(Antoine-Dover OSONGO-LUKADI, Habilité à Diriger des Recherches de Philosophie « Université de Poitiers-France », Docteur en Philosophie et Lettres)
1. Ne mettons pas la charrue avant les bœufs
Si, une fois n’est pas coutume, cette tribune n’est dédiée à aucun responsable politique congolais tant du pouvoir que de l’opposition c’est qu’aucun n’a à ce jour le moindre mérite. En effet Bunangana, Goma, Bukavu et tant d’autres territoires de notre espace vital sont en ce moment sous occupation étrangère et en particulier de ce qu’on peut appeler, aujourd’hui que des négociations y sont ouvertes directement, opposition armée. De la sorte, la république chère à Lumumba, Kimbangu, Kipa Vita, Mobutu, Mzee Kabila, Mamadou Ndala … est coupée d’une partie de sa sève humaine, sociologique, culturelle, politique, économique, historique et civilisationnelle. Alors qui dira ou lèvera son petit doigt tant du pouvoir que de l’opposition armée voire politique, chacun malgré ses raisons aussi bien subjectives qu’objectives, qu’il est digne de l’héritage ou du sacrifice de ces hommes et femmes exceptionnels ayant façonné le destin de notre pays ? Personne. Nous avons tous trahi au nom de nos égoïsmes instinctifs et donc primaires.
Le philosophe a pour source la réflexion, la pensée, l’analyse, l’interprétation et l’explication. Dès lors il est quand même surprenant de constater qu’à ce jour aucun responsable politique congolais n’ait jamais daigné ni approché ni même exploité tout ce qu’ont produit les philosophes, les politologues, les sociologues pendant toutes ces années de galère, ce qui aurait pu éviter au pays cette humiliation où, chemin faisant, à hauteur d’un drame humain ayant causé plus de 30 millions de morts en à-peu-près trois décennies !
Pourtant comparativement au régime mobutiste sous la houlette du Maréchal Mobutu, qui puisait les analystes politiques et autres compétences dans l’enseignement supérieur et universitaire, les régimes qui lui ont succédé ont plutôt développé une forme de suspicion à l’égard des dépositaires de la science infuse au profit des militants, des combattants, des animateurs politiques, mieux, des « Ndjalelolistes » n’ayant malheureusement aucune proximité ni avec l’intelligence scientifique ni politique ni économique ni financière ni encore moins avec l’esprit critique car il s’agit, pour ces ombres humaines, de penser comme le chef, de répéter ce qu’il dit et pense, pas plus !
Pendant ce temps-là, nos ennemis, eux, font confiance aux scientifiques auxquels ils demandent d’affiner des stratégies intellectuelles, militaires, économiques, financières, politiques, culturelles, psychologiques, sociologiques, technologiques pour nous esclavagiser, nous coloniser, nous dominer presque gratuitement et le tout à moindres frais. Dépassés par les événements et ayant perdu tous les repères nous légués par Lumumba au travers le « nationalisme-panafricanisme-lumumbiste », repris en fanfare par le Maréchal Mobutu dans son « nationalisme zaïrois authentique », les deux repris, continués et améliorés par Mzee Kabila dans son « révolutionnisme-guévarisme-muzéisme-kabiliste », notre pays est devenu la risée de la terre entière.
Mais cette situation honteuse, stressante, tragique et dramatique en même temps est-elle irréversible ? Non. Parce qu’en effet le Congo-Kinshasa possède une ressource intarissable de scientifiques. Et tout sauf moindres. Il suffit de recourir à eux pour nous se sortir du gouffre dans lequel nous nous trouvons tous aujourd’hui qu’il s’agisse des congolais du pays que ceux de la diaspora. Si nous parlons de cette dernière catégorie de congolais, c’est parce que ceux-ci ne savent que critiquer les régimes successifs en place, sans jamais chercher à apporter une contribution positive susceptible de redynamiser l’action gouvernementale et républicaine. Pourtant, c’est ensemble que chacun apportera sa pierre à l’édifice pour la transformation et le développement de notre potentiellement grand et beau pays.
En ce qui nous concerne en tant qu’auteur de cette énième tribune, nous ne comprenons qu’aucun responsable politique du gouvernement ne nous ait jamais tendu les bras pour ne-fut-ce que pouvoir nous permettre d’expliquer notre démarche ! Evidemment quand on n’est pas musicien ou footballeur ou encore danseur invétéré dans ce pays de tous les paradoxes, on y prête aucune attention. Le Congo prend parfois la forme d’un pays qui marche la tête en bas et les pieds en l’air (référence à la critique marxienne de la dialectique hégélienne qui privilégiait l’Esprit au détriment de la Matière, c’est-à-dire la superstructure sur l’infrastructure ou plus simplement la politique en défaveur de l’économie). Malgré tout le devoir patriotique et nationaliste nous invite à lancer un vibrant appel aux responsables politiques du gouvernement qui iront aux négociations avec l’opposition armée -, qui forte de ses rapports de force ostensiblement favorables sur le terrain des opérations militaires, lui donnant effectivement des ailles, pourront la contraindre à tout moment à la surenchère pour bloquer toute avancée au nom de ce qu’elle croit à tort ou à raison comme ses objectifs maternels à atteindre -, d’éviter de mettre la charrue avant les bœufs, c’est-à-dire de mettre sur la table des questions farfelues portant par exemple sur le partage des postes politiques ou encore des avoirs, mais au contraire de privilégier ce que nous désignons comme la question du centre, mieux, de la sève de notre pays, qui est celle sur l’importance de l’engagement à la citoyenneté congolaise comme alternative crédible pour une paix durable et définitive.
2.Engageons-nous et indignons-nous pour transformer et développer
La citoyenneté ne se résume pas seulement à une parole, une déclaration d’intention, à une vocifération, à une protestation, à définition, à une théorie, à un colloque, à une conférence, à une séance de cours ou à un séminaire, mais également et surtout à une praxis, c’est-à-dire à un Engagement-à … La citoyenneté est un vécu, une histoire, une civilisation, une culture. En effet il n’y a de citoyenneté que pour les hommes qui créent, qui produisent, qui inventent, c’est-à-dire qui transforment. C’est en créant, en produisant, en inventant qu’on développe et qu’on transforme les peuples et les sociétés, mieux, qu’on imprime la civilisation dans l’humanité. Un citoyen digne de ce nom est celui qui se décrète dans une humanité des peuples créateurs, producteurs, inventeurs. La première mission du citoyen consiste dans son investissement au développement et à la transformation d’une société, d’un pays, d’un Etat. Martin Heidegger auteur du célébrissime « Sein und Zeit » (Être et Temps) et penseur emblématique du XXème Siècle est tout à fait d’accord avec nous quand il reconnaît que « La Véritable compréhension mutuelle des peuples ne peut commencer et s’accomplir que par une méditation, menée réciproquement au sein d’un dialogue de créateurs, sur l’héritage et la tâche que leur donne l’Histoire. Dans cette méditation, les peuples s’attachent à ce qui leur est propre et s’y arrêtent avec une lucidité et une résolution accrue. Car ce qu’un peuple a de plus propre, est cette œuvre de création qui lui a été assignée et par laquelle il se pénètre de sa mission historiale, tout en se dépassant : c’est ainsi, et ainsi seulement, qu’il accède à lui-même » (M. Heidegger, Chemins d’explication, in Cahiers offerts à Martin Heidegger, Paris, éd. de l’Herne, 1983, p. 59. ). Ces mots évocateurs de Heidegger sont à l’origine d’inspiration du mouvement « remplaciste-culturaliste-transformateur » en vogue en ce moment dans plusieurs universités de Kinshasa, dont l’Université Catholique du Congo (lieu théorétique d’où tout est parti) (Osongo-Lukadi A-D., Séminaire de philosophie des sciences, Master 1&2, Faculté de Philosophie, Université Catholique du Congo, années académiques 2020-2024), l’Université Saint-Augustin de Kinshasa (lieu de maturité de cette théorie) et l’Institut Supérieur Pédagogique de la Gombe (lieu praxique dans une conférence inaugurale du 25 août 2023) (Cf.Osongo-Lukadi A-D., « Projet africain pour le remplacement culturel et la transformation mentale. Analyses, études, réflexions projectives, sur les défis et dérives africains à l’aube du 21ème Siècle dominé par le numérique et l’Intelligence artificielle » et publiée dans le Journal La Prospérité, in La Prospérité, Série I, n°6154 du mardi 29 août 2023-23ème Année), Osongo-Lukadi A-D., Félix Tshisekedi face au fiasco de la politique du « grand remplacement culturel et social. Voies et moyens pour la reconstruction d’une idéologie politique de la responsabilité et d’une culture mentale globalement émancipatrice en RDC, in La Prospérité, Série I, n°5969 du lundi 28 novembre 2023-22ème Année »). La matrice essentielle de cette idéologie consiste dans notre intime conviction que ce ne sont pas les hommes qui changent, développent et transforment la société, mais les idées, les mentalités culturelles et civilisationnelles, historiques essentiellement praxéologiques.
