Accueil » Trentième réflexion du Professeur Jean-Denis Kasese, RD Congo : les articles 99 et 168 de la Constitution, à la rescousse pour l’intelligibilité du juge pénal d’un ancien Premier Ministre, et le revirement de la Cour Constitutionnelle dans l’affaire Bukanga Lonzo – tentative de levée du voile obscurcissant

Trentième réflexion du Professeur Jean-Denis Kasese, RD Congo : les articles 99 et 168 de la Constitution, à la rescousse pour l’intelligibilité du juge pénal d’un ancien Premier Ministre, et le revirement de la Cour Constitutionnelle dans l’affaire Bukanga Lonzo – tentative de levée du voile obscurcissant

Par La Prospérité
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Il ressort de la consultation de l’importante littérature qui existe sur le Juge pénal d’un ancien Premier Ministre, que le flou persiste encore, et le doute plane toujours. Cette posture pourrait s’expliquer par le fait que la Cour Constitutionnelle s’est dédite dans l’affaire Bukanga Lonzo.

Une affaire qui continue de faire couler beaucoup d’encre et de salive; Une affaire qui défraie toujours la chronique ;

Une affaire qui déchire nombre de : Scientifiques, Spécialistes, Observateurs,  Acteurs ou Témoins de la vie politique ou judiciaire de la RD Congo.

De cette guerre de tranchées, ressortent quatre (4) équations à quatre  (4) inconnues, qu’il convient de tenter de  résoudre :

1. Est-ce qu’un ancien Premier Ministre, peut-il être poursuivi pour des infractions ou délits qu’il a commis, tels que définis dans les articles 164 et 165 de la Constitution ?

2. Dans son premier arrêt, dans l’affaire Bukanga Lonzo, la Cour Constitutionnelle avait-elle raison de se  déclarer incompétente pour être le Juge pénal d’un ancien Premier Ministre ?

3. Quelle est la juridiction compétente pour juger un ancien Premier Ministre ?

4. La Cour Constitutionnelle, en tant que la plus haute juridiction de la RD Congo, peut-elle se dédire dans une même affaire ? Si oui, pourquoi ? Quelle (s) est (sont) la (les) disposition (s) Constitutionnelle (s) sur laquelle ( lesquelles) peut-elle s’appuyer ?

C’est ainsi, qu’une analyse scientifique rigoureuse, centrée sur la Neutralité Axiologique, a été mobilisée et, est entrée en lice, afin de tenter d’éclairer la lanterne des Congolais.

Signalons en passant que, cette Réflexion est la version revue, corrigée et augmentée, de ma première Réflexion sur l’affaire Bukanga Lonzo , publiée en 2021.

Ma réflexion

 » La pensée ne doit jamais se soumettre, ni à un dogme, ni à un parti,  ni à une passion, ni à un intérêt, ni à une idée préconçue, ni à quoi que ce soit, si ce n’est aux faits eux-mêmes, parce que, pour elle, se soumettre, ce serait cesser d’être.  » ¹

Cela dit, voici ci-dessous, mes tentatives de réponses :

I. Première équation à une inconnue

Est-ce que l’ancien Premier Ministre Matata Ponyo, pouvait -il être poursuivi pour des infractions ou délits, qu’il a commis lorsqu’il était Premier Ministre, tels que définis dans les articles 164 et 165 de la Constitution ?

Réponse : Oui

Question : Pourquoi ?

Réponse : Pour tenter de résoudre cette équation ; il convient, à mon sens, de faire une analyse comparative entre   » l’affaire Bukanza Lonzo  » en RD Congo  et   »  l’affaire du sang contaminé  »  ² en France. Question :

Pourquoi la France ?

Réponse :

– Parce que  nombre d’auteurs, pas les moindres, à l’instar de Delphine Pollet – Panoussis ³, soutiennent que la Constitution de la RD Congo de 2006 , est  »  la petite sœur africaine  de la Constitution française  » , la Constitution française en vigueur, celle du 4 octobre 1958, appelée aussi, la Constitution de la V ème République.

