque cette soumission de la volonté à la sensibilité détruirait la moralité. Il faut donc que la fin de l’impératif catégorique, celle qui pousse l’être raisonnable à se soumettre au critère de l’universalisation, soit une fin en soi, quelque chose qui ait une valeur absolue. Or, le seul être qui ne peut jamais être réduit à un moyen, c’est l’homme.
La volonté n’est morale que si elle se donne pour motif le respect de celui qui est le porteur de la volonté, l’humanité. Ce faisant, elle ne poursuit rien d’extérieur à elle-même, mais seulement l’être particulier qui est doué de cette faculté de vouloir. L’homme n’est pas une chose, mais une personne ; il ne peut pas être employé seulement comme un moyen, mais il doit l’être toujours en plus comme une fin.
D’où, la formule : « Agis de telle sorte que tu traites l’humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre toujours en même temps comme une fin, et jamais simplement comme un moyen ». Après avoir appliqué ce principe aux quatre exemples déjà considérés, Kant fait un pas de plus dans la détermination complète de l’impératif catégorique, en introduisant l’idée de législation universelle, qui effectue la synthèse entre l’universalité de la première formule et la notion d’être raisonnable de la deuxième. Enfin troisièmement l’établissement d’un principe de règne des fins et d’êtres raisonnables et libres. Ce troisième moment de détermination de l’impératif catégorique, poursuit O. Dekens, fait de l’homme le principe d’un règne des fins constitué de l’ensemble des êtres raisonnables et libres dont les volontés se sont d’elles-mêmes soumises au test d’universalisation des maximes. Cette idée de règne des fins est étroitement liée à celle d’autonomie de la volonté. Quand la volonté n’est déterminée à agir par elle-même, quand son seul objet est l’humanité, elle établit une législation universelle liant systématiquement les êtres raisonnables par des lois communes, étant entendu que le règne ainsi créé est idéal, et non réel.
La moralité est alors définie comme la nécessité pratique d’agir selon un principe qui soumet chaque maxime à la condition de pouvoir participer à une législation universelle. La volonté de l’être raisonnable est donc toujours en même temps sujet de la loi et législatrice ; elle ne se soumet finalement qu’à elle-même en obéissant à la loi morale. Cette double dimension de l’être raisonnable lui confère une dignité. Bien des qualités peuvent être utiles à la vie, mais elles ont toutes un prix, c’est-à-dire, qu’on peut toujours leur trouver un équivalent. L’humanité en revanche, en tant que fin en soi, doit être placée au-dessus de toutes les valeurs d’échange, et c’est à ce titre qu’elle est objet de respect. L’itinéraire suivi jusqu’ici a permis à Kant de donner une forme, une manière et une détermination complète à l’impératif catégorique.
Revenant alors en arrière, Kant reprend sa définition initiale de la bonne volonté, en lui donnant une caractérisation définitive. La formule d’une volonté absolument bonne est alors la suivante : « Agis selon des maximes qui puissent se prendre en même temps elles-mêmes pour objet comme lois universelles de la nature ».
Le déficit africain subsaharien et congolais, en particulier, est dû à ce vide éthico-moral kantien dans la façon de raisonner et de nous comporter. C’est ainsi qu’en panne épistémiquement et praximent, l’Afrique subsaharienne ne connaît pas de révolutions sociales.
Car, pour A. Kabou, il n’y a aucune différence de mentalité entre les intellectuels et les masses. Parce qu’aucune dictature, écrivît A. Kabou, ne peut se maintenir durablement dans un pays par son seul pouvoir de répression et de corruption. Seule la préexistence d’un terrain social et culturel favorable explique que de tels régimes puissent prendre racine et prospérer. La vie quotidienne des Africains n’est pas régie par un mouvement de balancier ou les cœurs saignants seraient constamment déchirés entre les deux termes d’une cruelle alternative : être ou ne pas être soi-même. II n’y a pas, à proprement parler de déracinement, mais plutôt une sorte de mauvaise conscience à l’égard des valeurs traditionnelles.
C’est en ce sens que le dualisme tradition-modernité est fallacieux : il postule le progrès des mentalités vers une ouverture après avoir diabolisé les valeurs de la modernité. Le métissage culturel donne un mythe reposant sur la conviction erronée que la compréhension des civilisations et des traditions réciproques est le préalable sine qua non de la communication interculturelle. Pour A. Kabou, trois éléments jouent un rôle déterminant dans le déclin de l’Afrique : l’absence de curiosité scientifique, l’absence d’écriture utilisée à grande échelle et l’absence de conscience identitaire élargie.