Reste que si l’ontologie phénoménologique, herméneutique et praxéologique nous a ouvert un excellent prétexte pour théoriser et « praxiser » les bases d’une citoyenneté africaine, la théorie de l’évolution sous Charles Darwin nous a également conforté dans l’idée irrévocable selon laquelle pour survivre à la sélection naturelle, il faut lutter pour soi-même et pour et contre les autres dans un environnement marqué par des ambitions personnelles et des rivalités identitaires (raciste, ethnique, clanique, géopolitique). Jean-Louis Monestès montre comment « La plupart d’entre nous possèdent une connaissance générale de la théorie de l’évolution. Nous savons globalement qu’il s’agit d’une lutte pour l’existence qui a conduit à forger petit à petit notre morphologie. Mais la théorie de l’évolution a surtout permis d’inverser la causalité initialement imaginée : l’environnement dans lequel vivent les individus ne cause pas leur changement direct. Tout au plus conduit-il à la sélection des variations les plus adaptées parmi toutes celles disponibles. En revanche, si aucune variation n’est suffisamment adaptée à l’environnement en question, l’environnement seul n’est pas capable de la faire apparaître » (Monestes J-L., Changer grâce à Darwin. La théorie de votre évolution, Paris, Odile Jacob, 2019, p. 18).
En effet dans son livre L’Origine des espèces, en 1839, Ch. Darwin a observé que chaque être vivant est parfaitement adapté à son milieu. Il découvre que les êtres vivants les plus adaptés ont de meilleures chances de survie et ont une descendance plus nombreuse. De ce fait, ils ont le plus de chance de transmettre à leur descendance les caractères qui font qu’ils sont plus adaptés que les autres à ce milieu. Au cours du temps, les êtres vivants les plus adaptés au milieu se multiplient tandis que les moins adaptés se reproduisent moins et que leurs caractères disparaissent dans la population. Petit à petit, on accumule les différences, et on finit par ne plus trop ressembler à son ancêtre. Darwin propose donc que ce soit la nature qui sélectionne les êtres vivants les plus adaptés à leur milieu pour survivre. Ce principe prend le nom de sélection naturelle. Pour Ch. Darwin, la nature, par sa rigueur, sélectionne les plus aptes à survivre. Les caractéristiques qui leur ont ainsi permis de s’adapter à leur environnement sont ensuite transmises de manière héréditaire. Darwin en déduit donc qu’après plusieurs générations, ce processus a pour conséquence la création de nouvelles espèces.
Cette théorie darwinienne nous a tellement tenu en haleine, que nous avons formulé notre sujet en tant qu’« Engagement pour une citoyenneté afro-remplacisme-créationniste du développement et de transformation. Essai d’un « néologisme coercitif » citoyen » afin de formuler l’hypothèse que si la citoyenneté est un concept polysémique, c’est-à-dire non référentiel, non universel, mais nécessairement-et-toujours-déjà relatif, personnalisé, dynamique, dialectique, alors chaque pays, chaque peuple, chaque race, chaque continent dans ses multiplicités ethniques, etc., a son intelligence citoyenne propre relevant de son histoire, de sa culture, de sa civilisation. Ce qui signifie alors que la citoyenneté ne peut plus être une idée imposée par l’Occident ou par la France. Delà s’écroule évidemment l’idée imposée par l’Occident et particulièrement par la France sur un unique modèle de citoyenneté ayant pour seule référence, seul fondement basique voire seule inspiration des droits et des devoirs citoyens inspirés du modèle de citoyenneté issu de la Révolution française voire de quelle qu’autre Révolution d’obédience européenne, américaine ou euro-occidentale en général. Delà s’évanouit également la prétention posant le citoyen euro-occidental en inspirateur patenté de la citoyenneté mondiale et du citoyen africain en particulier. Cette diversité historique, civilisationnelle voire globalement culturelle est incompatible à l’idée d’une citoyenneté unitaire voire universelle. Car la divergence culturelle, civilisationnelle, historique reste un obstacle majeur voire indétrônable face à l’obsession d’une citoyenneté mondiale, dont la citoyenneté euro-occidentale elle-même en tant que centre, tête de pont et guide.
C’est ainsi que pour fonder ou projeter les racines d’une citoyenneté du développement et de transformation en Afrique, nous avons mis en évidence deux étapes à suivre consistant premièrement à reformuler voire à réadapter le modèle de citoyenneté euro-occidentale totalement étranger aux éléments, aux principes et aux valeurs civilisationnels, culturels formatifs voire constitutifs de la citoyenneté africaine et secondement à s’appuyer sur les vieux arcanes de cette citoyenneté africaine jadis défaits, détruits, estompés dans leur élan par l’esclavagisme et le colonialisme (Cheikh Anta Diop, Nations nègres et culture-De l’antiquité nègre égyptienne aux problèmes culturels de l’Afrique noire d’aujourd’hui, Présence africaine, 1999, L’Afrique noire précoloniale- Etude comparée des systèmes politiques et sociaux de l’Europe et de l’Afrique noire, de l’Antiquité à la formation des Etats modernes, Présence africaine, 1987, Les fondements économiques et culturels d’un Etat fédéral d’Afrique noire, Présence africaine, 1990, Civilisation ou barbarie, Présence africaine, 2001), Obenga Th., (Cf. L’Egypte, la Grèce et l’école d’Alexandrie, histoire interculturelle dans l’Antiquité, aux sources égyptiennes de la philosophie grecque, l’Harmattan, Gif-sur-Yvette : khepera, DL, 2005, Le sens de la lutte contre l’africanisme eurocentriste, Paris ; Montréal (Québec) ; Budapest : l’Harmattan, 200, La philosophie africaine de la période pharaonique, Paris, L’Harmattan, 1990), Kizerbo J., (Cf. Le monde africain noir, Paris, Ed. Hatier, 1964, Histoire de l’Afrique noire, Paris, Ed. Hatier, 1972, Histoire générale de l’Afrique, ouvrage collectif, Paris, Editions Présence africaine,/Edicef/Unesco, 1991, Anthologie des grands textes de l’humanité sur les rapports entre l’homme et la nature (avec Marie-Josée Beaud-Gambier), Paris, Editions Charles Léopold Mayer, 1992), etc.) et après par l’occidentalisme actuel comme mondialisme, capitalisme, eugénisme, hégémonisme, expansionnisme (Latouche S., (Cf. Le monde africain noir, Paris, Ed. Hatier, 1964, Histoire de l’Afrique noire, Paris, Ed. Hatier, 1972, Histoire générale de l’Afrique, ouvrage collectif, Paris, Editions Présence africaine, /Edicef/Unesco, 1991, Anthologie des grands textes de l’humanité sur les rapports entre l’homme et la nature (avec Marie-Josée Beaud-Gambier), Paris, Editions Charles Léopold Mayer, 1992), Morin E.,( Cf. Culture et barbarie européennes, Bayard, 2005).
Au total il s’agit d’expliquer qu’étant à la fois victime et co-bourreau de deux blessures ontologiques que sont l’esclavagisme et le colonialisme, le citoyen africain est interpellé à faire un choix -, peu importe s’il est cornélien, surtout quand on sait que le bonheur vient de l’effort -, entre d’un côté une récusation voire un rejet d’une citoyenneté qui n’est pas et qui ne doit plus jamais être la sienne, puisqu’absolument contreproductive au regard de ses contreperformances accumulées au plan culturel, sociologique, politique, économique, scientifique (épistémologique, technologique), civilisationnel, et d’un autre côté envisager un « retour réactualisé » à la citoyenneté pré-esclavagiste et pré-colonialiste foncièrement orienté sur la capacité créatrice, productrice, inventrice ; cette capacité tant créatrice, productrice, qu’inventrice qui lui permit de fonder des vrais et grands empires, des royaumes, des pyramides, des contes, des récits, des légendes, des fables d’un niveau très élevé qui n’était pas encore à ce moment-là celui jadis de l’homme euro-occidental quand ce dernier, en mission civilisatrice soi-disant et en conquistador, vint l’explorer et l’évangéliser.
