(Par Omer Nsongo die Lema)
Il n’est pire posture pour un chef d’Etat en fonction que celle de ne pas garder l’initiative politique ! En se retrouvant le jeudi 5 juin 2025 plutôt au Palais de la Nation qu’au Mont Ngaliema, Félix Tshisekedi et Martin Fayulu ont sans doute envoyé un message fort à l’opinion nationale et internationale. Si cependant du point de vue protocolaire le message est passé, il n’en est pas de même du point de vue politique. A l’issue de la rencontre, Martin Fayulu a plaidé auprès du chef de l’Etat en faveur de la synergie CENCO-ECC pour une audience, donnant l’impression que son interlocuteur n’en veut pas. «Pour cela, avec toutes ces crises que nous avons crises sécuritaire, sociale, politique – la solution, c’est un dialogue. Je lui ai demandé de tout faire pour rencontrer les évêques de la CENCO et les pasteurs de l’ECC afin de voir ce pacte social qu’ils proposent, comment est-ce que nous pouvons le mettre en avant », a-t-il déclaré avant cet ajout : «Il m’a compris et il va donner sa réponse très rapidement »…
Camp de la patrie ? C’est du déjà entendu depuis 1990 !
En d’autres termes, cela laisse supposer que jusqu’au moment où les deux acteurs se séparaient, Félix Tshisekedi campait encore sur sa position d’ignorer sinon de minimiser l’initiative des Évêques catholiques et protestants. Finalement, il aura fallu le plaidoyer de Martin Fayulu pour le convaincre de la nécessité d’un tête-à-tête avec ces ministres de Dieu catégorisés « pro-Rwandais », donc » anti-Congo » par une communication politique maladroite.
Au fait, on a l’impression que le président de l’Ecide a fait le déplacement du Palais de la Nation plus pour le Pacte Social (auquel il croit fermement) que pour un autre schéma, fut-il celui du « Camp de la Partie », concept ayant la singularité de renaître à la manière de l’hydre.
En effet, sous Mobutu entre 1990 et 1997, deux ou trois fois on avait entendu l’expression « Camp de la Patrie » quand il fallait se définir par rapport soit à Mobutu, soit à Etienne Tshisekedi.
Quand surgit la guerre du 2 août 1998, les partisans de Laurent-Désiré s’étaient constitués en « Camp de la Patrie ».
Il en sera de même pendant les différents mandats de Joseph Kabila. Il y aura même un parti politique du même nom avec à sa tête Pr Z’Ahidi Arthur Ngoma. Pendant les deux mandats électifs du président de la République honoraire et les deux ans de transition (2006-2018), l’expression a été utilisée à toutes les sauces.
Même sous Félix Tshisekedi avec la tenue de la Consultation présidentielle en octobre-novembre 2020 et dans le cadre des élections de 2023, le même concept mobilisateur a été promu. L’entendre de la bouche de Martin Fayulu pour se rapprocher de Félix Tshisekedi n’a rien de surprenant. C’est du déjà entendu.
Le protégé des catholiques de 2018 vient plaider auprès de Félix Tshisekedi de recevoir ses protecteurs
À partir de cet instant, l’intérêt de l’échange est la participation à l’ordre institutionnel au moment où il est question de mise en place du gouvernement d’union nationale escompté des dernières consultations présidentielles initiées par le Chef de l’Etat en personne, consultations organisées du 24 avril au 9 mai 2025 sous la supervision de son Conseiller spécial en matière de sécurité, Pr-Dr Kolongele Eberande.
Soupçonné de briguer la primature dans cette perspective, Martin Fayulu s’en défend : «Ce point n’a pas été abordé». Et de préciser : «Je ne cherche pas de faveur. Je ne veux pas de compromis. Je veux un dialogue sincère, entre Congolais ».
Ce dialogue, il ne cesse de le circonscrire dans l’initiative des « pères spirituels ». Dont, ironie du sort, les Catholiques qui lui avaient concocté la victoire lors de la présidentielle de 2018.
Ainsi, on assiste à un talent fantastique de sa part : le protégé des Catholiques en 2018 vient plaider auprès de Félix Tshisekedi pour recevoir ses « protecteurs » désormais associés aux Protestants, et ce pour le seul Dialogue auquel il croit, lui, fermement : le Pacte Social !
À ses yeux, c’est l’enjeu de la rencontre du 5 juin 2025.
Viennent évidemment quelques préoccupations. Par exemple :
– Qu’adviendra-t-il si Félix Tshisekedi accepte de recevoir la délégation CENCO-ECC et l’idée du Dialogue ? Le mérite reviendra premièrement et essentiellement à Martin Fayulu.
– Qu’adviendra-t-il si Félix Tshisekedi reçoit mais déçoit cette délégation ? Martin Fayulu s’en tirera regaillardi en considérant qu’il a fait sa part.
-Quel dialogue prônera Félix Tshisekedi dès lors que Martin Fayulu a adhéré au Pacte Social de la synergie CENCO-ECC et Joseph (X) autant, même s’il préconise d’éventuels apports pendant qu’il continue de faire valoir le Pacte Républicain de Sun City !
Au moment où se dessine la perspective d’une table ronde (Processus de Doha, de Washington et de Lomé), Félix Tshisekedi ne devra pas donner l’impression de n’avoir rien à mettre sur la table. Ce qui fera passer son attitude pour un belligène.
C’est dur de le dire, mais la vérité à laquelle il va falloir se résigner est qu’en rapprochant de façon si spectaculaire le président de la République, Martin Fayulu lui enlève en réalité tout ce qui fait la force du leadership en politique : garder l’initiative politique justement !
Sentence de Lee Iococca
Le 19 janvier 2025, sous le titre : « Lettre ouverte au Président Félix Tshisekedi : «Svp !, pour une fois, prêtez une oreille attentive à l’initiative CENCO-ECC sur le Pacte Social», nous disions : «Telle qu’elle doit être perçue, l’initiative combinée CENCO-ECC» du Pacte Social trouvera un écho favorable auprès des partenaires nationaux, étrangers et internationaux que je vous conseille en toute modestie d’approcher et non de négliger. C’est dans votre intérêt en tant que Chef d’Etat et Citoyen». Nous ajoutions : «A votre place, je tiendrais compte de tous ces facteurs pour pouvoir garder l’initiative politique au lieu de la subir». Et nous faisions ce rappel : «Pour l’Histoire, de 1996 à 1997, le maréchal Mobutu avait perdu cette initiative sous la pression interne de l’Udps. Et de 1998 à 2001, Laurent-Désiré Kabila avait perdu la même initiative, encore sous la pression interne de l’Udps. A partir de 2016, Joseph Kabila a perdu l’initiative politique toujours sous la pression de l’Udps» avant de conclure : «Il n’est pire posture pour un chef d’État en fonction que celle de ne pas la garder !».
Occasion de plus pour rappeler la sentence de l’américain Lee Iacocca au moment où certains esprits croient la solution finale venir de Washington avec l’Accord minerais stratégiques-sécurité à l’Est : «Une bonne décision prise tard devient une mauvaise décision».