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Pourquoi l’accord de paix de Washington n’affaiblit en rien la résolution 2773 du conseil de sécurité ?

Par La Prospérité
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 (Par Claude Manguli, Juriste)

L’accord de paix signé le 27 juin 2025 entre la RD Congo et le Rwanda (Accord de Washington) continue de provoquer des réactions de toutes parts. Jamais, de mémoire de congolais, un accord n’a autant suscité de commentaires dans toutes les couches de la société congolaise. Juristes, professeurs, acteurs politiques, hommes d’églises, membres de la société civile, journalistes, chroniqueurs de média, chacun y est allé de son interprétation. Tant il est vrai que l’enjeu autour duquel se fédèrent tous les congolais demeure la paix, longtemps espérée, dans la région meurtrie de l’Est du pays.

En passant en revue les appréciations critiques envers cet Accord de Washington, on s’aperçoit qu’il est essentiellement, et sans cesse, reproché au Gouvernement congolais d’avoir accepté d’intégrer dans cet Accord le Plan harmonisé de neutralisation des FDLR et désengagement des Forces/levée des mesures défensives du Rwanda, issu des Accords de Luanda du 31 octobre 2024, alors que la Résolution 2773 du Conseil de sécurité des Nations-Unies du 21 février 2025 exige le retrait immédiat et sans conditions de l’armée rwandaise du Congo.

Selon les auteurs de cette critique, en intégrant le Plan harmonisé de neutralisation des FDLR et désengagement des Forces/levée des mesures défensives du Rwanda, l’Accord de Washington a anéanti la Résolution 2773 car il conditionne désormais le retrait des Forces de Défense Rwandaise du territoire national congolais à la neutralisation, préalable ou concomitante, des FDLR par la RDC.

Cette interprétation a connu un retentissement incontestable auprès de la population, qui s’est mise à douter sur les réelles perspectives de paix au sujet de cet Accord. Nous pensons cependant que les tenants de cette critique n’ont pas, de bonne foi sans doute, perçu un élément, pourtant bien visible, qui renverse leur analyse.

Nous allons tenter de le démontrer dans les lignes qui suivent. Car l’Accord de Washington, loin d’affaiblir la résolution 2773, lui confère, au contraire, une application pratique effective indéniable. Pour bien expliciter notre propos, nous allons donc examiner, tour à tour, la résolution 2773 et l’Accord de Washington.

L’apparente contradiction de la Résolution 2773

La Résolution 2773 est un texte succinct qui ne comporte que 18 points, outre le préambule. Elle tient seulement sur quatre pages et sa lecture est relativement aisée.

Comme déjà expliqué, les auteurs qui critiquent l’Accord de Washington estiment que la Résolution 2773 est ruinée parce que cet Accord comporte le Plan harmonisé de neutralisation des FDLR et désengagement des Forces/levée des mesures défensives du Rwanda, pendant que la Résolution 2773, elle, demande le retrait immédiat et sans conditions des forces rwandaises du Congo.

Effectivement, le point 4 de la Résolution 2773 stipule que le Conseil de Sécurité « demande à la Force de défense rwandaise de cesser de soutenir le M23 et de se retirer immédiatement du territoire de la République démocratique du Congo, sans conditions préalables. »

Cependant, nous avons l’impression que les uns et les autres ne se sont visiblement arrêtés qu’à ce seul article, sans pousser plus loin la lecture de la Résolution 2773. Autrement, ils se seraient aperçus que cette même Résolution 2773 intègre, elle aussi, le Plan harmonisé de Luanda, et dans une formulation encore plus directe et plus pressante que l’Accord de Washington.

En effet, dans le point 5 de la Résolution 2773, le Conseil de Sécurité « invite instamment les deux parties à honorer pleinement et rapidement les engagements qu’elles ont pris dans le cadre du processus de Luanda en ce qui concerne l’exécution du plan harmonisé pour la neutralisation des Forces démocratiques de libération du Rwanda et le désengagement des forces du territoire de la République Démocratique du Congo… »

A ce stade, sans qu’on soit juriste ou grand clerc, il apparaît clair que l’analyse selon laquelle l’Accord de Washington aurait marchandé la Résolution 2773 ne tient pas la route.

Maintenant, revenons à l’origine de la critique et entrons dans une analyse simplement juridique de la Résolution 2773.