–  Parce que dans les deux (2) affaires, il s’agit bien,  de la responsabilité pénale de deux anciens Premiers Ministres

– Partant du fait qu’aucune  discipline scientifique n’est autonome à cent pour cent ( 100 % )  car on emprunte toujours à la discipline voisine ; et partant aussi du fait que la Constitution de la RD Congo de 2006 est rédigée en langue française et que, le Français est aussi une discipline scientifique , à part entière, enseigné notamment  à  l’Université ; il convient de s’arrêter un moment sur ces deux   »  expressions »  françaises utilisées dans la  Constitution de la RD Congo, plus précisément, dans son article 164 :

–  » dans l’exercice de leurs fonctions « 

– et  » à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions » et ,comparativement sur la même expression utilisée dans l’article 68 de la Constitution française, pour les  » membres du gouvernement  » :  » dans l’exercice de leurs fonctions » d’où s’est inspiré ou a été tiré, d’ailleurs, à mon sens, l’article 164 de la Constitution de la RD Congo de 2006

–  Dans le cas de la RD Congo, la première expression : « dans l’exercice de leurs fonctions «, voudrait dire, en réalité : 

Lorsque le Président de la République ou le Premier Ministre en fonction ou lorsqu’ils étaient en fonction, ont commis des actes qualifiés d’infractions ou délits, tels que définis dans les articles 164 et 165 de la Constitution ; donc, actes qu’ils ont commis lorsqu’ils jouissaient de leurs compétences.

C’est pourquoi, ces actes sont ainsi réputés susceptibles des poursuites pénales au moment où ils ont été commis.

En clair, en ce qui nous concerne, cela voudrait dire, même après son mandat de Premier Ministre,  c’est-à-dire, lorsqu’ il devient ancien Premier Ministre, celui-ci, est toujours réputé justiciable (comme tout Congolais) pour des actes qu’il a commis quand il était en fonction, actes, tels que décrits dans les articles de la Constitution précités.

Sinon, comment expliquer, à titre comparatif, qu’un ancien Premier Ministre français,  en l’occurrence, Laurent Fabuis, fut jugé  par la Cour de Justice de la République en 1993, soit un peu moins de sept (7) ans après son mandat, pour des actes poursuivables en pénal tels que décrits dans l’article 68 de la Constitution française, actes qu’il aurait commis quand il était Premier Ministre, donc en fonction ;  c’est-à-dire, entre les 17 juillet 1984 et 20 mars 1986 ⁴ ?

Soulignons toutefois,  qu’en France, l’article 68 de la Constitution parle des  »  Membres du Gouvernement «, bien entendu,  le Premier Ministre français y compris, car il est le Premier Membre de son Gouvernement, donc , le Chef  de son  Gouvernement  5

Cet article 68 de la Constitution française utilise donc  la même  » expression française  » que l’article 164 de la Constitution de la RD Congo, c’est-à-dire : « dans l’exercice de leurs fonctions » 

C’est ainsi, qu’on pourrait mieux comprendre, dès lors,  que l’article 164 de la Constitution de la RD Congo s’est inspiré ou a été tiré de cet article 68 de la Constitution française.

Question : Cela dit, quelle serait maintenant, l’intelligibilité de l’autre expression utilisée dans l’article 164 de la Constitution de la RD Congo : « à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions  » ?

A mon sens, et en ce qui nous concerne, cette expression simplifierait encore l’intelligibilité de cet article car elle enlève le voile obscurcissant, s’il y en a, de la première expression, tout en la raffermissant.

Cette expression nous renvoie carrément dans le passé.

La question intelligible qui pourrait éclairer la lanterne, serait :

Question : À quelle occasion, Matata Ponyo a commis des actes susceptibles des poursuites pénales tels que décrits dans les articles 164 et 165 de la Constitution ?

Réponse : Lorsqu’il était Premier Ministre, dans le cadre du projet du parc agro-industriel de Bukanga Lonzo.

On pourrait dès lors bien saisir qu’un ancien Premier Ministre est justiciable comme tous les Congolais.es et devrait répondre de ses actes tels que définis dans les articles 164 et 165 de la Constitution ; actes qu’il a commis lorsqu’ il devait prendre des décisions ressortant de ses compétences, c’est-à-dire, lorsqu’ il devait jouir, en tant qu’autorité administrative , donc , en tant que le Premier Ministre., du Principe d’ Indisponibilité des Compétences Administratives ( PICA).

