
Le 24 juin, la République Démocratique du Congo célèbre la Journée Nationale du Poisson. Instaurée sous le règne du Président Mobutu Sese Seko, cette journée vise à rendre hommage aux pêcheurs et à sensibiliser la population à l’importance du poisson dans l’alimentation et l’équilibre des écosystèmes. Mais, derrière la célébration, la réalité du secteur est complexe notamment, dans un Nord-Kivu meurtri par la crise. La journaliste et entrepreneure Antigone Tegera, fondatrice de Juhudi Kazi Service, nous livre un aperçu saisissant de la situation.
Pour Antigone Tegera, cette journée est bien plus qu’un symbole. Au cours d’un entretien exclusif, elle souligne que cet événement met l’accent sur des enjeux cruciaux : « la protection des espaces aquatiques, la lutte contre la surpêche et la promotion des pratiques de pêche durable ». C’est aussi, selon elle, une occasion de valoriser les métiers liés à la pêche et à la transformation du poisson, un secteur qu’elle connaît bien.
«En tant qu’entrepreneure œuvrant dans le monde du poisson, cette journée est d’une grande importance car elle permet de valoriser notre secteur et rend hommage aux pêcheurs et aux transformateurs », confie-t-elle.
Produire malgré l’insécurité : le défi du Nord-Kivu
Interrogée sur la pertinence de célébrer cette journée en pleine crise au Nord-Kivu, sa réponse est sans équivoque : il ne faut pas baisser les bras. «Notre secteur reste vital pour la sécurité alimentaire et facilite l’autonomisation économique des femmes, comme c’est mon cas dans la transformation et la vente du poisson », explique-t-elle. Face à l’urgence, elle lance un appel vibrant : « J’appelle nos autorités à soutenir les acteurs locaux, surtout ceux qui se battent pour nourrir les communautés malgré l’insécurité. »
Le cœur du problème, selon l’entrepreneure, est la baisse drastique de la production locale. « La production de poisson est une problématique ici chez nous. Le lac Édouard, qui dans le passé produisait beaucoup, connaît aujourd’hui une baisse sensible à cause de la pêche illicite. Cela fait partie des plaintes récurrentes de nos pêcheurs, et le gouvernement doit se pencher sérieusement sur ce dossier. »
Cette chute de production l’affecte directement. « En tant que transformateurs, cette baisse nous affecte énormément. Pour y faire face, nous sommes contraints de nous tourner vers les pisciculteurs, mais la plupart d’entre eux n’ont pas souvent accès à leurs étangs à cause de l’insécurité. »
De la passion familiale à l’entreprise structurée
Malgré son métier de journaliste, Antigone Tegera s’est lancée dans cette voie par passion, une passion héritée de sa mère. « Le journaliste est un membre de la communauté. J’ai été passionnée par ce secteur depuis mon enfance, c’est ma mère qui m’a inspirée », raconte-t-elle.
Mais elle a voulu aller plus loin. « Auparavant, on le faisait comme un simple gagne-pain, ce que je trouvais un peu archaïque. Le poisson est un aliment vital, de premier plan pour la population. Je me suis dit qu’il était important de me lancer comme entrepreneure pour participer au développement de ma province. »
C’est ainsi qu’est née son entreprise, Juhudi Kazi Service. « J’ai jugé nécessaire de créer cette organisation, pas seulement pour transformer le poisson, mais aussi pour faciliter l’autonomisation des femmes, car il y a de nombreuses opportunités économiques inexploitées dans ce secteur. Je suis passée du gagne-pain à une véritable entreprise », conclut-elle avec fierté.
Il sied de signaler que le thème retenu pour l’année 2025 est : « Le poisson, denrée stratégique pour le développement économique de la RDC ». Un thème qui résonne parfaitement avec le combat quotidien d’Antigone Tegera.
Guellord Risasi