Si, comme l’affirment les critiques, le Plan harmonisé rabaisse et dépouille l’exigence de retrait immédiat et sans conditions des Forces de défense rwandaise de sa force contraignante, cela signifie donc que le point 4 et le point 5 de la même Résolution 2773 sont en contradiction.

Donc, le Conseil de sécurité des Nations-Unies se serait contredit dans son propre texte ?

Donc, la cohorte de juristes internationaux expérimentés dont regorge l’ONU se seraient trompés en rédigeant cette Résolution 2773 ?

Non, c’est invraisemblable !

Une lecture attentive permet de comprendre qu’Il n’y a pas d’opposition entre le point 4 et le point 5 de la Résolution 2773.  Il n’y a pas de contradiction entre le retrait immédiat et le Plan harmonisé.

Et voici l’élément qui a échappé à l’attention des auteurs qui ont critiqué l’Accord : le point 4 et le point 5 de la Résolution 2773, le retrait immédiat et le Plan harmonisé, NE VISENT PAS LES MÊMES SITUATIONS ET S’APPLIQUENT DONC A DES RÉALITÉS MILITAIRES DIFFÉRENTES !

En effet, le point 4, qui demande le retrait immédiat, ne s’applique qu’à « la Force de défense rwandaise », c’est-à-dire l’armée régulière du Rwanda qui stationne au Congo en violation flagrante et grave du principe cardinal de souveraineté et d’intégrité territorial des États.

Tandis que le point 5 aménage un Plan harmonisé de neutralisation des FDLR et désengagement des Forces/levée des mesures défensives du Rwanda. Un plan qui vise, parallèlement à la neutralisation des FDLR, toutes les mesures militaires prises et exercées par le Rwanda, autres que l’occupation  d’une partie du territoire congolais par l’armée régulière du Rwanda : déploiement et engagement des forces le longs des frontières, soutien d’incursions militaires de toutes sortes en territoire congolais sous couvert de groupes armés, mobilisation de troupes et mise en situation de combat et toutes autres activités militaires hostiles mises en place par le Rwanda.

Le Plan harmonisé ne vise donc pas les troupes régulières de l’armée rwandaise stationnées au Congo. En voici les principales raisons :

1- Le Rwanda a toujours réfuté la présence de ses troupes régulières au Congo. S’il a approuvé et signé ce Plan harmonisé, c’est parce que celui-ci n’évoque aucunement la présence de troupes rwandaises au Congo. Autrement, il n’aurait pas signé ce Plan harmonisé.

2- L’ONU ne peut pas se mettre à administrer une violation grave du droit international que représente l’occupation militaire d’un territoire étranger, par la voie de plans harmonisés ou d’aménagements qui s’étalent dans le temps. Avec le risque que ces plans et aménagements ne fonctionnent pas. Ce qui reviendrait, en pratique, à entériner l’occupation militaire.

3- La RD Congo n’accepte pas de subir l’humiliation de l’occupation rwandaise et, rester dans cette situation jusqu’à ce que les plans harmonisés et les aménagements aient produit leurs résultats.

Voilà donc pourquoi les troupes de l’armée régulière rwandaise stationnées au Congo ont fait l’objet, non pas d’un pan harmonisé et conditionnel de retrait, mais d’une demande de retrait immédiat et sans conditions, édictée par le point 4 de la Résolution 2773.

Et encore faut-il que cette Résolution trouve application.

L’accord de Washington et l’application de la Résolution 2773

Il est incontestable que la Résolution 2773 du Conseil de sécurité a été initiée par les USA.

Au tout début de son point 5, la Résolution 2773, pour son application, demande au Congo et au Rwanda de « reprendre d’urgence et sans conditions préalables les pourparlers diplomatiques afin de parvenir à un règlement durable et pacifique du conflit qui perdure dans la région. ».

Toujours dans le même point 5, la Résolution ajoute qu’elle soutient « toutes les initiatives et contributions visant à atteindre cet objectif ». C’est-à-dire le règlement durable et pacifique du conflit. C’est donc sur cette disposition que prend appui l’initiative américaine.

Les USA voulaient agir très rapidement, pour des raisons qui ne sont pas aujourd’hui notre propos.