On ne dirait jamais assez à quel point la croyance à la sorcellerie a été, et reste, un frein d’une puissance insoupçonnée dans l’histoire de l’évolution sociale de l’Afrique. La puissance des tabous parait avoir été décisive pour ce qui concerne le progrès du savoir. A l’inverse de ce que l’on a observé ailleurs, en Afrique une désacralisation du savoir n’a jamais eu lieu. Plus on est diplômé, plus on croit être la proie désignée de la jalousie sociale et de la sorcellerie suicidaire, et plus on a recours au gris-gris pour s’en protéger. C’est l’Africain lui-même qui monte un projet de développement suicidaire.
De la sorte l’Afrique ne se meurt pas : elle se suicide dans une sorte d’ivresse culturelle pourvoyeuse de seules gratifications morales car la peur du progrès technique reste toujours liée au fantasme du bon sauvage. L’Afrique est dans une situation de cul-de-sac culturel aride dont aucune idée dynamique ne peut sortir. Il n’y a pas de boulimie de connaissances nouvelles. La mort des idéologies politiques, au sens strict de ce terme, signifie que, plus qu’auparavant encore, le monde se divisera désormais en civilisations techniciennes avancées[2] et en civilisations traditionnelles. Finalement pour Axelle KABOU, les Africains doivent cesser d’encourager les Occidentaux à multiplier en Afrique les projets de développement qui, à force de respect obligatoire pour les valeurs traditionnelles, ne développent que la misère, le fatalisme et les populations en haillons.
Le sous-développement commence par le sous-développement de la perception de soi et du monde extérieur, par l’immobilisme des mentalités et se perpétue par le retour des Africains lettres aux valeurs du terroir, sans condition. La pauvreté de l’Afrique ne s’explique que par le rejet borné du principe de l’emprunt à d’autres civilisations en vue d’une transformation en profondeur.
Pour conclure sans conclure
L’épistémologie en devenant la clé du développement et de transformation, en exemple et en héritage de l’Occident, les peuples du SUD et d’Afrique subsaharienne en particulier n’ont plus le choix entre demeurer dans l’émotion tristement célèbre de Senghor et la rationalité millénaire portée par Descartes, Kant, Hegel, Comte et plusieurs autres, dont Karl Popper pour ne point le nommer avec sa grandiose théorie de la « falsifiabilité » comme seul critère de démarcation entre une théorie scientifique et celle qui ne l’est pas.
Désormais, pour pouvoir espérer se développer, se transformer ou tout au moins combler le retard avec le NORD, les peuples, les races et les pays du SUD doivent s’impliquer totalement dans la voie épistémique, c’est-à-dire de la rationalité.
En réalité, si nous nous sentons autant et en premier concerné, c’est aussi et surtout par le contenu de nos propres charges horaires à l’Université Catholique du Congo où nous avons assumé les cours d’introduction à la philosophie, de l’éthique sociale, du séminaire d’éthique africaine, du séminaire de philosophie des sciences ; à l’Université Saint Augustin les cours d’anthropologie philosophique, de philosophie de l’histoire, de philosophie de la culture, du séminaire de phénoménologie ; à l’Institut Supérieur Pédagogique de la Gombe les cours d’éthique et déontologie professionnelle, de philosophie et logique, d’épistémologie où, d’une institution universitaire à une autre, nous avons pu effectivement, en échangeant avec nos étudiants, rattacher voire conditionner le développement et la transformation des pays du SUD, dont l’Afrique subsaharienne et la RDC plus particulièrement à la capacité épistémologique des peuples et des races de cette contrée.
En effet, dès son apparition dans le cosmos, selon ce qu’on appelle les Ecritures Saintes, l’homme est appelé non seulement à se développer, mais aussi à transformer. C’est une loi naturelle, inscrite en tout homme. D’ailleurs dès les premières lignes de la Bible, Dieu dit: « soyez féconds, multipliez, remplissez la terre et soumettez-la… » (Gn 1, 28). Dès sa naissance, l’homme a en lui un ensemble de facultés, de qualités, et d’aptitudes à faire fructifier. Son effort personnel lui permettra de s’orienter vers la finalité de sa vie. Doué d’intelligence, de raison et de liberté, il est véritablement responsable de son développement : « par le seul effort de son intelligence et de sa volonté, chaque homme peut grandir en humanité, valoir plus, être plus» (notait PAUL VI (PAPE), Populorum progressio. Le développement des peuples, Rome, Éditions Saint Paul-Afrique, 1967, p. 13).
