Accueil » Confiscation des biens de l’ancien Président Kabila : un défi à l’Etat de droit en RDC

Confiscation des biens de l’ancien Président Kabila : un défi à l’Etat de droit en RDC

Par La Prospérité
0 commentaire

(Etude réalisée par Me Christian Tshilumba, Président de la CEM/MLP et Avocat près la Cour)

Contexte d’une mesure exceptionnelle

En République Démocratique du Congo (RDC), une décision récente des autorités a suscité un vif débat juridique et politique : la saisie des biens de l’ancien Président Joseph Kabila.

Dans un communiqué officiel du 19 avril 2025, le ministre de la Justice, M. Constant Mutamba, a ordonné l’ouverture de poursuites contre l’ex-chef de l’Etat, accusé de haute trahison, et la saisie de l’ensemble des biens mobiliers et immobiliers appartenant au sénateur à vie Joseph Kabila. Cette mesure spectaculaire – couplée à la suspension du parti politique de M. Kabila – interpelle quant au respect des règles de droit établies. Un tel acte, pris en dehors de toute décision judiciaire préalable, soulève la question fondamentale du respect de l’Etat de droit et des procédures légales dans la conduite des affaires publiques en RDC.

Etat de droit et primauté de la Constitution

La Constitution du 18 février 2006 proclame que la RDC est un État de droit. Ce principe n’est pas qu’une formule : il signifie que tous, gouvernants comme gouvernés, sont soumis à la loi et à la Constitution. Dans un État de droit, les autorités ne peuvent agir que dans le cadre fixé par les textes juridiques en vigueur, et toute atteinte aux droits fondamentaux doit être strictement encadrée par la loi. Le respect des droits de la défense, de la présomption d’innocence et des procédures régulières n’est pas optionnel, même face à des accusations graves telles que la haute trahison. Personne n’est au-dessus de la loi, certes, mais personne n’est en-dessous non plus – y compris un ancien Président de la République.

La lutte contre l’impunité doit se faire sans jamais renier les garanties légales qui sont le socle de la démocratie congolaise.

L’immunité parlementaire du Sénateur à vie

Joseph Kabila n’est pas un citoyen ordinaire : en tant qu’ancien Président élu, il bénéficie du statut de sénateur à vie conformément à l’alinéa 7 de l’article 104 de la Constitution, qui dispose que « Les anciens Présidents de la République élus sont de droit sénateurs à vie ». À ce titre, il jouit de l’immunité parlementaire attachée à tout membre du Parlement. L’article 107 de la Constitution consacre cette immunité en deux volets : d’une part, l’irresponsabilité pour les opinions et votes émis dans l’exercice des fonctions parlementaires, et d’autre part, l’inviolabilité qui encadre strictement les poursuites pénales éventuelles. Plus précisément, « aucun parlementaire ne peut, en cours de sessions, être poursuivi ou arrêté, sauf en cas de flagrant délit, qu’avec l’autorisation de l’Assemblée nationale ou du Sénat, selon le cas. En dehors de sessions, aucun parlementaire ne peut être arrêté qu’avec l’autorisation du Bureau de l’Assemblée nationale ou du Bureau du Sénat, sauf en cas de flagrant délit, de poursuites autorisées ou de condamnation définitive ».

Le statut particulier d’un ancien Président de la République

Au-delà de la Constitution, le législateur congolais a prévu des garanties supplémentaires pour les anciens présidents. Une loi spécifique relative au statut des anciens Chefs de l’État renforce en effet le cadre procédural les concernant. Son article 8 dispose que pour des actes commis en dehors de l’exercice de ses fonctions présidentielles, les poursuites contre un ancien Président de la République élu doivent être préalablement autorisées par le vote des deux tiers des membres de chaque Chambre du Parlement, réunies en Congrès.

Autrement dit, même une fois qu’il a quitté le pouvoir, un ancien Président – devenu sénateur à vie – ne peut être traduit en justice que si une large majorité qualifiée du Parlement l’estime nécessaire. Cette même disposition ajoute par ailleurs qu’« aucun fait nouveau ne peut être retenu à charge de l’ancien Président de la République élu », affirmant ainsi la volonté de protéger l’ancien Chef de l’État contre toute accusation opportuniste surgissant après son mandat.

La confiscation des biens : cadre légal et droits en jeu

La saisie-confiscation des biens d’un individu est une mesure grave, prévue par le droit pénal comme une peine ou une mesure de sûreté prononcée par une autorité judiciaire. En droit congolais, la confiscation de biens n’est envisageable qu’à l’issue d’un processus judiciaire régulier, généralement comme sanction faisant suite à une condamnation pénale.

Avant toute condamnation définitive, la saisie de biens peut certes être utilisée à titre conservatoire dans le cadre d’une enquête, mais de telles saisies préventives obéissent à des procédures strictes sous le contrôle de magistrats. En revanche, il n’existe aucune base légale permettant à un ministre, par simple communiqué, de confisquer les biens d’un individu en dehors de tout cadre judiciaire.

Impératif démocratique : respecter les procédures établies

Que faire face à des accusations aussi sérieuses que la haute trahison, impliquant la sécurité nationale et la souveraineté de l’État ? La tentation peut être forte pour le pouvoir en place d’agir dans l’urgence. Cependant, l’efficacité apparente ne doit jamais primer sur la légalité.

L’histoire institutionnelle de la RDC a enseigné combien le contournement des lois peut conduire à des abus de pouvoir et à l’instabilité. Poursuivre un ancien Président est possible, mais cela doit se faire en suivant chaque étape prévue par le droit : saisine du Parlement pour la levée des immunités requises, réunion du Congrès pour autoriser les poursuites, instruction judiciaire impartiale, et jugement par une cour compétente.

Conclusion : pour une justice exemplaire, gage de stabilité

La confiscation des biens de l’ancien Président Joseph Kabila, opérée en marge des procédures légales, constitue un précédent dangereux pour la démocratie congolaise. En agissant ainsi, le gouvernement envoie le message que la fin justifierait les moyens, au risque d’éroder les fondements mêmes de la République. Il n’est pas question de défendre l’impunité, mais de rappeler que la justice, pour être crédible, doit être exemplaire dans sa méthode. Le respect de la Constitution et des lois est la condition de la stabilité du pays. Aucun combat politique ne justifie l’abandon du droit. Seule une justice rendue selon les règles peut inspirer la confiance du peuple.

You may also like

Laissez un commentaire

Quotidien d'Actions pour la Démocratie et le Développement

Editeur - Directeur Général

 +243818135157

 +243999915179

ngoyimarcel@ymail.com

@2022 – All Right Reserved. La Prospérité | Site developpé par wetuKONNECT