L’ancien président de la commission électorale avait déjà été condamné en 2021 à Lubumbashi pour « incitation à la haine tribale, propagation de faux bruits et atteinte à la sûreté intérieure de l’Etat ». Il avait obtenu le statut de réfugié politique à Lusaka.
Les raisons officielles de l’arrestation de Daniel Ngoy Mulunda n’ont pas encore été dévoilées. Mais, dans une lettre adressée le 19 décembre au ministre zambien des Affaires intérieures, son épouse revient sur le déroulé des événements. Elle écrit que la police zambienne de l’immigration est venue chercher le pasteur dans son appartement de Lusaka, le matin du 18 décembre.
«Après avoir présenté tous les documents prouvant son statut de réfugié en Zambie, mon mari a été transféré aux services antiterroristes pour des raisons inconnues», relate Shimba Mulunda dans son courrier, que Jeune Afrique a pu consulter. Cette arrestation, poursuit-elle, « semble violer à la fois le droit zambien et le droit international, notamment la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et la Convention de l’OUA (Organisation de l’unité africaine) de 1969 qui protègent leurs droits. »
Plainte au HCR
Les proches de l’ancien président controversé de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) craignent qu’il ne compte parmi les cibles des autorités congolaises lancées dans une traque d’éléments du mouvement rebelle du M23 soutenu par Kigali, et de leurs supposés collaborateurs. « Alors que nous n’avons toujours pas la possibilité de le contacter, nous apprenons qu’il aurait déjà été transféré à Kinshasa », s’inquiète un proche, bien que ni la RDC ni la Zambie n’aient encore réagi.
Christian Shimba Kabulo et Emmanuel Ngoy Mulunda, les frères biologiques de Daniel Ngoy Mulunda, ont saisi le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Ils dénoncent « une violation grave des droits humains perpétrée le 18 décembre 2024 par les services d’immigration et les autorités sécuritaires zambiennes à l’encontre du pasteur Daniel Ngoy Mulunda, réfugié politique régulièrement enregistré auprès du HCR et détenteur de tous les documents de protection conférés par votre institution », peut-on lire dans leur plainte de trois pages.
Alors à la tête de la Ceni, Daniel Ngoy Mulunda avait, en 2011, proclamé la victoire de Joseph Kabila à la présidentielle face à Étienne Tshisekedi, le père de l’actuel président. Homme de foi qui a contribué à la pacification de l’est et du sud de la RDC entre 2008 et 2010, Daniel Ngoy Mulunda est un proche de Joseph Kabila. Selon sa famille, il a bénéficié du statut de réfugié politique en Zambie sous la protection du HCR, depuis « qu’il a été contraint de fuir la RDC en raison de persécutions politiques exercées par le régime de Félix Tshisekedi, après avoir été incarcéré pendant trois ans à la prison de Kasapa. » Il avait en effet été condamné en 2021 à Lubumbashi pour « incitation à la haine tribale, propagation de faux bruits et atteinte à la sûreté intérieure de l’État ».
« Collaboration entre Lusaka et Kinshasa »
Dans leur plainte, les frères de Ngoy Mulunda pointent du doigt ce qu’ils qualifient de collusion entre les autorités zambiennes et congolaises. « Depuis 2020, nous constatons avec consternation une collaboration alarmante entre le régime de Kinshasa et le gouvernement zambien visant à persécuter des réfugiés congolais, principalement des opposants politiques, des officiers militaires et des activistes de la société civile, (essentiellement) originaires de la province du Katanga. »
Plus loin, ils évoquent des collaborations « souvent entachées de corruption » qui ont « conduit à des arrestations arbitraires, des disparitions forcées et des assassinats ciblés ». Ils dénoncent ensuite « la violation du principe de non-refoulement, qui interdit aux États de renvoyer un réfugié vers un pays où il risque des persécutions, en l’occurrence la RDC ».
Ces derniers mois, le président Félix Tshisekedi s’inquiète des activités supposées des anciens kabilistes en exil et a, le 6 août dernier, personnellement accusé son prédécesseur d’être le parrain de l’Alliance fleuve Congo (AFC).
En avril dernier, les Forces armées de la RDC (FARDC) avaient annoncé l’arrestation d’Éric Nkuba Shebandu, alias Malembe, figure clé de l’AFC, présent d’ailleurs le jour du lancement de ce mouvement politico-militaire, dont le M23 est la principale composante. Ce dernier avait été arrêté le 3 janvier 2024 à l’aéroport de Dar es-Salaam, en Tanzanie alors qu’il se rendait à une réunion et avait ensuite été transféré à Kinshasa, où il a été condamné à mort en août dernier.
«C’est exactement ce genre de situation que nous redoutons alors que le régime de Kinshasa a décidé d’arrêter ses opposants, même ceux qui se trouvent à l’étranger et surtout dans des pays africains où ils peuvent facilement corrompre certains services », assure à Jeune Afrique un leader de l’opposition.

(Tiré de Jeune Afrique)