Accueil » Enquête-Sicomines : improvisation, jetons de présence et des milliards envolés

Enquête-Sicomines : improvisation, jetons de présence et des milliards envolés

Par La Prospérité
0 commentaire

Nous poursuivons notre série d’enquêtes sur la manière dont l’État congolais abandonne ses chantiers sans explication convaincante, se laissant dépouiller au passage par certains collaborateurs plus soucieux de leurs intérêts privés que de l’avenir de la République. Ce deuxième volet se penche sur un dossier emblématique : la renégociation du contrat Sicomines.

Contrat du siècle … ou fiasco historique ?

À son arrivée au pouvoir en 2006, Joseph Kabila se heurte à un défi colossal : financer son ambitieux programme des « Cinq chantiers » dans un contexte où les caisses de l’État sont vides. Les bailleurs occidentaux et les institutions financières internationales refusant de soutenir son plan, il se tourne vers une alternative inédite : un accord « minerais contre infrastructures » avec un consortium d’entreprises chinoises (GEC).

De ce partenariat naît la Sino-congolaise des mines (Sicomines), une joint-venture majoritairement contrôlée par les partenaires chinois. Le montage prévoit la cession par la Gécamines, société minière d’État, de plusieurs gisements stratégiques, en échange d’investissements chinois dans les infrastructures. Côté chinois, on retrouve la China Railway Engineering Corporation (CREC) et Sinohydro, bientôt rejoints par Zhejiang Huayou ; côté congolais, la Gécamines détient 32 % des parts. Le capital social initial est fixé à 100 millions USD, réparti comme suit : CREC 41,72 %, Sinohydro 25,28 %, Zhejiang Huayou 1 %, et Gécamines 32 %.

En échange de l’accès aux ressources, la partie chinoise s’engage à financer la construction de routes, d’hôpitaux et d’autres infrastructures, à hauteur de 3 milliards USD. À son lancement, l’accord est célébré comme le symbole d’une coopération exemplaire entre Pékin et Kinshasa, et rapidement qualifié par la presse de « contrat du siècle ».

Mais l’euphorie des débuts s’est dissipée. Les Congolais s’interrogent : où sont passées les infrastructures promises ? Le pays tire-t-il réellement profit de ce partenariat ? Pour éclairer le débat, le groupe multipartite de l’ITIE-RDC commande une évaluation indépendante. Publiée en décembre 2021, celle-ci est sans appel : la coentreprise a infligé à la RDC « un préjudice sans précédent dans son histoire ».

Des milliards échappent à la RDC

L’ITIE pointe un déséquilibre flagrant dans la répartition du capital – seulement 32 % pour l’État congolais – aggravé par une étude de faisabilité biaisée et une sous-évaluation manifeste des réserves de cuivre. Plusieurs infrastructures clés prévues n’ont jamais été réalisées. Pire encore, un avenant signé en 2017, rendu public après le délai légal, a modifié la répartition des revenus : au lieu de rembourser les investissements en priorité, comme le prévoyait l’accord initial, les bénéfices ont été directement orientés vers les actionnaires. Une décision qui, selon les critiques, illustre comment Joseph Kabila a sacrifié les intérêts du Congo au profit d’une stratégie à visée populiste.

En dépit des exonérations fiscales accordées sous condition de remboursement, la Sicomines n’a pas respecté ses engagements. Bien avant la publication du rapport de l’ITIE, déterminé à défendre l’intérêt de son pays, Félix Tshisekedi avait exprimé sa volonté de renégocier les contrats jugés défavorables, afin d’aboutir à des accords « gagnant-gagnant ». Alimenté par la polémique et les conclusions accablantes de l’étude, le chef de l’État a mobilisé ses services : le ministère des Mines d’abord, puis l’Inspection générale des finances, pour enquêter sur l’accord fondateur de 2008 et ses annexes. Il a également institué une commission sino-congolaise chargée de rééquilibrer les intérêts en jeu, avec l’appui technique de l’ITIE-RDC.

Les conclusions de l’ITIE-RDC ont été confirmées par un audit de l’Inspection générale des finances, renforçant la pression pour renégocier avec les investisseurs chinois. L’audit révèle que les entreprises partenaires ont engrangé près de 10 milliards USD de bénéfices, alors que la RDC n’a obtenu en contrepartie que 822 millions USD d’infrastructures. Ces constats ont conduit à de nouveaux accords, négociés notamment lors de la visite du président Félix Tshisekedi en Chine, en mai 2023, où le dossier Sicomines aurait été abordé au plus haut niveau.

Seulement 1,6% des revenus pour la Gécamines

Parmi les griefs les plus sérieux, il y a le fait que, entre 2012 et 2020, les partenaires de la Gécamines ont généré un chiffre d’affaires cumulé d’environ 35 milliards USD, tandis que la Gécamines n’a perçu que 564 millions de dollars, soit 1,6%.