A cet égard justement, avec son intelligence, l’homme doit construire l’œuvre de l’esprit dans l’univers. Centre et âme du monde, il doit en prendre possession et, pour cela, il doit en prendre connaissance afin d’y graver une image et d’y faire retentir un écho de la beauté parfaite qui ne retentit pas sans lui. Si Dieu a créé le monde, l’homme créature lui-même, a le pouvoir de, par la loi de son être, non de créer, mais de le transformer à l’image de sa pensée. Cette capacité de faire est donnée à tout homme de toutes les races sans distinction aucune.
Dans cette perspective, quelle est l’image que l’homme africain, le congolais en particulier se fait du monde ? Quelle est sa pensée ? Comment peut-on parler du projet de développement et de transformation de l’Afrique alors que les éléments culturels étrangers dominent ? Comment parler du développement de l’Afrique d’autant plus que les éléments culturels d’Afrique se laissent définir à partir des éléments étrangers ? Peut-on dégager à partir de la pluralité des facteurs étrangers, une unité fondamentale qui peut être fondement du projet de développement et transformation de l’Afrique ? Ce qui importe, comme le croyait déjà Adorno, c’est de découvrir, au sein de l’héritage culturel, ce qui est encore valable aujourd’hui pour s’en approprier la partie utilisable. Pour projeter de façon adéquate le problème de développement en milieu Africain, il convient de tenir compte du rapport d’africain à son milieu particulier et au monde en général.
Car, le contexte actuel est marqué par l’impact de plus en plus profond du phénomène de développement. Cet impact exige une réflexion philosophique sur ce phénomène en vue de dégager son vrai sens : sens qui peut se révéler humanisant pour l’Africain. Ainsi donc, les questions majeures peuvent se formuler en ces termes : Quelles sont les conditions et les formes pour l’avènement et la réalisation d’une société africaine ayant la maîtrise du développement enraciné et nourri par la culture africaine ?
Dorénavant, le développement holistique d’un espace-temps est essentiellement lié à la capacité épistémique des résidents et des ressortissants. Mais, il faut que la politique régente tout pour ce faire. Sans volonté politique, son implication responsable, non seulement il n’y a pas de science mais également aucun développement ni aucune transformation ne peut en sortir.
Un changement de mentalité s’y impose. Au-delà de faiblesses qui existent dans la culture africaine pour son développement, on ne peut non plus penser une transformation africaine sans la prise en charge de sa culture. Il a souvent été constaté, et déploré, que le développement en Afrique, conçu selon le modèle occidental, n’a pas fait beaucoup avancer la cause du continent noir. Dans beaucoup de pays, d’ailleurs, la situation semble être devenue pire qu’à l’époque coloniale.
Car, il n’est pas seulement question de l’exploitation des Africains par les grandes puissances économiques ; il faut également se demander si la culture africaine a été vraiment prise en compte dans les différents modèles de progrès économique et technique proposés.
C’est dans ce sens-là que nous adressant à la diplomatie congolaise nous manifestions nos regrets en ces termes : ‘Si les gouvernements et régimes précédents ont échoué, c’est parce qu’ils se sont laissés inféodés à l’idéologie politique, économique, sociale, culturelle, technologique du type occidental’(dans notre article intitulé « Théorisation et Praxisation scientifique :Essaie de refondation d’une ‘idéologie politique congolaise’ post –alternance historique, la transhumance, la stagnation ou comment déconstruire la souveraineté », in Revue Africaine du savoir, Vol. 10, No 10 , 2021-2022, p.7). Si nous avions mentionné les tares culturelles au développement, ce n’était pas pour saper les valeurs culturelles du continent noir. Car ces clés interprétatrices du sous –développement de l’Afrique ne sont pas déterminant pour bloquer l’Afrique devant la densité des valeurs culturelles qu’elle possède et qu’il suffit de reconnaitre et booster.
Aussi, ces valeurs culturelles considérées comme facteurs déterminants pour comprendre le sous-développement de l’Afrique constituent par contre les opportunités à partir desquelles penser un modèle de développement adapté pour l’Afrique en premier lieu.
