(Par Omer Nsongo die Lema)
L’article 138 de la Constitution s’applique sur le Gouvernement, les entreprises, les établissements et les services publics. L’article 196 du Règlement intérieur se rapporte aux activités et à la gestion du Bureau du Sénat. L’article 224 aux émoluments et autres avantages sociaux en faveur des sénateurs élus ! Conséquence : c’est extrêmement grave pour le pays que de voir des législateurs (Sénateurs) se mettre volontairement dans l’incapacité d’interpréter correctement des textes régissant le pays et leur propre institution !
Aucun lien n’est à établir avec le statut d’un Sénateur à vie
Le libellé intégral de l’article 138 est : «Sans préjudice des autres dispositions de la présente Constitution, les moyens d’information et de contrôle de l’Assemblée nationale ou du Sénat, sur le Gouvernement, les entreprises publiques, les établissements et services publics sont : 1. la question orale ou écrite avec ou sans débat non suivie de vote ; 2. la question d’actualité ; 3. l’interpellation ; 4. la commission d’enquête ; 5. l’audition par les Commissions. Ces moyens de contrôle s’exercent dans les conditions déterminées par le Règlement intérieur de chacune des Chambres et donnent lieu, le cas échéant, à la motion de défiance ou de censure conformément aux articles 146 et 147 de la présente Constitution ».
Comme on peut s’en rendre compte sans nécessairement avoir des notions de droit, cet article, dans son entièreté, détermine les rapports entre, d’une part, le Sénat et, de l’autre, l’Exécutif national, à l’exception du Président de la République. Il s’agit, justement, du Gouvernement (cas de celui de Judith Suminwa), des entreprises publiques (cas de la Gécamines), des établissements publics (cas de la DGI) et des services publics (cas du Service national). Aucun lien n’est à établir avec le statut du sénateur à vie réservé à tout ancien président de la République élu.
A la lumière de ce qui précède, on est en droit de se demander où placer Joseph Kabila qui, lui, n’est ni membre du Gouvernement, ni membre de l’une ou l’autre des structures publiques citées, même à titre honoraire !
Le Sénat joue faux en se référant aux articles 196 et 224 de son règlement intérieur
Pour plus de précisions, l’invitation adressée au sénateur à vie sous forme d’une lettre administrative porte les références n°503/CAB/PDT/SENAT/SLK/DMO/PK/2025 et une date : 19 MAY 2025 (sic). L’adresse indiquée est, tenez bien, « Palais du Peuple, KINSHASA/GOMBE » (resic). « Objet : Invitation à une séance de travail avec la Commission Spéciale ». Son contenu est : « Honorable Sénateur, Conformément aux articles 138, point 5 de la Constitution, 196 et 224 du Règlement intérieur du Sénat, vous êtes invité à une séance de travail de la Commission spéciale chargée de l’examen du réquisitoire de l’Auditeur Général près la Haute Cour Militaire relatif à la levée de vos immunités parlementaires et à l’autorisation des poursuites, le mardi 20 mai 2025, à partir de 11h00, dans la Salle des Conférences Internationales. Veuillez agréer, Honorable Sénateur à vie, l’expression de la parfaite considération ». Signé : « SAMA LUKONDE KYENGE Jean-Michel ».
Les articles 196 et 224 du Règlement intérieur du Sénat sont reproduits intégralement dans cette livraison pour que nul n’en ignore le sens. En voici la démonstration pour l’article 196 : « Si dans le délai imparti, le Bureau ne répond pas à la lettre ou si son auteur n’est pas satisfait de la réponse, l’Assemblée plénière peut constituer une Commission d’enquête chargée de lui faire un rapport circonstancié sur les activités et la gestion du Bureau du Sénat. La présidence de cette commission est assurée, à tour de rôle, par les Groupes politiques non représentés au Bureau du Sénat. A l’issue de ce rapport, l’Assemblée plénière peut, en cas de mégestion, demander la démission des membres du Bureau impliqués à la majorité des deux tiers de ses membres. Si le quorum de deux tiers n’est pas atteint à la première séance, la majorité simple suffit à la séance subséquente. Toutefois, les membres démis conservent leur mandat de Sénateur ».