Notre question est de savoir comment faire maintenant pour que l’Afrique recouvre cette puissance et cette force d’antan, qu’il a cédées tant pour des raisons politique et idéologique (on le sait bien) que par sa nonchalance légendaire, au citoyen euro-occidental ? tel devait être l’objectif en long et à court terme dudit colloque sur la citoyenneté. En attendant, cette capacité praxéologique ne sera accessible au citoyen africain soit pour égaler le citoyen occidental soit pour le dépasser dans sa « supériorité » anthropologico-ontologique actuelle, que si le citoyen africain comprend comme le dit Heidegger « sa tradition d’une façon créatrice » et surtout accepte d’abandonner sa discursivité romantique, poétique, passéiste devenue légendaire -, chaque fois qu’il doit accuser le citoyen occidental qui le spolie, lui vole ses richesses, l’empêche de se développer, de se transformer, mais en refusant d’assumer une grande partie de ses responsabilités primordiales dans cette déchéance du continent noir. Le romantisme discursif voire intellectualiste pousse les Africains à glorifier leur statut du berceau de l’humanité », malheureusement sans toutefois jamais apporter dans la pratique, dans les faits les preuves probantes de cette primeur voire de cette primauté existentiale.
Pour A. Kabou si l’Afrique noire n’a pas encore décollé du point de vue développement, c’est qu’elle refuse obstinément de choisir cette voie. En effet, les Africains mettent en arrière-plan la méthode et l’organisation, ils gaspillent leurs ressources, sabotent le bien commun et tout ce qui pourrait fonctionner durablement. Les Africains détestent la cohérence, la transparence, la rigueur. Leur faveur va systématiquement au bricolage, au terrorisme technologique, à l’improvisation et à la navigation à vue. L’Afrique est une grande gaspilleuse de temps, d’argent, de talents, d’énergie. Momifiée à l’extrême, incapable de se mouvoir à la vitesse des exigences de sa situation catastrophique, elle reste sourde aux réalités du monde. C’est un continent qui se distingue par un mépris souverain pour la créativité, la diffusion du savoir technique, par une absence terrifiante d’imagination et un conformisme meurtrier. Comme dans la plus belle de ses traditions, la curiosité n’est pas une valeur prise. La volonté de démarcation culturelle n’est pas uniquement l’apanage de l’Afrique (A. Kabou, Et si l’Afrique refusait le développement ? Paris, l’Harmattan, 1991, p. 92). Toutes les sociétés humaines ont élaboré des systèmes d’auto-signification pour se distinguer des autres. Cependant, l’Afrique outrepasse dangereusement le seuil minimal de singularité, de démarcation et de spécificité culturelle. La technique reste perçue comme quelque chose du blanc qu’on utilise plus ou moins dédaigneusement, sans chercher à s’en emparer.
C’est que le relativisme culturel, estime A. Kabou, occulte la question fondamentale du gap technologique existant entre l’Afrique et le reste du monde, par un tour de passe-passe égalitariste qui résiste difficilement à l’épreuve des faits. La supercherie a consisté à diaboliser la machine du blanc et à accorder une promotion raciale et culturelle au nègre primitif. Le particularisme, on le sait, est une constante inhibant de l’histoire du progrès des brassages culturels en Afrique. Bien que le reste du monde sait désormais que le développement est plus largement dû en emprunt l’intelligent à d’autres civilisations qu’au génie intrinsèque d’un peuple, les Africains feignent de l’ignorer ou refusent de l’admettre et continuent de croire que la renaissance de leur culture précoloniale est l’unique condition préalable de leur développement. Comme solution, les Africains, explique A. Kabou, ont misé sur la voie du particularisme et du relativisme. En effet pour combler la faille profonde du sous-développement technique, les Africains ont choisi la voie facile du particularisme et du relativisme culturel. L’Afrique se barricade donc derrière une philosophie culturaliste fallacieuse et proclame la survalorisation des cultures africaines considérées comme autonomes et archaïques. C’est là l’erreur fondamentale, le relativisme culturel n’est pas transposable au plan technologique ! Ce qui ne signifie nullement que les Africains doivent renoncer à leurs valeurs de civilisation. Au contraire, ils devraient dresser un inventaire de toutes ces valeurs qui pourraient fournir une base solide à tout projet de développement cohérent, et à rejeter les valeurs objectivement nuisibles au progrès.
C’est ce que nous appelons, sans nous cacher, une dépendance volontaire, puisqu’elle n’est plus imposée mais au contraire choisie. En effet l’Afrique est peuplée de citoyens qui, au nom de leurs petits intérêts, pensent et estiment que sans poser les deux genoux au sol pour glorifier la citoyenneté du maître euro-occidental, il en sera fini d’eux et de leurs mignons intérêts. « Une chose est d’oublier sa nature, ses origines, son identité, une autre est de ne pas savoir que l’on a oublié son identité ou alors de l’avoir oublié au profit d’une infime lueur de bonheur. Suite au privilège infructueux d’être nommés par le maître du nom évolué, certains Africains, pendant et au lendemain de la colonisation, se sont érigés en disciples fidèles, copiant le comportement haineux que la classe dominante avait à l’égard du Nègre. D’où de l’appellation sarcastique (évolué) que l’on leur avait attribuée, certains ont pu affirmer sans scrupule que le Noir était « foncièrement » un être voué à l’émotion, prélogique, Joseph Kizerbo note que ce rang de privilégiés vivait une certaine crise identitaire, au point d’être coupés du « peuple », c’est-à-dire de leurs familiers et intimes et devenaient l’étage inférieur de la pyramide administrative » au demeurant de leurs origines » (R. Contran R., Sj, « Le déboire de l’histoire coloniale africaine : une réponse sous le prisme de Kä Mana et de Kizerbo,in Raison Ardente, Revue des Étudiants de la Faculté de Philosophie, Saint Pierre Canisius/Kimwenza, n°113, 2021-2023, p. 16).
3.Cartographie épistémico-praxique pour une citoyenneté afro-subsaharienne du développement et de transformation
Pour contrecarrer cette dépendance volontaire ou involontaire de l’homme africain subsaharien à égard à l’homme euro-occidental et aux autres hommes en général, nous avons cru constructif de proposer une cartographie proprement dite pour la reconstruction d’une citoyenneté africaine plus praxéologique, c’est-à-dire créationniste, productionniste, inventionniste, transformationniste autour des deux chapitres et une conclusion ouverte, comportant pour chacun de deux chapitres deux thèses (faisant au total quatre thèses), dont une seule thèse pour la conclusion ouverte.
2.1. Le Premier chapitre intitulé « Pour une culture remplaciste-culturaliste-transformatrice comme déconstruction de la citoyenneté africaine », nous proposons une réflexion philosophique, psychologique et praxéologique consistant dans la mise en œuvre des principes d’une culture remplaciste transformatrice en Afrique. Ce chapitre, ainsi que nous venons de le dire, énonce deux thèses suivantes : 2.1.1. Première Thèse du Premier chapitre est intitulée « De la référence à la capacité remplaciste-culturaliste-transformateur à la citoyenneté africaine par la maitrise épistémique et praxéologico-éthico-morale ». Cette thèse montre que l’ouverture des peuples à la science est la solution idoine pour le développement et la transformation de l’Afrique subsaharienne. En effet c’est par la science et avec la science qu’il est possible de prime abord à un homme isolé et ensuite à une communauté de se développer, de se transformer, de se créer et de se recréer, de produire et de se reproduire, d’inventer et de se réinventer. Or qui dit science dit épistémologie. D’où nous interpellons les peuples et races en échec scientifique, technologique, comme les peuples africains subsahariens, à se forger une mentalité scientifique et épistémologique pour prétendre à une vie meilleure et acceptable. Il est vrai qu’on peut s’interroger sur la pauvreté, la misère de certains peuples, de certaines races par rapport à la richesse et à l’opulence d’autres peuples, mais l’on s’égarerait de penser que le nœud de la solution est politique, sociologique, psychologique, historique, anthropologique ou prioritairement ontologique, mais le problème est au contraire épistémologique et praxéologique. Le développement et la transformation d’un être humain ne sont possibles, qu’en se forgeant une mentalité scientifique (Osongo-Lukadi A-D, Séminaire de Philosophie de science, Master 1&2, Faculté de Philosophie, Université Catholique du Congo, 2021-2022, inédit). Il s’agit d’établir un rapport entre la science et le développement et autour de cette relation, construire une maison finalement à trois où l’épistémologie, c’est-à-dire la capacité qu’a tout être humain de se développer et de se transformer par l’importance qu’il accorde à la recherche scientifique et technologique, s’humanisera et en humanisera.