Le développement serait, au contraire, l’effort permanent qu’une collectivité se doit d’accomplir pour adapter l’horloge biologique de ses membres ainsi que l’horloge cultuelle et rituelle de l’ensemble de ses composantes aux exigences devenues universelles de l’organisation sociétale moderne et du mode de production dominant.
En d’autres termes, le développement est cette quête perpétuelle d’homogénéisation des trois systèmes horlogers essentiels, qui inscrit dans le subconscient individuel et collectif l’idée irréversible de progrès dans les domaines de la pensée et de la production des biens matériels vitaux pour l’existence humaine. En fait, une société développée ou qui aspire au développement se distingue à sa capacité autonome et spontanée à imposer une discipline collective dans l’usage du temps en général et dans les services en particulier. Davantage encore que la capacité créatrice, productrice, inventrice générée par l’appropriation épistémologique, l’autonomie intellectuelle est également nécessaire à la prise en charge du développement. La politique étant un art, celui qui dirige doit détenir la science de la politique, à savoir connaître le Bien et le Juste.
Autrefois, Platon n’avait pas tort de croire celui qui dirige la Cité doit être un philosophe, seul à même de gouverner bien(le philosophe grec Platon le dit dans « La République », dans Œuvres complètes, Paris, Éditions Gallimard, 2008, p.229.). Il est temps que l’Afrique réalise que le capital humain dans sa dimension intellectuelle est l’un des atouts les plus importants du décollage économique.
Car, comme l’a souligné Adam Habib professeur des sciences politiques à l’université Witwatersrand en Afrique du sud que : « Les idées qui doivent développer l’Afrique doivent venir de ses intellectuels ».
C’est fondamentalement notre idée chère également. Ainsi, une nation qui aspire au développement, poursuit Adam Habib, doit valoriser trois modes d’expression de l’intelligence. Elle se doit de posséder un brain trust national : ce dernier peut être défini comme la masse critique des intelligences à partir de laquelle une nation peut compter sur elle-même pour résoudre de manière autonome ses propres problèmes de développement. Elle doit s’efforcer d’organiser un brain drain: il s’agit de l’immigration des cerveaux ; en d’autres termes, c’est le drainage vers le territoire national des meilleures élites mondiales qui doivent y trouver les conditions optimales d’exercice de leurs professions . C’est de cette manière qu’elles s’investiront pleinement dans les tâches du développement.
Le brain drain constitue l’apport extérieur essentiel en capital humain qui garantit les échanges d’idées avec l’extérieur. En ce sens, il est l’une des conditions d’un véritable transfert de technologie. Enfin, elle doit favoriser un vaste brain storming : c’est le bouillonnement des intelligences. Autrement dit, c’est ce brassage d’innovations, de modèles, de scénarios et de stratégies sur le développement de la nation. Le brain storming, en tant que phénomène national d’effervescence intellectuelle, doit reposer sur un substrat démocratique qui garantit le libre exercice de la créativité.
Il est en quelque sorte le prélude à une véritable révolution intellectuelle qui impulserait un phénomène de mutation des esprits dont tout processus de développement a besoin. Ces trois éléments pourraient constituer trois commandements d’ordre intellectuel[3], s’adressant avant tout aux élites dirigeantes, et qu’il importe de mettre rapidement en œuvre afin de donner aux intelligentsias d’Afrique l’autonomie intellectuelle nécessaire à la prise en charge du développement, dans un contexte de normes reconnues aujourd’hui comme universelles.
D’où le néologisme que nous avons forgé mettant en évidence un « nationalisme pragmatico –révolutionnaire » (dans notre article intitulé « Théorisation et Praxisation scientifique : Essaie de refondation d’une ‘idéologie politique congolaise’ post –alternance historique, la transhumance, la stagnation ou comment déconstruire la souveraineté », in Revue Africaine du savoir, Vol. 10, No 10 , 2021-2022, 13).
Il constitue une réponse face aux défis congolais et peut s’étendre au niveau africain. Il ne s’agit pas d’un modèle du développement mais plutôt d’un élan existentiel qui doit incarner les institutions en Afrique. Ceci dans sa coloration politique, c’est la capacité de créer des institutions fortes en faisant de la diplomatie et ministère de l’intérieur la pièce maîtresse de l’affirmation de soi face aux autres.
