«Eminence, nous vous le demandons humblement : n’étouffez pas la fragile lumière qui commence à poindre. Soyez ce berger qui guide, mais qui ne détruit pas l’enclos déjà bâti. Ne jetons pas le doute là où il faut semer la foi. Prêchons par l’espérance. Corrigeons, oui, mais construisons d’abord», une demande implicite de Jean Thierry Monsenepwo au Cardinal Fridolin Ambongo à la suite de son dernier point de presse tenu à Rome, après la signature de l’accord de paix entre la RDC et le Rwanda à Washington le 27 juillet 2025. Le politologue a préféré réagir par une lettre ouverte qu’il a adressée au prélat catholique depuis vendredi 11 juillet dernier, dont l’intégralité est reprise ci-dessous.
Lettre ouverte de l’ambassadeur Thierry Monsenepwo à Son Éminence Fridolin Cardinal Ambongo :
« Ne condamnez pas la paix naissante »
Éminence,
Que la paix du Christ, Lui qui est notre espérance même quand tout vacille (Hébreux 6 : 19), soit avec vous.
C’est dans un esprit de respect filial, mais aussi de responsabilité citoyenne, que nous vous adressons cette lettre. Non pas pour polémiquer, mais pour éclairer. Non pas pour juger, mais pour rappeler que le silence devant l’injustice est, lui aussi, un langage. Et parfois, une complicité.
Votre voix, Éminence, porte. Elle a guidé, dénoncé, éclairé. Vous avez, à maintes reprises, tiré la sonnette d’alarme contre les velléités de balkanisation de notre pays. Mais aujourd’hui, nous sommes profondément troublés : en critiquant l’accord de paix signé à Washington, vous vous trompez de combat.
Un silence qui pèse plus que des mots.
Il est une vérité que vous avez longtemps proclamée, et que le peuple congolais a gravée dans sa mémoire : la RDC est menacée de morcellement. Mais comment se fait-il qu’au moment où l’auteur principal de cette entreprise macabre — ‘’Paul Kagame’’ — est ouvertement désigné dans un rapport officiel des Experts des Nations Unies comme le parrain militaire du M23/AFC, vos dénonciations se tournent… non contre l’agresseur le Rwanda et Kagame, mais contre un instrument diplomatique de désescalade ?
“Malheur à ceux qui appellent le mal bien, et le bien mal” (Ésaïe 5 : 20).
Éminence, ce silence vis-à-vis de l’agresseur, ‘’Paul Kagame’’, contraste douloureusement avec la rigueur de vos propos contre l’accord de Washington. Et cela heurte les cœurs de millions de fidèles catholiques que nous sommes, qui depuis trois décennies, vivent chaque jour avec le glaive de la guerre sur la gorge.
Un accord comme toute œuvre humaine, imparfait, mais porteur de vie.
Avez-vous vraiment lu cet accord ? En vérité, il porte une particularité inédite : ‘’il ne se contente pas de proclamer la paix, il s’attaque enfin à son véritable nerf : l’exploitation illégale et mafieuse des minerais stratégiques’’. Or, tout analyste honnête sait que cette guerre n’est pas qu’ethnique ou territoriale : elle est minérale, logistique, économique, géopolitique.
Cet accord, pour la première fois, place les ressources au centre de la paix. Et cela, Éminence, ce n’est pas une faiblesse. C’est une avancée majeure.
Car « le commencement de la sagesse, c’est la crainte de Dieu » (Proverbes 9 : 10) — et ce Dieu-là est aussi le Dieu de vérité, qui aime que les causes soient examinées à la racine. Et la racine de cette déstabilisation depuis 1996, c’est Paul Kagame.
Oui, cet accord n’est pas parfait. Mais toute œuvre humaine est perfectible. Ce que notre peuple attend, ce ne sont pas des purismes idéologiques, mais des pas vers la paix. Même petits. Même fragiles.
Et si la paix vient aujourd’hui de l’Occident, de Washington, par une diplomatie ferme et une disponibilité stratégique du Président Donald Trump, doit-on la rejeter au nom d’une posture doctrinale ? N’est-ce pas Dieu lui-même qui peut susciter un Cyrus (cf. Esdras 1 : 1) pour délivrer son peuple, même hors du peuple élu ?
Les larmes de l’Est ne demandent pas une rhétorique, mais une solution.
Les enfants de Beni, les veuves de Rutshuru, les orphelins de Bunagana… nous peuple congolais n’en pouvons plus. Et nos frères et sœurs dans la partie Est de notre pays n’attendent pas de nous des débats de salon. Ils veulent vivre. Manger. Étudier. Prier dans leurs paroisses. Dormir sans sursaut.
Et si cet accord peut permettre de faire taire les armes, même un temps, même partiellement, alors nous avons l’obligation morale de le soutenir, de l’améliorer, mais non de le disqualifier.
« Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu » (Matthieu 5 : 9). Aujourd’hui la diplomatie du président Félix Tshisekedi a permis une cessation des hostilités dans cette partie du pays et l’implication de Donald Trump a permis la signature d’un accord historique. Nous devons les féliciter. Ils sont artisans de la paix, ils sont appelés fils de Dieu.
La foi chrétienne n’est pas une espérance passive.
Vous dites que le peuple n’a pas été écouté. Mais ce peuple, justement, crie depuis trente ans, et il sait qui sont ses bourreaux. Le peuple sait aussi que la paix est un chemin, pas un miracle tombé du ciel. Elle est faite de choix courageux, de concessions douloureuses, et parfois de pactes entre ennemis.
“Même Jésus, pour sauver l’humanité, a accepté de dialoguer avec Judas, et ne l’a pas empêché de l’embrasser. Mais cela n’a pas empêché le triomphe de la Résurrection”.
Un appel filial et fraternel.
Éminence, nous vous le demandons humblement : “n’étouffez pas la fragile lumière qui commence à poindre”. Soyez ce berger qui guide, mais qui ne détruit pas l’enclos déjà bâti. Ne jetons pas le doute là où il faut semer la foi. Prêchons par l’espérance. Corrigeons, oui, mais construisons d’abord.
“Le peuple a prié. La Vierge Marie a été invoquée. L’accord a été signé. Il n’est pas parfait, mais il existe. Et c’est, à nos yeux, une réponse partielle mais concrète aux genoux écorchés de ceux qui, depuis longtemps, supplient dans le désert de la souffrance”.
Recevez, Éminence, notre respect. Mais aussi notre interpellation. “Car le silence devant l’injustice, devant l’injuste, devant le bourreau connu, ou la critique sans solution, ne sont pas les chemins du Christ”.
« Si vous vous taisez, les pierres crieront » (Luc 19 : 40).
Et aujourd’hui, les pierres crient… à l’Est de la République. Surtout contre Paul Kagame.
Que la paix du Christ, celle qu’aucune géopolitique ne peut contrefaire, éclaire nos décisions et irrigue nos cœurs.