La réflexion philosophique est née sœur jumelle, et longtemps non discernable, de la science. Mais, à mesure qu’une dissociation s’ébauchait, une interrogation sur la nature de la science prenait une forme de plus en plus précise. Les doutes qui sont apparus chez certains, à différentes époques, sur la portée et la valeur de cette connaissance ont parfois donné un tour polémique à la philosophie de la science. Aujourd’hui même, l’accélération du progrès scientifique, l’irrésistible développement des pouvoirs qu’il confère aux utilisateurs et aux administrateurs de la science posent des questions dont l’urgence facilite mainte confusion entre l’étude proprement épistémologique et la réflexion éthique et politique sur le rôle de la science dans nos sociétés. Au sens philosophique donc l’épistémologie est un domaine philosophique qui analyse, étudie et critique toutes les disciplines de la science, ainsi que leurs méthodes et leurs découvertes (Osongo-Lukadi A-D, Séminaire de Philosophie de science, Master 1&2, Faculté de Philosophie, Université Catholique du Congo, 2021-2022, inédit).
D’où rechercher un enracinement épistémique à la capacité créatrice, productrice, inventrice et donc éminemment transformatrice à tout être humain est notre préoccupation capitale. Elle est vaste au regard de l’essence de son fondement, dont la question consiste à savoir comment par la science, grâce ou à cause de la science, on égaliserait le développement, la transformation des peuples ? une question qui en appelle bien sûr celle de savoir que faut-il faire pour amener les peuples, les races des continents en panne de transformation et de développement à pouvoir s’imprégner d’une épistémologie aussi prépondérante, imminente, conquérante qui les rendrait aussi meilleurs que ceux dont la science a porté ses fruits, l’Europe en général et sa partie occidentale plus précisément ? Tel est incontestablement le nœud gordien de la problématique que nus engrangeons. Parce qu’on est convaincu voire persuadé que l’écart développant et transformant qui existe entre les peuples qui se sont appuyés sur la science pour se développer et se transformer et ceux qui n’y sont pas encore arrivés voire jamais parvenus a pour source et cause le sous-développement épistémique des peuples et des races. Ceux qui pensent, réfléchissent mieux ou encore produisent la science et une bonne science se développent et se transforment tandis que ceux qui négligent la science voire produisent une mauvaise science se coincent, se freinent et conséquemment ne se développent pas et ne se transforment non plus.
C’est indiscutablement dans cette dialectique contraignante que se joue haut la main le destin des peuples, des races et des nations. On tombe ici, consciemment ou inconsciemment sur la question du rapport des forces entre d’un côté pays, peuples ou races développés et d’un autre côté pays ou races sous-développés. Qui est autrement dit le fameux « dialogue » Nord-Sud. Clairement et explicitement, il s’agit de montrer, mais en y insistant, sur l’importance de la science et davantage encore sur un appel du pied fait aux pays du Sud et à ceux africains en particulier à prendre exemple sur ceux du NORD. Même si chemin faisant, il y a lieu de montrer tout de même que l’essentiel des ressources naturelles qui fournissent une embellie scientifique au NORD se trouve, mieux, puisé au SUD et plus particulièrement en Afrique. Car sans ces ressources exploitées éhontément par le NORD, la science occidentale, en dépit de l’ingéniosité de ses producteurs de souche, n’aurait pas atteint son degré de créativité, de productivité et d’inventivité qui est la sienne, surtout en ce moment. Cette interdépendance entre avancées scientifiques occidentales et exploitation des ressources naturelles afro-subsahariennes mérite d’être mise en évidence clairement, non pas pour trouver la moindre excuse à la lassitude épistémique des peuples du SUD et d’Afrique noire en particulier, mais pour faire justice aux exploités et en même temps faire porter une partie de chapeau aux exploiteurs sur la déliquescence, la faiblesse, la lenteur épistémologique des peuples épistémologiquement sous-développés.
D’où l’attention accordée, soutenue et très entretenue aux problèmes récurrents du développement et de transformation de l’Afrique noire, encore attentiste et contemplative en la matière, en plus d’être épistémiquement arriérée, dépassée, retardée. Quiconque a travaillé dans le domaine du développement en Afrique noire sait à quel point l’aide étrangère est considérée par les autorités et les populations bénéficiaires comme une chose naturelle, et à quel point il est difficile d’obtenir la participation des populations à la réalisation des projets, même lorsque les priorités sont définies par elles. Comme le souligne Axelle Kabou, « les Africains sont les seuls individus au monde à croire que leur développement peut être pris en charge par d’autres personnes que par eux-mêmes » (A. Kabou, Et si l’Afrique refusait le développement ? Paris, l’Harmattan, 1991, p.79). L’émergence d’un esprit analytique fécond parait se heurter essentiellement à trois obstacles bien connus, notamment les tabous traditionnels, l’absence de démocratie, et à une pierre d’achoppement insoupçonnée mais de taille :la sorcellerie ( A. Kabou, Et si l’Afrique refusait le développement ? Paris, l’Harmattan, 1991, p. 92). Pourtant, l’Afrique gagnerait de l’avis d’Axelle Kabou à revoir ses modes de pensée de fond en comble, afin de comprendre comment elle effectue des choix qui expliquent amplement sa situation actuelle. La contradiction reste trop souvent perçue comme un devoir d’anti-occidentalisme immunisant l’Africain contre les bactéries d’une civilisation technicienne blanche. Le mythe de l’infériorité de l’Africain reste donc d’actualité. C’est pour cela que ce continent veut incarner la pureté de l’âme humaine en se félicitant d’avoir résisté au démon de la machine. C’est aux mythes des primitivistes (à la Levy-Brul), ou aux contre-mythes inventés par les Africains eux-mêmes (l’Africa felix pre-coloniale) et les africanistes en général (à la Tempels et Griaule), connus à des fins de réhabilitation culturelle et raciale des nègres opprimés, que se trouvent précisément les causes du sous-développement. Pour que cette mascarade change, les tabous pesant sur les mentalités africaines doivent disparaitre.
En lieu et place d’un territoire épistémologique, l’Afrique selon Axelle Kabou est restée une Afrique foncièrement traditionnaliste. L’Afrique est restée profondément ce qu’elle a toujours été : un terroir de traditionalisme. Axelle Kabou ne croit pas à l’aliénation culturelle. Ces mythes ont pour seule fonction d’instaurer un climat de résistance à la pénétration d’idées nouvelles dans les mentalités. L’Afrique n’est pas en danger d’occidentalisation. Cette pseudo-aliénation a pour fonction de cacher l’extraordinaire homogénéité des modes de pensée en Afrique contemporaine, et l’inexistence d’une couche sociale capable d’assumer les transformations imposées par la détérioration croissante de la situation économique. En effet, l’Afrique ne connaît pas de révolutions sociales. Cela s’explique par le fait qu’il n’y a aucune différence de mentalité entre les intellectuels et les masses (A. Kabou, Et si l’Afrique refusait le développement ? Paris, l’Harmattan, 1991, p. 92). De telle sorte qu’aucune dictature ne peut se maintenir durablement dans un pays par son seul pouvoir de répression et de corruption. Seule la préexistence d’un terrain social et culturel favorable explique que de tels régimes puissent prendre racine et prospérer. La vie quotidienne des Africains n’est pas régie par un mouvement de balancier ou les cœurs saignants seraient constamment déchirés entre les deux termes d’une cruelle alternative : être ou ne pas être soi-même. II n’y a pas, à proprement parler de déracinement, mais plutôt une sorte de mauvaise conscience à l’égard des valeurs traditionnelles. C’est en ce sens que le dualisme tradition-modernité est fallacieux : il postule le progrès des mentalités vers une ouverture après avoir diabolisé les valeurs de la modernité. Le métissage culturel donne un mythe reposant sur la conviction erronée que la compréhension des civilisations et des traditions réciproques est le préalable sine qua non de la communication interculturelle ( A. Kabou, Et si l’Afrique refusait le développement ? Paris, l’Harmattan, 1991, p. 92).