En Somme, ces deux  » expressions  » ne protègent nullement un ancien Premier Ministre  et encore moins, ne prônent nullement son impunité.

Bien au contraire, elles le responsabilisent.

II. Deuxième équation à une inconnue :

La Cour Constitutionnelle avait-elle raison de se déclarer incompétente pour être le Juge pénal d’un ancien Premier Ministre ?

Réponse : NON.

Pourquoi ?

La démonstration de la résolution de la première équation, me semble-t-il, est magistrale.

Et de surcroît, si nous nous limitons seulement à la deuxième expression : « à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions »;

On ne peut plus clair !

Le concept « occasion « nous renvoie dans le passé.

C’est-à-dire,’ lorsqu’il fut Premier Ministre, et en jouissant de ses prérogatives de Premier Ministre, c’est-à-dire, c’est à l’occasion de l’exercice de ses fonctions, qu’il a commis ces actes susceptibles des poursuites pénales.

Question :

Sur quelles dispositions constitutionnelles, la Cour Constitutionnelle se serait-elle basées pour se déclarer incompétente ? Quel aurait été son raisonnement ?

Réponse :

A mon avis, la Cour Constitutionnelle s’est dit, qu’il serait réductif de se limiter seulement à l’article 164 de la Constitution, il convenait aussi de saisir les contours des alinéas 1 des articles 166 et 167 de la Constitution, si on voulait bien saisir la complexité de cette problématique.

Elle se serait basée ainsi sur l’esprit du Constituant !

Pour s’en convaincre,  interrogeons l’alinéa 1 de l’article 166 et  l’alinéa 1 de l’article 167 de la Constitution :

L’alinéa 1 de l’article 166 de la Constitution, stipule :

 » La décision de poursuites ainsi que la mise en accusation du Président de la République et du Premier ministre sont votées à la majorité des deux tiers des membres du Parlement composant le Congrès suivant la procédure prévue parle Règlement intérieur. « 

1. De cet alinéa 1 de l’article 166 de la Constitution ressort un problème de taille, qui se pose en ces termes :

Question :

Comment pourrait-on réunir et demander au parlement de voter et de prendre  la décision de poursuites ou de mise en accusation d’un ancien Premier Ministre  qui a commis des actes tels que qualifiés dans ces articles précités et dont son statut actuel, ne le protège pas, par une quelconque immunité, car il est devenu un simple citoyen ?

Réponse :

On est tenté de dire qu’on ne peut pas le faire car son statut actuel ne le protège plus.

Il serait devenu comme tous ces Congolais sans immunité ou sans privilège de juridiction.

Ce serait dans cet ordre d’idées que la Cour Constitutionnelle aurait basé son raisonnement en considérant que l’ancien Premier Ministre Matata Ponyo, tomberait automatiquement dans le régime général, c’est-à-dire, celui du Droit commun, qui lui définirait son Juge naturel.

Sous cet angle, on pourrait avancer que, pour la Cour Constitutionnelle, cela montrait à suffisance que dans l’esprit du Constituant, c’était plutôt du Premier Ministre en fonction dont il s’agissait !

2.  L’alinéa 1 de l’article 167 de la Constitution, stipule :

 » En cas de condamnation, le Président de la République et le Premier ministre sont déchus de leurs charges. La déchéance est prononcée par la cour constitutionnelle_. »

En analysant cet alinéa 1 de l’article 167 de la Constitution, un second problème de taille, se pose :

Question : Comment peut-on déchoir un ancien Premier Ministre ?

Réponse :

On ne peut et on ne sait le faire, car on ne peut déchoir que le Premier Ministre qui est en exercice, en fonction, si les actes qu’il a commis dans  » l’exercice de ses fonctions  »  sont qualifiés et réputés tels quels, selon les articles de la Constitution précités.

Cela dit, après toutes ces tentatives de réponses, je peux avancer sans trop de crainte que, dans  l’esprit du Constituant, le Premier Ministre en fonction et l’ancien Premier Ministre sont justiciables.