Car, la force d’un pays se trouve dans sa diplomatie. Une diplomatie de la responsabilité et une politique intérieure qui incarne un nationalisme pragmatico-révolutionnaire. Ce nationalisme tire sa source du Nationalisme zaïrois authentique prôné par le Maréchal Mobutu Sese Seko.
L’idée sous-jacente au concept et à cette idéologie dite « de l’authenticité » est la restauration de la philosophie anthropologique traditionnelle afin de faire face aux divers défis politique, économique, social et culturel de notre temps. L’homme authentique, et, en particulier, le zaïrois authentique, selon Mobutu Sese Seko, est un homme entièrement libéré de toutes les formes d’aliénation mentale, politique, économique et socio-culturelle.
En ce sens, l’authenticité est l’autre nom d’une liberté politique, économique et culturelle totale. L’authenticité se définit comme manière d’être et d’agir par soi-même. On le voit, l’homme authentique, selon Mobutu Sese Seko est un homme très engagé.
En particulier, il est entièrement engagé dans la révolution politique, économique et culturelle. Il n’y a pas, d’un côté, des acteurs et, de l’autre, des spectateurs ; Il s’agit d’être créateur des civilisations authentiques ; être libre, libéré et libérateur des autres.
Ainsi, le projet africain de transformation et de développement des pays du SUD et de l’Afrique subsaharienne en particulier passe, au-delà de l’appropriation épistémologique par ces quelques phases que nous avons souvent égrenées dans nos plusieurs de nos interventions tant en cours, en conférences, en séminaires qu’en ouvrages, par une maîtrise praxéologique. Au préalable est qu’il faut remédier en amont aux facteurs culturels du sous-développement avant d’envisager en aval les scénarios et stratégies du développement. Sans pour autant avoir la prétention de dresser un inventaire exhaustif des facteurs culturels qui constituent un obstacle au développement, ils restent tant soit peu importants dans l’interprétation de l’actuelle situation de l’Afrique. Nous avions trouvé les voies et moyens pour comprendre les faiblesses culturelles qui bloquent le développement de l’Afrique. Au-delà de ces faiblesses culturelles, il y a aussi des valeurs c’est–à –dire, la prise en compte de la culture africaine dans les différents modèles de progrès économique et technique. En introduisant le paradigme de la culture, on fait accéder la théorie du sous-développement au stade de la bipédie, en attribuant l’autre moitié des responsabilités du sous-développement aux acteurs internes des pays en développement. La problématique culturelle indique d’emblée que l’un des moteurs essentiels du développement est le changement de mentalité.
Or, le développement lui-même est un phénomène de transformation qualitative et de croissance généralisée.
Et le rôle des intellectuels africains doit désormais être décisif dans l’accomplissement de cette révolution culturelle et intellectuelle. Ainsi et comme nous l’avions vu si bien, le « nationalisme pragmatico-révolutionnaire » doit incarner les institutions africaines afin de faire face aux divers défis politique, économique, social et culturel de notre temps. Un nationalisme pragmatico-révolutionnaire dont la possibilité et l’efficacité dépend de la « capabilité » (Paul Ricoeur, Parcours de reconnaissance) par les peuples et les races du SUD et de l’Afrique subsaharienne en particulier de se doter d’un épistémè à la fois conservateur et transcendantal (cette dynamique ontologico-anthropologique d’être à la fois soi-même pour et comme un autre en s’y apportant et en apportant aux autres dans un cercle où donner est recevoir en faveur d’un pouvoir créatif-productif-inventif en tant que seule expression divine permise à tout être humain pour développer et transformer son espace-temps.
Cette fois-ci, avec l’avènement au Ministère de la Justice, Félix Tshisekedi a, en fin, trouvé un Esprit et une Valeur sûre pour s’approprier le « nationalisme pragmatico-révolutionnaire » pour le redressement épistémique et praxique de l’homme afro-congolais, d’un côté, le développement et la transformation de la république Démocratique du Congo, d’un autre côté.
Fait à Kinshasa, le 22 Août 2024
OSONGO-LUKADI Antoine-Dover
-Habilité à Diriger des Recherches de Philosophie (Université de Poitiers/France)
-Docteur en Philosophie et Lettres (Université Catholique de Louvain/France)
-Professeur d’Universités
-Membre de l’Association des Philosophes Américains (APA)-2007
-Directeur-Editeur des Maisons d’Editions IFS&CRPIC
et Revues Internationales RFS&PHPM (Toutes Déposées à la Bibliothèque
Royale Albert 1er de Belgique/Bruxelles