Ces trois éléments jouent pour A. Kabou un rôle déterminant dans le déclin de l’Afrique : l’absence de curiosité scientifique, l’absence d’écriture utilisée à grande échelle et l’absence de conscience identitaire élargie. On ne dirait jamais assez à quel point la croyance à la sorcellerie a été, et reste, un frein d’une puissance insoupçonnée dans l’histoire de l’évolution sociale de l’Afrique. La puissance des tabous parait avoir été décisive pour ce qui concerne le progrès du savoir. A l’inverse de ce que l’on a observé ailleurs, en Afrique une désacralisation du savoir n’a jamais eu lieu. Plus on est diplômé, plus on croit être la proie désignée de la jalousie sociale et de la sorcellerie suicidaire, et plus on a recours au gris-gris pour s’en protéger (A. Kabou, Et si l’Afrique refusait le développement ? Paris, l’Harmattan, 1991, p. 92). Pour Axelle Kabou, l’Africain monte un projet de développement suicidaire. De la sorte l’Afrique ne se meurt pas : elle se suicide dans une sorte d’ivresse culturelle pourvoyeuse de seules gratifications morales car la peur du progrès technique reste toujours liée au fantasme du bon sauvage. L’Afrique est dans une situation de cul-de-sac culturel aride dont aucune idée dynamique ne peut sortir. Il n’y a pas de boulimie de connaissances nouvelles. La mort des idéologies politiques, au sens strict de ce terme, signifie que, plus qu’auparavant encore, le monde se divisera désormais en civilisations techniciennes avancées (A. Kabou, Et si l’Afrique refusait le développement ? Paris, l’Harmattan, 1991, p. 197) et en civilisations traditionnelles. D’où finalement pour Axelle Kabou, les Africains doivent cesser d’encourager les Occidentaux à multiplier en Afrique les projets de développement qui, à force de respect obligatoire pour les valeurs traditionnelles, ne développent que la misère, le fatalisme et les populations en haillons. Le sous-développement commence par le sous-développement de la perception de soi et du monde extérieur, par l’immobilisme des mentalités et se perpétue par le retour des Africains lettres aux valeurs du terroir, sans condition. La pauvreté de l’Afrique ne s’explique que par le rejet borné du principe de l’emprunt à d’autres civilisations en vue d’une transformation en profondeur ( A. Kabou, Et si l’Afrique refusait le développement ? Paris, l’Harmattan, 1991, p. 7).
Les théoriciens du développement de l’Afrique, après avoir réfléchi sur les divers types de causes de son sous- développement et élaboré différentes stratégies pour sortir les États africains du sous-développement, ils se trouvent aujourd’hui dans une impasse face à un afro-pessimisme grandissant. Est –il possible de penser un autre paradigme du modèle de développement du continent noir afin de booster sa transformation et son développement durable dans un monde en mutation ? Les Philosophes comme Marcien Towa ont préconisé une certaine « acculturation européenne » et déculturation africaine. Voie que nous qualifions d’herméneutique sodomisante (Osongo-Lukadi A.-D. « Théorisation et Praxisation scientifique : Essai de refondation d’une ‘idéologie politique congolaise’ post-alternance historique, la transhumance, la stagnation ou comment déconstruire la souveraineté », in Revue Africaine du savoir, Vol. 10, No 10, 2021-2022, p.7) et dangereuse, et de là, à la suite de Jean Paul Sartre, nous préconisons une doctrine existentialiste de la révolution. Cette révolution existentielle passe avant tout par une reconsidération culturelle. Car la culture est le fondement de la société, de la politique, de l’économie, de la technologie et de la science. En effet, le manque de culture conduit à un manque d’identité, de l’idéologie et à une pauvreté ontologique et anthropologique. Le Pays comme la Chine, s’est développé par la culture. En moins de deux décennies, la Chine est devenue une référence en matière de développement. Ne partit de rien, elle est aujourd’hui adulée par les économies occidentales et Africains auxquelles elle n’a rien à envier. L’Afrique peut s’inspirer du modèle chinois pour booster son développement. C’est-à –dire partir de sa culture pour booster sa transformation et développement.
Marc-Louis Ropivia dans son article intitulé « Problématique culturelle et développement en Afrique noire : esquisse d’un renouveau théorique », nous allons comprendre que la culture africaine n’est pas une aubaine déjà -là, le prête –à porter du développement mais présente à la fois des tares à surmonter et des valeurs à reconsidérer pour son développement durable. Dans ce sens, deux articulations essentielles vont constituer le fil conducteur vers une nouvelle vision du devenir de l’Afrique à savoir la reconnaissance des « tares culturels africains » et la doctrine existentielle de la révolution qui prend en charge des valeurs culturelles africaines dans les différents modèles de son développement. Les faits montrent, en dépit de tout et du tout qu’il y a des faiblesses culturelles que les Africains doivent surmonter pour prétendre au développement et à la transformation de leur espace-temps. Si bien que pour un développement et une transformation durable de l’Afrique les fondements de l’anthropologie africaine devraient constituer l’âme de tout programme de développement. Le préalable est qu’il faut remédier en amont aux facteurs culturels du sous-développement avant d’envisager en aval les scénarios et stratégies du développement. En effet, le paradigme de l’impérialisme, avec son canevas théorique et conceptuel (centre-périphérie, échange inégal, dépendance), a constitué pendant plus d’un quart de siècle, en tant que facteur explicatif et causal du sous -développement, l’ossature de toutes les théories et réflexions sur le développement (Cf. Ropivia M.-L., Problématique culturelle et développement en Afrique noire : esquisse d’un renouveau théorique http://geoprodig.cnrs.fr/items/show/65277 visité ce 02/01/2023, cité dans le Cours de la Philosophie de la Culture, Master 1&2, Faculté de Philosophie, Université Saint Augustin de Kinshasa, Année Académique 2022-2023, inédit). Son originalité est d’un côté d’avoir mis l’accent sur les facteurs historiques et exogènes qui culpabilisent l’Occident dans la production du sous-développement dans le Tiers- monde et de l’autre côté, ne jurer que sur ce dogme ‘en dehors de l’Occident point de salut, la tendance de penser que la France, les USA, tout comme l’Occident sont incontournables, l’Afrique ne peut ni créer, ni produire, ni encore moins inventer sans se référer au génie occidental européen (Osongo-Lukadi A.-D. « Théorisation et Praxisation scientifique : Essaie de refondation d’une ‘idéologie politique congolaise’ post –alternance historique, la transhumance, la stagnation ou comment déconstruire la souveraineté », in Revue Africaine du savoir, Vol. 10, No 10 , 2021-2022, p.7,).