Même si la Constitution a été dans les détails pour la responsabilité pénale du Premier Ministre en fonction, en exercice ; elle a été aussi claire pour la responsabilité pénale d’un ancien Premier Ministre, l’article 164 le révèle sans détour, de par les deux expressions utilisées.

Conclusion : si la logique dans la réflexion de la Cour Constitutionnelle, en ce qui concerne l’alinéa 1 de l’article 166 et l’alinéa 1 de l’article 167 de la Constitution tient la route ; cependant l’intelligibilité du concept,  » à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions  »  et  » Dans l’exercice de leurs fonctions « , est, on ne peut plus clair.

A mon sens, même si le  Constituant a mis en relief et détaillé clairement le Juge pénal d’un Premier Ministre en exercice, en fonction ; en se basant sur les alinéas 1 des articles 166 et 167 de la Constitution ;

L’article 164 de la Constitution, a mis aussi clairement en relief, le Juge pénal d’un ancien Premier Ministre de par les deux expressions qu’il a utilisées.

III.  Troisième équation à une inconnue

Quelle est la juridiction compétente pour juger un ancien Premier Ministre ?

Réponse :

Les tentatives de résolutions de deux premières équations nous montrent à suffisance qu’un ancien Premier Ministre est justiciable, et que, la Cour Constitutionnelle est son Juge pénal.

Ma posture est renforcée et raffermie par l’article 99 de la Constitution, qui détruit, en effet, le premier arrêt de la Cour Constitutionnelle dans l’affaire Bukanga Lonzo, où elle s’est déclarée incompétente pour juger l’ancien Premier Ministre Matata Ponyo.

Cela dit, mettons en relief cet article de la Constitution et analysons-le :

Son alinéa 1 :

« Avant leur entrée en fonction et à l’expiration de celle-ci, le Président de la République et les membres du Gouvernement sont tenus de déposer devant la Cour constitutionnelle, la déclaration écrite de leur patrimoine familial énumérant leurs biens meubles, y compris actions, parts sociales, obligations, autres valeurs, comptes en banque, leurs biens immeubles, y compris terrains non bâtis, forêts, plantations et terres agricoles, mines et tous autres immeubles, avec indication des titres pertinents. »

Son alinéa 2 :

« Le patrimoine familial inclut les biens du conjoint selon le régime matrimonial, des enfants mineurs et des enfants, mêmes majeurs, à charge du couple. »

Son alinéa 3 :

« La Cour constitutionnelle communique cette déclaration à l’administration fiscale. « 

Son alinéa 4 :

« Faute de cette déclaration, endéans les trente jours, la personne concernée est réputée démissionnaire. »

Son alinéa 5 :

« Dans les trente jours suivant la fin des fonctions, faute de cette déclaration, en cas de déclaration frauduleuse ou de soupçon d’enrichissement sans cause, la Cour constitutionnelle ou la Cour de cassation est saisie selon le cas. »

Analysons. Pour commencer, rabattons-nous sur l’alinéa 1 de l’article 99 de la Constitution.

Il ressort de cet alinéa, un élément révélateur que voici :

Avant leur entrée en fonction le Président de la République, le Premier Ministre, et tous les autres membres du Gouvernement, et cela, endéans les trente jours; sont tenus de faire une déclaration écrite de leur patrimoine familial, auprès de la Cour Constitutionnelle  ;

De même, à  l’expiration de leurs fonctions, c’est-à-dire, quand ils deviennent, ancien Président de la République, ancien Premier Ministre et anciens membres du Gouvernement, ils sont toujours tenus, endéans les trente jours, de déclarer aussi par écrits, leur patrimoine familial, et cela, toujours, devant la Cour Constitutionnelle.

L’alinéa 5 de l’article 99 de la Constitution, détruit sans détour, la thèse des théoriciens qui soutiennent et, qui ont véhiculé, la thèse selon laquelle, qu’en matière pénale, c’est seulement le Président de la République en fonction et le Premier Ministre en fonction, qui ont le privilège de juridiction. En d’autres termes, la Cour Constitutionnelle n’est compétente que pour être le Juge pénal du Président de la République en fonction et du Premier Ministre en fonction.

