(Par le Professeur Patience Kabamba)
Le 16 février 2025, lors du sommet de Munich sur la sécurité, le vice-président américain JD Vance a fait un discours épique qui restera dans la mémoire de beaucoup. Les uns l’ont critiqué comme une ingérence dans les affaires européennes, les autres l’ont adulé comme un des discours qui a sonné juste en identifiant le véritable problème de l’Europe, le déni de la démocratie.
Le discours de Vance a beaucoup de parallèles avec celui prononcé par Alexandre Soljenitsyne le 6 juin 1978 à l’université Harvard aux USA. Soljenitsyne, qui était en exil à Vermont aux USA, était invité à Harvard et a fait un discours qui avait surpris son audience. Celle-ci pensait que l’auteur de L’Archipel du goulag allait décrier la vie inhumaine dans l’Union socialiste soviétique.
A leur grande surprise, Soljenitsyne focalisa son discours sur l’Amérique, qui était devenue un véhicule matérialiste sans âme. A Munich, on s’attendait à ce que JD Vance planche sur la guerre en Ukraine qui est déjà à sa troisième année aujourd’hui et aussi sur la sécurité en Europe. Comme Soljenitsyne, JD Vance a surpris son audience en rappelant aux Européens que la démocratie implique de faire la volonté des électeurs et non la volonté des bureaucrates non élus.
Vance a pointé l’existence en Europe d’une nouvelle version du paradoxe de Condorcet. Le politologue français a mis en exergue le paradoxe selon lequel le représentant d’un électorat supporte des lois contraires aux aspirations de ses électeurs. Ce qui se passe en Europe, d’après J.J.D. Vance, est légèrement différent, dans ce sens que ce ne sont pas les élus qui décident contre leurs électeurs, mais des bureaucrates et des technocrates qui décident d’annuler des élections, de fermer des chaines de télévision, ou de fermer les yeux et de boucher les oreilles sur les demandes de la population. Cette nouvelle version du paradoxe de Condorcet est, comme le souligne le VP américain, ce qui détruit la démocratie en Europe aujourd’hui.
Les Européens étaient surpris d’écouter cette vérité par la voix d’un vice-président américain. Les réactions ne se sont pas faites attendre. La plus virulente était celle des dirigeants allemands, le ministre de la Défense et l’ancien chancelier Olaf Scholz qui ont simplement trouvé ce discours de Vance intolérable.
En fait, ces réactions sont symptomatiques de la cécité des dirigeants allemands sur ce qui détruit la démocratie. La Commission européenne, qui a pris ombrage du discours de Vance, a l’habitude de prendre des décisions qui concernent les nations en lieu et place des élus nationaux qui devaient en répondre à leurs électeurs. La bureaucratie a remplacé la démocratie.
Je trouve une similarité entre ce qui se vit en Europe aujourd’hui – la domination d’une équipe de technocrates sur les élus du peuple – et ce qui s’est produit lors du concile Vatican II (1962-1965).
Les résolutions des réformistes du Concile Vatican II avaient pour but de rapprocher l’Église catholique restée moyenâgeuse de la société qui a subi beaucoup de changements. Le problème du concile de Vatican II était que les cardinaux qui étaient chargés d’appliquer les réformes votées par le concile étaient pour la plupart opposés à ces réformes. On demandait aux bureaucrates du Vatican de faire appliquer des réformes auxquelles ils étaient, comme individus, très opposés, mais des réformes votées par la majorité des membres de l’Église catholique.
Les technocrates du Vatican avaient tout simplement enfermé dans leurs tiroirs les réformes provenant du concile Vatican II et, par conséquent, elles n’ont jamais été mises en œuvre. Ceci constitue un cas emblématique des décisions démocratiques qui ne peuvent pas être appliquées à cause du fait que des bureaucrates chargés de l’exécution s’y opposaient.
La conséquence de tout cela est que la démocratie est supplantée par la bureaucratie. Des non-élus décident d’appliquer ou non la volonté du peuple. Le grand perdant est évidemment le peuple, car un autre écueil s’est ajouté à la difficulté intrinsèque de la démocratie, qui, depuis les réformes de Solon et Clisthène de 507-501, a toujours concerné les personnes riches ; le demos (peuple) dans la démocratie est arraisonné à la valeur d’échange : la démocratie est devenue synonyme de plutocratie (gouvernement par les riches).
A cette première difficulté s’est ajoutée celle des intermédiaires bureaucratiques ; les volontés du peuple sont tout simplement enterrées. La bureaucratie est par définition constituée d’un groupe de personnes qui se distinguent du peuple, comme nous l’appelle Max Weber. Entre la volonté du peuple et leur application, il n’y a pas seulement l’argent qui s’interpose (démocratie), mais aussi la bureaucratie non élue.
Le discours de JD Vance a une résonance particulière surtout dans des pays d’Afrique qui se battent pour l’avènement d’une démocratie pure. Il existe entre la volonté des peuples africains et leur mise en œuvre des prédateurs qui se sont enrichis sur le dos du peuple et les bureaucrates thuriféraires qui s’interposent pour détourner la volonté de la majorité. Voilà un nouveau combat pour les démocrates des temps modernes.