2.1.2. Venons-en à présent à la Deuxième Thèse du Premier chapitre qui est intitulée « Une société de créateurs, de producteurs, d’inventeurs citoyenne fondée sur l’éducation et l’instruction de la jeunesse contextualisée par rapport aux réalités et priorités propres ». En effet dans un ouvrage récent intitulé « Enseigner l’éthique et la déontologie professionnelle et de l’enseignant à l’Enseignement Supérieur de la République Démocratique du Congo et à l’Institut Supérieur Pédagogique de la Gombe. Questions et réponses philosophico-phénoménologiques et sociologico-pédagogiques sur les prérequis des Enseignants et des Etudiants en matière des « manières d’être » et manières d’agir » (Osongo-Lukadi A-D., Louvain-La-Neuve, CRPIC éditions, Bibliothèque Royale Albert 1er de Belgique Maison de Dépôt, 2024), nous avions tout en y insistant sur l’urgence à la capacité praxique citoyenne (cfr les éthiques de Emmanuel Kant, Jürgen Habermas, Jean-Paul Sartre, Paul Ricoeur voire Martin Heidegger), mis l’accent sur la caducité en Occident et en Afrique et partout ailleurs dans le monde sur la caducité, la sénilité, la modicité, la morosité, l’inutilité des principes éducatifs ou éducationnels hérités des philosophies de l’éducation des principaux inspirateurs Kant, Rousseau, Piaget… Nous avons proposé au regard de la dépravation des mœurs actuelles exagérées en Occident et leur imposition au monde et à l’Afrique subsaharienne en particulier des lois éthiques et morales susceptibles de renforcer voire améliorer les systèmes éducatifs existants déjà ou en innover en vue du contexte culturel africain-subsaharien. C’est pour ce faire que nous mentionnons également un ouvrage tout récent de Willy Okey et Flavien Nkay Malu qui ont eu le mérite de souligner et de montrer comment « En parlant de développement et de sous-développement, on se réfère aux conditions de vie de la population d’un pays donné. Chaque pays a le devoir d’améliorer tous les aspects de la vie de ses citoyens. L’ironie de la chose c’est que ce sont ces mêmes citoyens d’un Etat qui doivent travailler pour que cette amélioration de leurs conditions de vie ne soit pas un simple souhait mais se concrétise dans la réalité de leur vie quotidienne. Ceci exige de leur pat des qualités intellectuelles et morales capables de transformer leur vécu quotidien. La qualité des citoyens est donc un facteur majeur dans l’accomplissement du devoir de l’Etat d’offrir à ses citoyens des conditions optimales de vie » (Willy Okey et Flavien Nkay Malu, Valeurs, principes et symboles de la république (composante éducation à la citoyenneté, Unité d’enseignement destinée aux étudiants en L1/LMD, Université Saint Augustin de Kinshasa, Editions de l’Académie de la Paix, Juin 2024, p. 5). A telle enseigne que pour Okey et Nkay Malu, « L’éducation est, sans conteste, un atout majeur dans la formation civique des citoyens pour leur permettre d’adopter un comportement digne et responsable dans la gestion de la chose publique. L’éducation dont l’homme a besoin est celle qui lui permet non seulement d’être un homme, mais aussi et surtout d’être citoyen, l’université ou l’enseignement supérieur, comme haut lieu de formation des futurs cadres du pays, est en extirpant en est les antivaleurs qui peuvent mettre en péril la vie de la société. D’où l’importance de l’éducation à la citoyenneté. Ce cours a pour objectif institutionnel « éduquer l’étudiant, le former pour qu’il devienne un citoyen capable d’aimer passionnément son pays, de chercher à la servir et d’y trouver son propre bonheur » (Willy Okey et Flavien Nkay Malu, Valeurs, principes et symboles de la république (composante éducation à la citoyenneté, Unité d’enseignement destinée aux étudiants en L1/LMD, Université Saint Augustin de Kinshasa, Editions de l’Académie de la Paix, Juin 2024, p. 5).
Quant à nous l’exigence d’une éducation à la citoyenneté passe par les facteurs ci-après : 1)Lier culture et éducation, 2)Rationalisation du conflit intergénérationnel,3)Lutte contre l’illettrisme globalisé professionnel, 4)Eradication de l’analphabétisme,5)Initiation à la capacité citoyenne créatrice, productrice, inventrice pour le développement et la transformation, 6)Initialisation épistémologique citoyenne en tant que facteur du développement et de transformation ontologico-anthropologique, 7)Refus de l’authenticité comme chantage identitaire, 8)Combatte l’aliénation mentale et l’acculturation, 9)Appropriation panafricaine de la science et de la praxis, 10)Marxisation, darwinisation et païnisation africaine,11)Lutte contre la dispersion juvénile entre nature et culture,12)Promotion d’une jeunesse leadershipique.
Or c’est lorsque ces douze (12) facteurs citoyens panafricains font défaut, que la citoyenneté africaine est infectée par quatre types de citoyens afro-subsahariens intellectuellement défaillants voire controversés : 1. Les intellectuels-intellectuels, ceux qui ont étudié, obtenu un diplôme et censés ainsi se démarquer de la médiocrité tant épistémique que praxéologique. 2.Les intellectuels-analphabètes, ceux qui effectivement ont étudié et obtenu un diplôme mais dont le niveau épistémique et praxéologique ne reflète aucunement son niveau et encore moins les différencient des illettrés, des abrutis, des parvenus.3.Les analphabètes-intellectuels, sont ceux qui n’ont ni étudié ni obtenu aucun diplôme ; qui se sont formés soit sur le tas par eux-mêmes soit structurellement par autodidactat mais affichant un niveau de responsabilité épistémique et praxéologique digne voire supérieur aux intellectuels sur la paperasse. Enfin, 4. Les analphabètes-analphabètes, sont ceux desquels on ne peut formellement et fondamentalement rien espérer d’épistémologiquement et de praxéologiquement constructif dans la mesure où leur niveau n’est pas différent de la nature, mais au contraire éloigné de la culture. Ces quatre types de citoyens sont un danger pour la société. Des vrais cobayes pour l’abrutissement de la citoyenneté au travers lesquels s’incrustent les pouvoirs politiques pour y installer leur dictature d’opinion. En effet « Pour étouffer par avance toute révolte, il ne faut surtout pas s’y prendre de manière violente. Les méthodes archaïques comme celle d’Hitler sont nettement dépassées. Il suffit de créer un conditionnement collectif en réduisant de manière drastique le niveau et la qualité de l’éducation, pour le ramener à une forme d’insertion professionnelle. Un individu inculte n’a qu’un horizon de pensée limité et plus sa pensée est bornée à des préoccupations matérielles, médiocres, moins il peut se révolter. Il faut faire en sorte que l’accès au savoir devienne de plus en plus difficile et élitiste … que le fossé se creuse entre le peuple et la science, que l’information destinée au grand public soit anesthésiée de tout contenu à caractère subversif. Là encore, il faut user de persuasion et non de violence directe : on diffusera massivement, via la télévision, des divertissements abrutissants, flattant toujours l’émotionnel, l’instinctif. On occupera les esprits avec ce qui est futile et ludique. Il est bon avec un bavardage et une musique incessante, d’empêcher l’esprit de s’interroger, penser, réfléchir. On mettra la sexualité au premier rang des intérêts humains. Comme anesthésiant social, il n’y a rien de mieux. En général, on fera en sorte de bannir le sérieux de l’existence, de tourner en dérision tout ce qui a une valeur élevée, d’entretenir une constante apologie de la légèreté ; de sorte que l’euphorie de la publicité, de la consommation deviennent le standard du bonheur humain et le modèle de la liberté » ( Anders Günter cité par Willy Okey et Flavien Nkay Malu, Valeurs, principes et symboles de la république (composante éducation à la citoyenneté, Unité d’enseignement destinée aux étudiants en L1/LMD, Université Saint Augustin de Kinshasa, Editions de l’Académie de la Paix, Juin 2024, p. 5).
2.2. Le Deuxième chapitre est intitulé « Fondement culturaliste naturo-agricole et praxéologique de la société ». Dans ce deuxième chapitre, nous estimons qu’un véritable espace citoyen proprement dit a pour fondement la culture comme nature, celle-ci comme agriculture (H. Arendt) plutôt qu’esprit cultivé (Cicéron). Comme pour le premier chapitre, le deuxième chapitre prône deux thèses.2.2.1. La Troisième Thèse du Deuxième chapitre intitulée pour « Une culture orientée sur la nature comme agriculture, plutôt que sur la culture de l’esprit », énonce que l’espace citoyen africain est plutôt constitutivement culturel, naturel et donc foncièrement agricole plutôt que culturellement cultivé (au sens d’esprit cultivé) voire spiritualisé. Dans son livre « La crise de la culture » Hannah Arendt retrace l’origine de la culture comme un mot et un concept d’origine romaine. En montrant que la « culture » dérive de colere – cultiver, demeurer, prendre soin, entretenir, préserver – et renvoie primitivement au commerce de l’homme avec la nature, au sens de culture et d’entretien de la nature en vue de la rendre propre à l’habitation humaine » ( H. ARENDT, La crise de la culture, Paris, Gallimard (Traduit de l’anglais sous la direction de Patrick Lévy), 1972, p. 271). La culture est donc dans l’esprit romain et en tant quel tel, ce qui indique une attitude de tendre souci, et « se tient en contraste marqué avec tous les efforts pour soumettre la nature à la domination de l’homme ». C’est pourquoi le mot ne s’applique pas seulement à l’agriculture mais peut aussi désigner le « culte » des dieux, le soin donné à ce qui leur appartient en propre » ( Arendt H., La crise de la culture, Paris, Gallimard (Traduit de l’anglais sous la direction de Patrick Lévy), 1972, p. 271). Un homme « cultivé » n’est pas chez les romains celui qui sait mais au contraire celui qui « cultive » la terre, la nature en ne la dominant pas. Cultiver, c’est s’imprégner du culte des dieux, c’est-à-dire soigner, entretenir ce qu’on a en propre. Pour H. Arendt c’est Cicéron qui est le premier personnage de l’antiquité romaine qui a été le premier à utiliser le mot culture pour les choses de l’esprit et de l’intelligence « Il parle de excolere animum, de cultiver l’esprit, et de cultura animi au sens où nous parlons aujourd’hui encore d’un esprit cultivé (Arendt H., La crise de la culture, Paris, Gallimard (Traduit de l’anglais sous la direction de Patrick Lévy), 1972, p. 272). Mais « avec cette différence que nous avons oubliée, précise immédiatement H. Arendt, le contenu complètement métaphorique de cet usage. Car pour les Romains, le point essentiel fut toujours la connexion de la culture avec la nature ; culture signifiant originellement agriculture, laquelle était hautement considérée à Rome, au contraire des arts poétiques et de fabrication » (Arendt H., La crise de la culture, Paris, Gallimard (Traduit de l’anglais sous la direction de Patrick Lévy), 1972, p. 272).