Pour s’en convaincre, reprenons cet alinéa 5 de l’article 99 de la Constitution :

« Dans les trente jours suivant la fin des fonctions, faute de cette déclaration, en cas de déclaration frauduleuse ou de soupçon d’enrichissement sans cause, la Cour_ constitutionnelle ou la Cour de cassation est saisie selon le cas. »

Cette disposition  constitutionnelle nous renseigne, quel est le Juge pénal d’un ancien Président de la République, d’un ancien Premier Ministre et des anciens membres du Gouvernement pour des motifs susmentionnés.

Ceci nous pousse à conclure que la Cour Constitutionnelle est le Juge pénal du Président de la République en exercice, du Premier Ministre en exercice, mais aussi d’un ancien Président de la République et d’un ancien Premier Ministre.

Et la Cour de Cassation est le Juge pénal des autres membres du Gouvernement, notamment pour des motifs tels que susmentionnés dans l’alinéa 5 de l’article 99 de la Constitution.

En d’autres termes, le Président de la République en exercice, l’ancien Président de la République, le Premier Ministre en exercice, et l’ancien Premier Ministre, bénéficient tous du privilège de juridiction, dans le sens où, la Cour Constitutionnelle, qui est la plus haute juridiction du pays, est leur Juge pénal pour des délits et infractions commis dans l’exercice de leurs fonctions  ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions ; mais aussi pour des motifs évoqués dans l’alinéa 5 de l’article 99 de la Constitution.

IV. Quatrième équation à une inconnue

 La Cour Constitutionnelle, en tant que la plus haute juridiction de la RD Congo, peut-elle se dédire dans une même affaire ? Si oui, pourquoi ? Quelle (s) est (sont) la (les) disposition (s) Constitutionnelle (s) sur laquelle ( lesquelles) peut-elle s’appuyer ?

Nombre de théoriciens et spécialistes s’appuyent sur l’alinéa 1 de l’article 168, pour évoquer la bourde qu’aurait commise la Cour Constitutionnelle en se dédisant dans son nouvel arrêt R. Cons. 1816, dans la même affaire Bukanga Lonzo.

Antinomiquement, me semble-t-il, la résolution de cette équation, en apparence difficile, se trouverait justement dans ce même article 168 de ls Constitution.

Cela dit, avant de tenter de résoudre cette équation à une inconnue, il convient de mettre en exergue, les contextes ou facteurs qui pourraient amener la Cour Constitutionnelle à se dédire :

– une réinterprétation d’une disposition constitutionnelle

– un changement de jurisprudence

– une nouvelle lecture de la loi

– une modification des règles de procédure

– l’influence d’un nouveau contexte juridique ou social

– une reconsidération juridique

– des pressions politiques

– un changement du personnel, c’est-à-dire, un changement au niveau de la composition de la Cour Constitutionnelle

Mais, l’alinéa 1 de l’article 168 nous met en difficulté, il stipule :

Les arrêts de la Cour constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours et sont immédiatement exécutoires. Ils sont obligatoires et s’imposent aux pouvoirs publics, à toutes les autorités administratives et juridictionnelles, civiles et militaires ainsi qu’aux particuliers. « 

Cela voudrait dire aussi, même en cas d’ arrêts inconstitutionnels ou illégaux ; et comme il n’y a pas d’autres juridictions compétentes pour revoir une décision de la Cour Constitutionnelle ;ces arrêts ne sont susceptibles de recours.

En d’autres termes, faute de juridiction de recours d’une décision de la Cour Constitutionnelle, ladite décision même si elle est considérée comme illégale ou inconstitutionnelle, est obligatoire et exécutoire ; elle doit donc être immédiatement appliquée.

Cependant, l’alinéa 2 de l’article 168 nous donne une bouffée d’oxygène, car il stipule :

« Tout acte déclaré non conforme à la Constitution est nul de plein droit. « 

Commençons d’abord par rappeler qu’un arrêt de la Cour Constitutionnelle est avant tout, un acte juridique.