Et la démonstration de l’article 224 : « Après la validation de son mandat et pour lui permettre de travailler dans les conditions décentes, il est alloué au Sénateur une indemnité d’installation équivalant à six mois de ses émoluments mensuels. Le sénateur a droit à une indemnité de sortie égale à six mois de ses émoluments mensuels. Cette indemnité payable avant la fin de la dernière session de la législature lui assure une sortie honorable ».
Constat indéniable : autant pour l’article 138 de la Constitution dans son alinéa 5, le Sénat joue faux pour les articles 196 et 224 de son propre Règlement intérieur. Joseph Kabila n’y est pas concerné non plus !
On assiste à quelque chose qui ressemble au fameux « Théâtre de chez nous »
Dans l’avant-dernière livraison sous le titre « Affaire Kabila : de grâce, faisons les choses correctement ; il en va de la dignité du pays », nous en avons appelé au sérieux à mettre dans cette procédure de mise en accusation d’un chef d’Etat, honoraire soit-il.
Puisqu’on ne peut pas présager d’une incompétence ou d’une mauvaise foi de la part des Sénateurs, on serait au moins d’accord sur le fait que la chambre haute ne veut pas porter sur elle une responsabilité aux conséquences incalculables sur l’avenir du pays.
Après tout, le départ a été volontairement faussé par le Gouvernement en se référant à des infractions inexistantes dans le Droit congolais. De un.
De deux, le réquisitoire de l’auditeur général des Fardc comporterait des allégations. Les propos obtenus du condamné à la peine de mort Éric Nkuba ne sont pas prouvables matériellement.
De trois, l’article 8 de la loi portant statut d’anciens chefs d’Etat prévoit un Congrès (Assemblée nationale et Sénat) pour obtenir la levée des immunités parlementaires du Sénateur à vie.
Or, de 4, l’Assemblée nationale ne semble pas pressée, mais alors pas du tout, de réclamer du Sénat sa participation à ses côtés pour l’application correcte de l’article 8.
Déjà, dans la procédure, on assiste à quelque chose qui ressemble au fameux « Théâtre de Chez Nous » : le refus de voir le Congrès siéger pour une matière non prévue dans la Constitution, argue André Mbata, professeur des universités, secrétaire permanent de l’Usn, constitutionnaliste Udps.
Cerise sur le gâteau : la Commission mise sur pied par la plénière du Sénat fait son numéro d’envoyer le huissier de justice le 19 mai 2025 à Joseph Kabila à son domicile de GLM l’invitation pour participer le lendemain à une séance de travail, tout en sachant très bien que les biens de l’intéressé ont été saisis et que, partant, l’intéressé est censé ne plus avoir de domicile fixe sur toute l’étendue du territoire national !
Dès lors qu’aucune des institutions concernées ne veut véritablement assumer sa part de responsabilité, on doit bien finir par admettre l’existence des manœuvres dilatoires avec pour finalité le schéma ci-après : rendu injoignable chez lui, ne siégeant pas au Sénat, Joseph Kabila, par défaut (lisez refus) de présence, verra ses immunités levées, son procès se tenir et sa condamnation par contumace prononcée, surtout lorsque « L’intérêt du peuple est la loi suprême » !
Pour peu qu’on soit conséquent avec soi, et sauf agenda caché (il y en a tellement que ce pays mérite l’appellation « République des Agendas Cachés (RAC) », tout est fait par l’État pour troubler l’État en même temps que le Peuple et la Nation.
Moralité : quand des intelligences concentrées dans des institutions publiques, dans la classe politique et dans la société civile se retrouvent pour normaliser l’anormal, et ce en se basant sur des textes auxquels elles font dire autre chose que ce qui relève de la compréhension basique, c’est qu’il y a anguille sous roche.
A partir de cet instant, reste à savoir ce qu’on doit penser d’un tel Etat qui ne sait pas interpréter sa propre Constitution ni ses propres textes légaux, réglementaires et administratifs pour une affaire de justice.
Convenons-en : il n’envoie pas des signaux rassurants aux partenaires très portés, eux, sur la notion Etat de droit. Au contraire, ceux des partenaires qui, jusque sous peu, ignoraient l’existence d’un pays dénommé République Démocratique du Congo, vont commencer à chercher à en savoir plus davantage en rouvrant, notamment, des pages qui devraient être fermées ou refermées à jamais !
De grâce, ne suivez pas mon regard…