C’est alors que « Même la cultura animi de Cicéron, résultat de la formation philosophique et par conséquent peut être inventée, comme on l’a suggéré, pour traduire la raideia grecque désignait le contraire même de l’état de fabricateur ou de créateur d’œuvres d’art. Ce fut essentiellement agricole que le concept de culture fit son apparition, et les connotations artistiques qui peuvent avoir été attachées à cette culture concernaient la relation incomparablement étroite du peuple latin à la nature, la création du célèbre paysage italien. Selon les Romains, l’art devait naitre aussi naturellement que la campagne ; il devait etre de la nature cultivée ; et la source de toute poésie était vue dans « le chant que les feuilles se chantent à elles-mêmes dans la verte solitude des bois » ( Arendt H., La crise de la culture, Paris, Gallimard (Traduit de l’anglais sous la direction de Patrick Lévy), 1972, p. 272). La culture, on l’entend, ne renvoie pas avant tout à la « cultura animi » (esprit cultivé) mais au contraire à la nature et à l’agriculture. C’est pour cette raison précise que je propose à l’homme subsaharien noir la conception romaine antique de la culture. Il lui faut revenir à cette origine pour pouvoir rétablir le lien qu’il entretenait avec la nature avant l’esclavage et la colonisation. Le retour à la terre est un retour à la nature et donc à l’agriculture. Il permettra à l’homme africain de quitter le monde d’esprit pour celui de la nature. L’homme essentiel et véritable est un agriculteur, c’est-à-dire un cultivateur. C’était la différence entre les Romains et les Grecs. Les premiers étaient fascinés par la nature, l’agriculture, les seconds en étaient horrifiés. 2.2.2.Quant à la Quatrième thèse du Deuxième chapitre intitulée « Le remplacement culturel pour la transformation et le développement de l’Afrique citoyenne repose sur le choix d’une culture sociale et politique qui favorise la contradiction, source de toute capacité créatrice, productrice, inventrice », elle estime que pour remplacer culturellement les autres cultures et plus particulièrement la culture citoyenne euro-occidentale, le citoyen africain doit céder devant une double exigence dont premièrement l’exigence de création, de production, d’invention qui caractérise et détermine les autres cultures, races, peuples, en particulier le citoyen euro-occidental ; et secondement l’exigence de ne pas s’abandonner constamment et désespérément dans un imaginaire surréaliste et théorétique à venir et toujours à venir mais qui ne viendra jamais, et pire encore dans un verbatim poétisant, romantisant vorace affabulateur, nullissime, « inutillissime » sans fin. Si l’engagement citoyen en Europe est assumé, enseigné, instruit, parlé, écrit et donc transmis, divulgable des générations en générations, en Afrique il est constamment censuré par la dictature du politique, craignant d’y perdre contrôle et met toutes sortes de subterfuges en place pour définir suivant son entendement les contours de ce qu’il entend par citoyenneté. Le remplacement culturel ne consiste pas dans l’adage bien connu du « Ôte-toi, que je m’y mette », mais au contraire dans un engagement à la créativité, à la productivité, à l’inventivité -, l’exemple de la Chine est révélateur à ce sujet où la fidélité à sa culture n’a jamais constitué un handicap pour en même temps s’ouvrir aux autres cultures ; ce qui lui permet de « copier » ce qui est constructif pour elle et pour son peuple, une stratégie qui l’a élevée aujourd’hui sur le toit du monde, devant les Etats-Unis d’Amérique et toute l’Europe réunie, au plan économique -, susceptible d’éteindre ou de relativiser la culture dominante, grandiloquente et tout en bout de course la remplacer effectivement. C’est en créant, en produisant, en inventant sans cesse, plutôt qu’en vociférant, en chantant ou dansant, le contenu de sa propre culture, qu’on arriver à remplacer la culture étrangère.
Découvrons succinctement les références afro-occidentales pour une citoyenneté praxéologique du développement et de transformation ; susceptible d’envoyer également, comme l’Asie et la Chine plus précisément, l’Afrique subsaharienne sur le toit de l’humanité et de plus en plus justifiant son statut historico-spatio-temporel de « berceau de l’humanité ». Première référence Mao Tsé Toung consistant dans l’implantation du parti communiste chinois comme marxisme-léninisme en tant que parti révolutionnaire contre l’impérialisme et ses valets » ( Cf. Le Petit Livre Rouge sur les citations du président Mao Tsé-Toung, pp. 1-2). Deuxième référence Karl Marx et Engels pour qui les événements historiques sont influencés par les rapports sociaux, en particulier les rapports entre classes sociales, donc par la situation réellement vécue par les êtres humains ; une conception accordant une part essentielle à l’économie dans les transformations du monde. Troisième référence le créationnisme-ontologico-phénoménologiste heideggérien où il s’agit de différencier l’acte de simple transmission dans la tradition et celle de création, c’est justement parce qu’il a refusé d’être un simple lecteur de la tradition, c’est-à-dire un simple héritier de sa propre tradition et par rapport auquel on demeure passif, inactif (M. Heidegger, Einführung in die Metaphysik (Introduction à la métaphysique), p. 29, tr. fr., pp. 49-50). D’autant plus que dans “ Chemins d’explication ”, Heidegger montre donc comment “ La Véritable compréhension mutuelle des peuples ne peut commencer et s’accomplir que par une méditation, menée réciproquement au sein d’un dialogue de créateurs, sur l’héritage et la tâche que leur donne l’Histoire. Dans cette méditation, les peuples s’attachent à ce qui leur est propre et s’y arrêtent avec une lucidité et une résolution accrue. Car ce qu’un peuple a de plus propre, est cette oeuvre de création qui lui a été assignée et par laquelle il se pénètre de sa mission historiale, tout en se dépassant : c’est ainsi, et ainsi seulement, qu’il accède à lui-même ” (M. Heidegger, Chemins d’explication, in Cahiers offerts à Martin Heidegger, Paris, éd. de l’Herne, 1983, p. 59).
Quant à la quatrième référence, c’est le « projectisme-existentialiste sartrien où l’existentialisme n’est pas quiétisme (Sartre J-P., Cahier pour une morale, Paris, Gallimard, 1983, p. 55.Ibidem, p. 54). Le quiétisme c’est l’attitude des gens qui disent : les autres peuvent faire ce que je ne peux pas faire. La doctrine que je vous présente (c’est Sartre qui parle) est justement à l’opposé du quiétisme, puisqu’elle déclare : il n’y a de réalité que dans l’action ; elle va plus loin d’ailleurs puisqu’elle ajoute : l’homme n’est rien d’autre que son projet, il n’existe que dans la mesure où il se réalise, il n’est donc rien d’autre que l’ensemble de ses actes, rien d’autre que sa vie. » (Sartre J-P., Cahier pour une morale, Paris, Gallimard, 1983, p. 55). La cinquième référence s’appelle le « révoltisme-suicidiste » où dans Le mythe de Sisyphe, A. Camus nous invite à choisir entre la contemplation et l’action, seule de devenir un homme (A. CAMUS, L’homme révolté, Gallimard, 1951, pp.129-120). Car en effet « L’esclave, à l’instant où il rejette l’ordre humiliant de son supérieur, rejette en même temps l’état d’esclave lui-même. Le mouvement de révolte le porte plus loin qu’il n’était dans le simple refus. Il dépasse même la limite qu’il fixait à son adversaire, demandant maintenant à être traité en égal. Ce qui était d’abord une résistance irréductible de l’homme devient l’homme tout entier qui s’identifie à elle et s’y résume. Cette part de lui-même qu’il voulait faire respecter, il la met alors au-dessus du reste et la proclame préférable à tout, même à la vie. Elle devient pour lui le bien suprême. Installé auparavant dans un compromis, l’esclave se jette d’un coup (« puisque c’est ainsi… ») dans le Tout ou Rien. La conscience vient au jour avec la révolte » ( A. CAMUS, L’homme révolté, Gallimard, 1951, p. 28).