Dans ce sens, dans l’esprit du Constituant congolais, les arrêts de la Cour Constitutionnelle qui doivent être obligatoires et exécutoires, sont ceux qui ne violent pas la Constitution ni la loi, ni d’autres dispositions juridiques.

Sinon, comment peut-on penser autrement car l’un des objectifs du Droit, est de promouvoir la justice.

La promotion de la Justice ne peut se faire avec des arrêts de la Cour Constitutionnelle déclarés inconstitutionnels ou illégaux car ils sont réputés jouer un rôle contre-productif.

Ainsi, je peux avancer sans trop de crainte que, le caractère exécutoire et obligatoire des arrêts de la Cour Constitutionnelle déclarés inconstitutionnels ou illégaux, est en réalité, la conséquence d’inexistence de juridiction de recours des décisions de la Cour Constitutionnelle.

Dans ce sens, il n’est nullement la volonté ou la posture délibérée du Constituant congolais.

Ci-haut, j’ai tenté de démontrer qu’un ancien Premier Ministre est justiciable, et que son Juge pénal est la Cour Constitutionnelle.

Cette démonstration se heurte ainsi  à l’arrêt R 0001du 15 novembre 2021, dans lequel, la Cour Constitutionnelle s’est déclarée incompétente.

Je peux  ainsi avancer sans trop de crainte que la Cour Constitutionnelle s’est trompée dans son arrêt R 0001, car celui-ci avait ainsi violé une disposition constitutionnelle, en l’occurrence, l’article 164 de la Constitution.

Nonobstant ce fait, comme il n’y a pas de juridiction compétente de recours d’une décision de la Cour Constitutionnelle car cette dernière étant la plus haute juridiction ; c’est ainsi que son arrêt R 0001 ‘, était devenu immédiatement obligatoire et exécutoire.

En clair, ceci voudrait dire aussi que, les décisions inconstitutionnelles ou illégales rendues par la Cour Constitutionnelle, pouvaient faire l’ objet de recours, mais faute de juridiction de recours des décisions rendues par la Cour Constitutionnelle, celles-ci deviennent immédiatement obligatoires et exécutoires.

Cela dit, afin de tenter de résoudre cette équation à une inconnue, revenons aux contextes qui peuvent pousser la Cour Constitutionnelle à se dédire.

Dans notre cas de figure, j’en ai retenus deux (2) :

1. Le changement de personnel, c’est-à-dire, le changement au niveau de la composition de la Cour Constitutionnelle.

Dans notre cas de figure, il est bien réel que l’arrêt R 0001 de la Cour Constitutionnelle a été pris sous la Présidence du Professeur Dieudonné Kaluba Kibwe, élu Président de la Cour Constitutionnelle, le 20 avril 2021 6.

Tandis que, l’arrêt R. Cons. 1816 dans lequel la Cour s’est dédite, a été rendu sous la Présidence du Juge, Dieudonné Kamuleta Badibanga , élu Président de la Cour Constitutionnelle, le 21 juin 2022 7.

Son élection est intervenue après la nomination de trois (3) juges constitutionnels qui ont prêté serment le 15 juin 2022. Il s’agit des juges :

Christian Bahati Yuma,  Sylvain Lumu Mbaya, et lMandza Andia Dieudonné. 8

Ce changement serait l’un des éléments-clés qui nous permettrait de saisir les contours de cette problématique.

2. La reconsidération juridique

C’est le deuxième et dernier élément central qui pourrait nous aider à résoudre cette équation.

Dans notre cas de figure, à mon sens, le changement qui avait eu lieu au sein de la Cour Constitutionnelle, aurait poussé celle-ci à reconsidérer sa position.

Car, me semble-t-il, une analyse juridique plus approfondie a été faite par la nouvelle configuration de cette Cour, qui aurait constaté qu’il existait bien des lacunes dans la décision précédente.

C’est dans ce sens que ma démonstration est confortée par l’arrêt R. Cons. 1816 du 18 novembre 2022, dans lequel, la Cour Constitutionnelle, s’est dédite en se déclarant compétente.