Cependant, même dans cette rapidité, les USA ne se sont pas précipités. Ils ont pris le temps, avec la batterie de juristes et conseillers de la Maison-Blanche, de bien analyser la situation dans l’Est du Congo : l’historique du conflit, les causes du conflit, les protagonistes, les parties prenantes, les revendications des uns et des autres, les différentes tentatives de règlement, les comportements et les attitudes des protagonistes lors des négociations précédentes, les causes d’échec de ces tentatives de règlement.

Après donc avoir cerné la problématique à travers tous ces facteurs, les USA ont décidé de mettre en place un instrument pragmatique qui assurerait de façon efficace le règlement durable et pacifique du conflit.

Les USA ont donc déployé leur intervention en deux temps.

– Première étape : Déclaration de principes

Avec la capacité de pression et de persuasion qui les caractérise, les USA ont incité le Congo et le Rwanda à signer, le 25 avril 2025, une Déclaration de Principes, avec effet contraignant.

D’entrée de jeu, cette Déclaration de Principes exige le respect et l’observation du principe cardinal qui a été violé par l’Armée régulière rwandaise suite au stationnement de troupes dans le territoire congolais. En effet, le tout premier point de l’Accord de principes (et, ce n’est pas anodin) stipule :

« Chaque Participant reconnaît la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’autre et s’engage sur une voie permettant de régler leurs différends grâce à des moyens pacifiques, ancrés dans la diplomatie et la négociation plutôt que par un recours à la force ou à des discours hostiles.

Chaque Participant reconnaît les frontières territoriales établies de l’autre et s’engage à s’abstenir de toute action ou de tout discours qui menace ou remet en question la validité de ces frontières.

Chaque Participant reconnaît à l’autre le droit souverain de gouverner et d’administrer son propre territoire d’une façon qui n’enfreint pas la souveraineté ou l’intégrité territoriale de l’autre Participant.

Les Participants s’engagent à s’abstenir de toute ingérence dans les affaires internes de l’autre. »

Peu de gens se posent la question de savoir pourquoi les USA ont « contraint » le Congo et le Rwanda à signer cette Déclaration de principes, avec, à la clé, l’obligation expresse de revenir à Washington, au plus tard le 25 mai (sic !) pour présenter un projet d’accord de paix. On pouvait bien signer un accord de paix sans forcément passer par une déclaration de principe !

A la vérité, en relisant cette Déclaration de principes, on s’aperçoit que les USA, bien informés du comportement des protagonistes lors des négociations antérieures, voulaient en fait, d’une part, « forcer » le Congo et le Rwanda, à ne plus louvoyer, c’est-à-dire à ne plus chercher de faux-fuyants et à ne plus inventer de prétextes destinés à empêcher la conclusion d’accords, et, d’autre part,  « obliger » le Congo et le Rwanda à revenir à Washington pour signer un accord de paix conformément à cette Déclaration de Principes !

Et c’est ce qui a été fait.

– Deuxième étape : L’Accord de Paix

Comme ils y étaient incités, le Congo et le Rwanda sont donc revenus à Washington et ils ont signé l’Accor de paix du 27 Juin 2025.

Et les toutes premières dispositions au respect desquelles renvoie expressément le préambule de l’Accord de paix (et ce n’est toujours pas anodin), c’est la Déclaration de principes signée le 25 Avril 2025 :

«  RÉAFFIRMANT l’engagement mutuel de respecter la Déclaration de principes signée par les Parties le 25 avril 2025, fondé sur le respect mutuel de la souveraineté, de l’intégrité territoriale, de l’unité nationale et du règlement pacifique des différends ; »

 Et lorsqu’on connaît l’importance du préambule dans un traité ou un accord international, on saisit tout de suite l’implication de ce renvoi vers la Déclaration de principes.

Après l’Accord de paix, beaucoup de gens ont oublié cette Déclaration de principes. Mais pas les juristes de la Maison-Blanche qui considèrent cette Déclaration de principes comme la pièce maîtresse de tout l’édifice juridique mis en place par les USA.

Et les points I et II de l’Accord de paix ne sont que le traduction pratique de la Déclaration de principes.

Pour souligner la supériorité de l’Accord de paix vis-à-vis du Plan harmonisé, l’Annexe stipule clairement dans son point 1b : « En cas de conflit entre le présent Accord et le CONOPS (le Plan harmonisé), le présent Accord et ses annexes font foi. »

Pour s’assurer de l’effectivité de cet Accord de paix, les USA ont décidé de surveiller eux-mêmes sa bonne application, avec la mise en place d’un Comité de surveillance conjointe, en y associant seulement le Qatar et le Facilitateur de l’Union africaine (pas l’Union africaine). Les Nations-Unies et l’Union européenne en sont malheureusement écartées. Probablement pour éviter des lourdeurs d’action.