Quant à la sixième référence qui est le « créationnisme-inventionniste tofflérien, elle est celle dans laquelle Alvin Toffler proclame que la création est destinale à l’homme, que c’est sa première vertu, et qu’il ne peut en être autrement : « Il est des générations dont la destinée est de créer, d’autres de maintenir une civilisation. Celles qui ont lancé la Seconde Vague de changement historique ont dû, par la force des choses, être des générations créatrices. Les Montesquieu, les Stuart Mill et les Madison ont inventé la plupart des structures politiques qui nous semblent encore aller de soi. A la charnière de deux civilisations, leur rôle était de créer. » (Toffler , La Troisième Vague, Denoël, 1980, p. 539). D’où selon A. Toffler, « nous devons commencer par changer nous-mêmes, par apprendre à ne pas fermer prématurément notre esprit à ce qui est nouveau, surprenant et apparemment révolutionnaire. Cela veut dire combattre les étrangleurs d’idées prompts à porter le coup de grâce à toute proposition nouvelle sous-prétexte que c’est irréalisable, et monotones défenseurs de ce qui existe déjà, même si c’est absurde, coercitif ou inexploitable – sous prétexte que c’est utilisable. Cela veut dire se battre pour la liberté d’expression – pour le droit des gens à formuler leurs opinions, même si elles sont hérétiques. Cela veut dire, surtout, engager sans plus attendre ce processus de reconstruction avant que la désintégration des systèmes politiques en vigueur n’ait atteint le seuil fatidique au-delà duquel les forces de la tyrannie se déchaîneront, rendant impossible un passage pacifique à la démocratie du 21e siècle. Si nous nous mettons à l’œuvre sans délai, nous pourrons, nous et nos enfants, participer à cette tâche exaltante : la reconstruction, non seulement de nos structures politiques périmées mais de la civilisation même. Comme la génération des révolutionnaires de jadis, notre destin est de créer notre destin » (Toffler A., La Troisième Vague, Denoël, 1980, p. 543). Pour la septième référence « afrocentriste historiographique antadiopienne consistant à montrer que si l’Afrique est le « berceau de l’humanité », alors, selon Diop, les plus anciens phénomènes civilisationnels ont dû nécessairement avoir eu lieu sur ce continent. Enfin la huitième référence « philosophie bantoue » tempelsienne consistant dans l’« existencialisation » d’une philosophie africaine » ou philosophie en Afrique(Tempels Pl., La philosophie bantoue (traduction du néerlandais par A. Rubbens, Elisabethville, 1945 ).
3.Pour conclure sans conclure
Pour en venir à notre conclusion ouverte portant sur la Cinquième Thèse intitulée « Aliénation, acculturation, dépendance cultuelles, sous-développement holistique subsaharien après la fin « officielle » de l’esclavage et de la colonisation », elle consiste à dire haut et fort que ces phénomènes dégradants qui marquent ontologiquement l’Afrique et l’homme subsaharien ne sont plus nécessairement et obligatoirement le fait de l’homme euro-occidental blanc mais au contraire celui de l’homme africain subsaharien lui-même qui a fait des acquis culturels de son ancien maître à penser son cheval de bataille, et ce disant une histoire de déclaration de ressemblance et de dépendance clairvoyante, lucide, volontaire, libre, assumée et réappropriée de gaité de cœur. Pour A. Kabou si l’Afrique ne connaît pas de révolution sociale, c’est sans doute parce qu’il n’y a aucune différence de mentalité entre les intellectuels et les masses. Delà à la réflexion selon laquelle il n’y a – « Aucune dictature ne peut se maintenir durablement dans un pays par son seul pouvoir de répression et de corruption. Seule la préexistence d’un terrain social et culturel favorable explique que de tels régimes puissent prendre racine et prospérer » – il n’y en a qu’un pas (Kabou A., Et si l’Afrique refusait le développement ? Paris, l’Harmattan, 1991, p. 92).
En tout cas la seule haine de l’homme blanc ne suffit plus pour prétexter l’absence de création, de production, d’invention qui gangrène le citoyen africain. Ce n’est plus possible de continuer (même si l’homme blanc peut encore compter sur certains de ses esclaves et lèche-cul tant à l’université qu’au pouvoir politique en Afrique) à porter toute la responsabilité du sous-développement politique, mental, culturel, social, économique, technologique, numérique sur l’homme euro-occidental. En effet, l’émergence de la Chine est un démenti contre les prétextes africains sur le sous-développement et la mainmise euro-occidentale pour ne jamais entreprendre. Continent de la honte, le plus grand handicap de l’Afrique subsaharienne consiste à trainer derrière elle un modèle de citoyenneté hiérarchiquement occidentale, mais hélas ontologiquement inadapté, qui ne les aide pas vraiment.
Enfin, lors de mes dernières vacances d’hiver en Belgique, ma fille aînée Immaculée Yangaye Osongo m’a offert cet ouvrage de Stephen Smith est l’auteur de « Négrologie. Pourquoi l’Afrique meurt », sachant pertinemment mon souci et ma passion pour l’Afrique. Ce qui m’a tant étonné, mais pas du tout surpris, c’est que son sous-titre n’ait pas un point d’interrogation, c’est que pour l’auteur l’Afrique est déjà morte. On ne s’interroge plus. Il montre que les causes ou raisons de cette morte sont une responsabilité partagée entre les exploiteurs occidentaux et la lâcheté et la nonchalance des africains eux-mêmes. S’y avançant dans une explication qui pourrait paraître ethnocentriste portant par « le remplacement des populations ex-zaïroises ou tchadiennes par les japonais, les israéliens ou français ; bref l’Afrique par l’Europe en Afrique, donc » et par ricochet le fleurissement, mieux, la transformation et le développement des espaces géo-démographiques africains, Stephen Smith refuse d’attribuer malgré tout ce phénomène à une quelconque incapacité congénitale des Africains à la création, à la production, à l’invention pour transformer et développer. Il affirme ne pas sous-entendre non plus leur infériorité par rapport à d’autres peuples. Quoique en le lisant, il le laisse fortement penser au travers l’exemple des Africains qui immigrent en Europe et qui réussissent beaucoup mieux que s’ils étaient restés chesz eux en Afrique subir l’écrasant poids culturel civilisationnel afro-africain !
Smith St note « Qu’est-ce à dire ? Que « les » Africains sont des incapables pauvres d’esprit, des êtres inférieurs ? Sûrement pas. Seulement, leur civilisation matérielle, leur organisation sociale et leur culture politique constituent des freins au développement, au sens littéral de ce terme dérivé du verbe latin volvere pour désigner des pays qui « tournent » par des obstacles socioculturels qu’elle sacralise comme ses gris-gris identitaires. Le succès de ses émigrés en est la meilleure preuve a contrario : ceux qui parviennent à s’échapper de l’Afrique réussissent en règle générale fort bien, et d’autant mieux qu’ils s’arrachent à la sociabilité africaine » (Smith St., Négrologie. Pourquoi l’Afrique se meurt ; Calmann-Lévy, 2003).
Ainsi, fait à Kinshasa, le 4 avril 2025
Antoine-Dover OSONGO-LUKADI
-Habilité à Diriger des Recherches de Philosophie
(Université de Poitiers-France)
-Docteur en Philosophie et Lettres
(Université Catholique de Louvain-Belgique)
-Professeurs d’Universités
-Membre Association des Philosophes Américains (APA)