En somme, partant du fait que l’arrêt R 0001du 15 novembre 2021 de la Cour Constitutionnelle, est un acte juridique ; et que tout acte déclaré non conforme à la Constitution est nul de plein droit ;

Sachant que même les arrêts de la Cour Constitutionnelle considérés comme inconstitutionnels ou illégaux, revêtent un caractère obligatoire et exécutoire immédiatement, faute de juridiction de recours des décisions rendues par la Cour Constitutionnelle car elle demeure et reste la plus haute juridiction de la RD Congo ;

Sachant que l’un des objectifs du Droit, est de promouvoir la justice ;

Sachant que les actes juridiques anticonstitutionnels ou illégaux n’ont pas pour vocation de promouvoir la justice ;

Sachant que ce n’est pas la même configuration de la Cour Constitutionnelle qui s’est dédite car l’arrêt R Cons. 1816 du 18 novembre 2022, a été rendu, lors du changement de personnel de la Cour Constitutionnelle, c’est-à-dire, sous la présidence d’un autre juge, et la présence de trois (3) nouveaux juges nommés ;

Sachant que cette nouvelle équipe des Juges de la Cour Constitutionnelle avait fait une analyse juridique approfondie et avait constaté des lacunes dans la décision précédente ;

C’est pourquoi, je peux avancer sans trop de crainte, que les arrêts de la Cour Constitutionnelle même considérés comme anticonstitutionnels ou illégaux, doivent être appliqués car la Constitution demeure et reste au sommet de la hiérarchie des normes, elle a la primauté  ( alinéa 1 de l’article 168 de la Constitution) ;

De même, les arrêts de la Cour Constitutionnelle considérés comme anticonstitutionnels ou illégaux, doivent être appliqués jusqu’à ce qu’ils soient annulés par la même Cour, car la mission du Droit est notamment celle de  promouvoir la Justice, et de surcroît, la Constitution reste et demeure au sommet de la hiérarchie des normes juridiques, et que la primauté de la Constitution est une réalité (alinéa 2 de l’article 168 de la Constitution).

 » Scientia Vincere Tenebras  » (« La Science Vaincra les Ténèbres « )

Professeur Jean-Denis Kasese

Professeur à l’Université Pédagogique Nationale (UPN)

Professeur, Chercheur et Collaborateur Scientifique à l’Université Libre de Bruxelles (ULB)

Membre de la Faculté de  Philosophie et Sciences Sociales (ex – Faculté des Sciences Sociales et Politiques / Solvay Brussels School of Economics and Management) de l’Université Libre de Bruxelles (ULB)

Membre de l’Institut de Sociologie (IS) de l’Université Libre de Bruxelles (ULB)

Membre du Centre  d’Études de la Coopération Internationale et du Développement (CECID) de l’université Libre de Bruxelles (ULB)

Notes et références

1. POINCARÉ, Henri, Discours. Fêtes du 75 ème anniversaire de l’Université Libre de Bruxelles (ULB), ULB / BRUXELLES, le 21 novembre 1909

2. KASESE, OTUNG ABIENDA, Jean-Denis, Systèmes Administratifs Comparés, Inédit,  UPN, 2013, pp. 44-46

3.  POLLET – PANOUSSI, Delphine,  » La Constitution congolaise de 2006 : petite sœur africaine de la Constitution française « , in REVUE FRANÇAISE DE DROIT CONSTITUTIONNEL,  2008/3 (n° 75), pp. 461-498

4. ASSEMBLÉE NATIONALE FRANÇAISE,   » Gouvernement Fabius (17 juillet 1984 – 20 mars 1986), in ASSEMBLÉE NATIONALE,-LCP, 2019

5. Article 21 de la Constitution française du 4 octobre 1958

6.  BUJAKERA, TSHIAMALA, Stanis, «  RDC : Ce qu’il faut savoir sur Dieudonné Kaluba, le nouveau Président de la Cour Constitutionnelle  », in JEUNE AFRIQUE, Publié le 30 avril 2021

7. RADIO OKAPI, « RDC : Dieudonné Kamuleta Badibanga élu Président de la Cour Constitutionnelle «, Publié le 21 juin 2022

8. Loc. Cit.

9. CONSTITUTION de la RD Congo du 18 février 2006.

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