(Par le Prof. Alain Mutela Kongo)
Depuis les origines du monde, l’homme a plusieurs préoccupations, il doit cultiver le sol pour manger et faire tout pour couvrir son corps. De l’âge de la pierre taillée jusqu’à aujourd’hui, différents peuples ont cherché à couvrir leurs corps contre les intempéries. Certains se sont servis des peaux d’animaux, d’autres des écorces d’arbres, d’autres encore des feuillages. En Afrique et plus précisément en RDC, le peuple Kuba et Keté, du Territoire de Mweka, n’ont pas attendu l’arrivée des blancs pour confectionner les tissus. Notre peuple, avec son propre génie culturel, était déjà parvenu à transformer le raphia en tissu. Un signe tangible d’une civilisation qui avait déjà dépassé la phase de pêche, chasse et cueillettes et, atteint la phase supérieure de la transformation des matières brutes.
Malheureusement, cet élan a été brutalement stoppé et la ligne de transmission du savoir a été elle aussi interrompue. Notre peuple a adopté le style occidental, et pourtant il devrait intégrer ce dernier dans son propre style pour faire avancer sa propre civilisation, afin d’affiner ses propres techniques et pratiques. Certains parmi nous ont commencé à dénigrer nos propres tissus, et pourtant ils sont là comme un vrai témoignage historique d’un peuple qui tendait déjà vers l’industrialisation. L’Afrique n’était pas, à l’arrivée des blancs, un espace sans culture ni civilisation, une table rase. Elle a été obligée d’accepter et de croire en de mensonges et autres mythes occidentaux. Léopold Sédar Senghor dit à ce propos : » Tel était l’abaissement où se trouvait alors l’âme noire, que nous acceptions d’être une table rase : une race, presque un continent, qui, pendant 30.000 ans, n’aurait rien pensé, rien senti, rien écrit, rien peint ni sculpté, rien chanté ni dansé. Un néant au fond de l’abîme, qui savait qu’implorer et recevoir : une cire molle dans les mains du Dieu blanc aux yeux de ciel bleu ».
Le tissu traditionnel africain provient du palmier-raphia. Le Professeur Oscar Bimwenyi Kweshi considère ce palmier-raphia comme arbre de vie et de résurrection. Il est, selon Oscar Bimwenyi, nôtre fierté et patrimoine culturel. Le palmier-raphia, dibondu ou dibondo, nous donne du vin, ses bambous nous permettent de fabriquer les grabats, les nattes. Le dibondu ou dibondo nous donne l’essentiel des matériaux de construction de nos cases traditionnelles. Même les cercueils traditionnels sont fabriqués grâce aux matériels extraits de dibondo. On peut justement dire que nos villages vivaient grâce à ce que le dibondo mettait à leur disposition. Le dibondo permettait aux villageois de s’habiller, d’avoir un abri ou un toit, d’avoir le vin, d’enterrer leurs morts dans des cercueils. Les ficelles tirées de dibondo jouent un rôle important dans la fabrication des cases mais servent également de matériels de chasse : on les utilise pour tendre des pièges afin d’attraper les gibiers. Le dibondo est une source des richesses. Les larves comestibles, mbosi, en langue kete, ou mposé, en Tshiluba, c’est toujours le dibondo qui nous les donne. Donc, Oscar Bimwenyi Kweshi avait raison d’appeler le palmier-raphia : « arbre de vie et de résurrection ». Ce savant Keté, fier de sa culture d’origine, a imprimé la photo de dibondo sur son livre monumental intitulé : Discours théologique négro-africain. Problème des fondements, qui est sa thèse de doctorat défendue avec brio en 1977 à Louvain-la-Neuve, et publiée aux éditions Présence Africaine en 1981.
Que les habitants de Mweka, du Kasaï et de la République Démocratique du Congo continuent à implanter et cultiver le dibondo, palmier-raphia, qui est le symbole de notre civilisation et richesse culturelle.