Et le champ d’action de ce Comité de surveillance conjointe est largement inclusif car il est expressément prévu dans son mandat, notamment, « de prendre des mesures, le cas échéant, pour remédier aux violations ». La nature de ces mesures n’ayant pas été précisée, juridiquement cela signifie que toutes les options sont envisageables.

Certains observateurs ont exprimé un certain pessimisme envers la disposition de l’Accord de paix selon laquelle « Le présent accord ne crée aucune obligation pour les Etats non-Parties siégeant au Comité de surveillance conjointe », estimant que, par cette disposition, les USA, État non-Partie mais parrain de l’Accord, ne garantissait pas l’application de l’Accord de paix.  Nous voudrions juste rappeler qu’il s’agit d’une clause-type que l’on trouve dans la plupart des Accords internationaux et qui n’est que l’expression du principe de relativité des contrats : « Le contrat ne crée d’obligations qu’entre les parties » (Droit privé). En droit international, cette clause est destinée à préserver la marge de manœuvre politique des Etats-tiers dans l’appréciation de l’opportunité d’intervention dans une situation de crise où ils sont parties prenantes.

Je voudrais, pour terminer, partager l’ahurissement qui m’a frappé à l’occasion de la signature de cet Accord de paix. En effet, c’est avec effarement que j’ai vu tout le monde se transformer en commentateur et en interprète d’accords internationaux. Des commentateurs de médias et des personnalités publiques de tous bords, à longueur de journée, ont proféré des énormités, des aberrations, des non-sens d’abord au sujet de la Déclaration de principes, puis sur l’Accord de paix , en prenant des postures doctes et péremptoires, et avec une assurance papale. Contribuant ainsi à embrouiller et à obscurcir la compréhension du grand public.

Loin de moi l’intention d’écarter qui que ce soit du débat, mais, croyez-moi, interpréter un texte juridique, et à fortiori un texte international, requiert une formation juridique poussée et la possession d’outils juridiques spécifiques. Déjà, il faut lire tout le texte, en entier, de bout en bout. Ensuite ne jamais perdre de vue que les articles d’un texte ont entre eux un lien organique et forcément s’interagissent à un stade ou à un autre.

Un élément qui a échappé aux apprentis-interprétateurs : on n’interprète pas un texte international à partir de la version traduite, mais toujours à partir de la version d’origine c’est-à-dire la version en langue de rédaction. C’est ainsi que sur le site Internet du Département d’État américain, à la fin du texte de la Déclaration de principes, on trouve cet avertissement :

« Nous vous proposons cette traduction à titre gracieux. Seul le texte original en anglais fait foi. »

Car, en passant du texte d’origine à la version traduite, il peut se glisser des oublis, des contre-sens, des ambigüités, des atténuations ou des aggravations qui modifient la portée du texte.

Un exemple, pour vous en convaincre. Tenez ! prenons justement la Déclaration de principes du 25 Avril 2025.

Dans la première phrase du point 3 de la version anglaise, il est écrit : « The Participants commit to a phased regional economic integration framework building on existing efforts, such as the ICGLR, COMESA, and the EAC,… ».

Dans la version traduite en français, l’adjectif phased (séquencé ou par étapes) n’est ni repris, ni traduit. Et cela donne : « Les Participants s’engagent envers un cadre d’intégration économique régionale faisant fond sur les efforts existants, notamment l’ICGLR, la COMESA et l’EAC… ».

Alors que la version d’origine parle d’une intégration économique régional par étapes, cette précision n’apparaît pas dans la version traduite en français. Ce qui ne change pas mal de choses dans la pratique !

Mesdames et Messieurs, il s’agit ici d’un Accord de paix après 30 ans de guerre ! Soyons sérieux et ayons un peu de retenue dans nos commentaires et dans nos interprétations.

Déjà, entre nous les juristes, on n’est pas toujours totalement en accord sur l’interprétation d’un texte, alors n’en rajoutez pas !

La personne intelligente est celle qui a l’intelligence de connaître ses limites.

Et, tous, nous avons des limites

E-mail: manguli.claude@gmail.com

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