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La manœuvre stratégique de la Russie dans la course aux ressources en Afrique

Par La Prospérité
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(Par Christopher Burke)
Conseiller principal, WMC Africa

L’approbation récente d’un accord de coopération militaire entre le Togo et la Russie a attiré l’attention bien au-delà de l’Afrique de l’Ouest. Si cela peut sembler routinier, l’engagement croissant de la Russie sur le continent marque une nouvelle phase dans la compétition en cours pour les ressources naturelles de l’Afrique.

Cet accord n’est pas un événement isolé, mais fait partie d’un schéma plus large d’engagement russe en Afrique au cours de la dernière décennie. Moscou a renforcé sa présence à travers une combinaison d’assistance sécuritaire, de formation militaire, de ventes d’armes et du déploiement de sociétés militaires privées telles que le « Africa Corps ». Bien que la Russie ait longtemps été un important fournisseur d’armes en Afrique, sa domination est aujourd’hui remise en question par ses engagements en Ukraine. De 2018 à 2022, la Russie détenait 26 % du marché des armes en Afrique subsaharienne, devant la Chine avec 21 %, selon le Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI). De 2019 à 2023, la part de la Chine est tombée à 19 %, mais elle dépasse désormais celle de la Russie, qui est à 17 %, d’après les données recueillies par le SIPRI.

L’approche de la Russie se distingue par le lien direct qu’elle établit entre les intérêts sécuritaires et économiques, notamment l’accès aux vastes ressources minérales africaines. À travers le continent, le soutien sécuritaire russe est souvent suivi de concessions minières. Au Mali, l’implication militaire russe a coïncidé avec de nouveaux accords d’extraction d’or et d’uranium, ainsi qu’avec des révisions du code minier favorisant les partenaires russes. Des dynamiques similaires sont observées en République centrafricaine et au Soudan, où des déploiements sécuritaires ont précédé des accords sur les diamants et l’or.

Le modèle « sécurité contre ressources » n’est pas propre à la Russie, mais sa résurgence est en train de remodeler le paysage extractif africain. Avec l’attention mondiale portée sur les minéraux stratégiques – lithium, cobalt, cuivre et uranium – essentiels pour l’industrie et la transition énergétique, l’Afrique est devenue un point focal pour les grandes puissances. Sous la pression des sanctions occidentales, la Russie cherche de nouveaux partenaires pour réduire sa dépendance à l’égard de l’Occident et promouvoir un monde « multipolaire » où les intérêts africains pèsent davantage.

Les Africains savent douloureusement que l’abondance des ressources ne garantit pas la prospérité. Beaucoup de périodes de boom des ressources n’ont fait qu’accentuer les inégalités, alimenter l’instabilité et laisser les communautés locales dans la pauvreté. Contrairement aux investissements occidentaux qui, en principe, exigent la transparence, la lutte contre la corruption et le partage des bénéfices locaux, les accords russes comportent généralement moins de conditions formelles. Cela peut séduire des gouvernements en quête de soutien rapide, mais soulève des questions quant à la redevabilité et aux bénéfices pour la population.

Les enjeux sont importants. Les choix que feront les gouvernements africains concernant leurs partenaires et les termes des accords façonneront le développement pour des décennies. Le véritable défi est de veiller à ce que les investissements favorisent des progrès durables et inclusifs, privilégient la création de valeur locale, appliquent les normes du travail et de l’environnement, et assurent un partage équitable des revenus.

Les récents mouvements de la Russie mettent en lumière le pouvoir de négociation croissant de l’Afrique. Le continent n’est plus un terrain passif pour la rivalité entre grandes puissances. Les dirigeants et les citoyens africains définissent désormais les conditions de leur engagement. Pour réaliser ce potentiel, l’unité et la coordination stratégique sont essentielles. Les accords bilatéraux secrets, conclus sans consultation publique ou régionale, risquent de saper le pouvoir de négociation collectif et de reproduire les erreurs du passé.

Les opportunités sont immenses, notamment pour des pays comme la RDC, dont les minéraux sont essentiels à la transition mondiale vers l’économie verte. Cependant, les risques sont bien réels. Une gouvernance efficace des ressources signifie non seulement négocier de meilleures conditions avec tous les partenaires – qu’ils soient russes, chinois, européens ou américains – mais aussi bâtir des institutions solides capables de gérer les ressources dans l’intérêt public. L’objectif doit être de faire en sorte que la richesse tirée des ressources finance l’industrialisation, les infrastructures et la réduction de la pauvreté.

Les gouvernements africains doivent agir collectivement et de manière stratégique pour maximiser les bénéfices tirés des ressources et éviter de répéter les erreurs du passé. Plutôt que de négocier seuls avec des acteurs externes puissants, il est nécessaire de renforcer des blocs régionaux comme la CEDEAO, l’Union africaine ou la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf). Une position unie renforce le pouvoir de négociation, améliore les conditions des contrats et réduit le risque de stratégies de division de la part d’acteurs extérieurs.

Les décideurs devraient aussi envisager des lois minières modèles qui fixent des normes minimales en matière de transparence, de contenu local, de protection de l’environnement et de partage des revenus. Des cadres conçus au niveau régional et adaptés nationalement peuvent prévenir une « course au moins-disant ». Ces lois devraient imposer la divulgation des contrats, des évaluations d’impact environnemental et social, ainsi qu’une consultation et un partage des bénéfices réels avec les communautés.

Il est tout aussi crucial d’investir dans les capacités nationales en matière de négociation, de suivi et d’application des contrats. Développer l’expertise technique, autonomiser les organisations de la société civile et utiliser des outils numériques pour suivre les contrats et les revenus peuvent permettre aux industries extractives de générer une prospérité inclusive. La création d’organes de supervision indépendants et de rapports publics réguliers peut encore renforcer la redevabilité et instaurer la confiance dans la gestion des ressources africaines.

La nouvelle assurance de l’Afrique doit être interprétée comme un appel aux partenaires internationaux, y compris l’Occident, la Chine et la Russie, à élever leurs standards. Les gouvernements africains et la société civile attendent de tout partenaire la transparence, le partage des bénéfices locaux et des garanties environnementales et sociales solides. L’époque où les grandes puissances pouvaient extraire les ressources sans se soucier des priorités locales touche à sa fin. Les acteurs externes doivent s’adapter : soutenir la divulgation ouverte des contrats, investir dans les chaînes de valeur locales et collaborer avec les institutions africaines pour garantir que l’extraction des ressources offre des avantages durables et partagés.

La relation évolutive entre la Russie et l’Afrique constitue à la fois un avertissement et une opportunité : un rappel des risques de reproduire les erreurs du passé et un signe du pouvoir croissant de l’Afrique. Si les gouvernements africains savent tirer parti de leur force collective, exiger la transparence et mettre le développement au premier plan, les minéraux du continent pourront alimenter à la fois l’économie mondiale et la prospérité africaine.

FIN

Christopher Burke est conseiller principal chez WMC Africa, une agence de communication et de conseil basée à Kampala, en Ouganda. Il possède plus de 25 ans d’expérience sur diverses questions liées au développement social, politique et économique, avec un fort accent sur la gouvernance, les industries extractives, l’environnement, la transformation des conflits, la consolidation de la paix et les relations internationales en Asie et en Afrique.

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