Pire encore, les investissements en infrastructures se révèlent dérisoires : en quatorze ans, SICOMINES a mobilisé 4,47 milliards USD de financements, dont seulement 822,19 millions USD ont été consacrés aux travaux d’infrastructures, soit à peine 18,38 % du total.

La corruption accentue le déséquilibre

À son arrivée au pouvoir, le président Félix Tshisekedi affiche la volonté d’instaurer une gouvernance nouvelle, fondée sur la transparence et la redevabilité. Il veut faire toute la lumière sur le controversé « contrat chinois ». Mais cette ambition sera rapidement minée par certains collaborateurs plus soucieux de servir leurs intérêts personnels que de défendre ceux de la République.

Selon la coalition ‘‘Le Congo n’est pas à vendre’’ (CNPAV), loin de rétablir l’équilibre promis, l’avenant 5 au contrat Sicomines perpétue des exonérations fiscales jugées exorbitantes, qui asphyxient les finances publiques. En 2023 seulement, ces largesses ont coûté 443 millions USD à la RDC, soit 16 % de l’ensemble des dépenses fiscales nationales. Et l’avenir s’annonce plus sombre encore : le pays pourrait perdre jusqu’à 7,5 milliards USD de recettes en 17 ans, un montant équivalent au soutien global que les entreprises chinoises affirment apporter.

L’avenant 5 introduit en plus une dépendance directe aux cours mondiaux du cuivre, ajoute le CNPAV. Si le prix descend sous 8.000 USD la tonne, la contribution baisse mécaniquement ; et en dessous de 5.200 USD, elle disparaît totalement. Concrètement, cela signifie : pas de routes, pas d’hôpitaux, pas d’écoles — mais Sicomines, elle, continue d’exploiter sans frein le cuivre et le cobalt congolais. Le scénario n’a rien d’hypothétique : en 2016, le cuivre s’échangeait à 4.868 USD la tonne. Si l’avenant 5 avait été appliqué, la RDC n’aurait rien perçu cette année-là.

Même lorsque les prix sont favorables, les pertes persistent. En 2024, avec un cuivre à 9.144 USD, le pays aurait dû encaisser 456 millions USD pour ses infrastructures. Or, il n’a touché que 324 millions, soit 132 millions USD envolés — l’équivalent du financement d’une centrale électrique ou d’une usine stratégique.

Autre anomalie dénoncée par le CNPAV : le plafond imposé aux paiements. Que Sicomines exporte 100.000 tonnes ou 400.000 tonnes, la contribution reste identique, sauf si le cuivre franchit le seuil irréaliste de 12.000 USD la tonne, jamais atteint dans l’histoire.

Planification défaillante, manque à gagner colossal

L’avenant n°5 à la Convention Sicomines prévoyait un décaissement immédiat de 300 millions USD lors de sa signature, auxquels s’ajoutaient 324 millions USD d’encours annuel. Pour 2024, le total attendu était donc de 624 millions USD, et d’ici fin 2025, l’État congolais devrait théoriquement percevoir 948 millions USD sur les deux premières années.

Mais la réalité est toute autre. Faute de planification efficace, la capacité d’absorption reste faible : à fin juin 2025, seuls 275 millions USD avaient été effectivement payés par la Sicomines pour financer les infrastructures. Pourtant, un protocole d’accord prévoyait le versement mensuel des fonds dans un compte dédié afin de sécuriser les paiements des entreprises prestataires. Huit mois plus tard, ce compte n’a toujours pas reçu le moindre centime.

Plus grave encore, tous les contrats d’infrastructures sont confiés à une entreprise chinoise, qui sous-traite ensuite à d’autres sociétés chinoises, excluant toute concurrence locale et ouvrant la porte aux abus.

Le déficit chronique d’exécution des projets en RDC n’a rien d’un hasard : il découle d’une absence coupable de planification et d’une gouvernance marquée par l’improvisation. Résultat : une liste interminable de projets soi-disant « prioritaires », sans cohérence ni vision d’ensemble.

Sous Kabila, dans le cadre du contrat Sicomines, des millions ont été engloutis dans l’élargissement surfacturé de boulevards déjà en bon état. Aujourd’hui, des projets comme la Rocade ou Kalamba-Mbuji paraissent plus pertinents, mais restent isolés et déconnectés d’une stratégie nationale claire.

Pourtant, avec plus de 300 millions USD garantis chaqueannée via Sicomines, la RDC avait une occasion unique de voir grand et de miser sur le rail, infrastructure stratégique par excellence. Aucun pays émergent ne s’est développé sans un réseau ferroviaire solide. La Chine, partenaire de ce contrat et leader mondial dans ce domaine, en est la meilleure illustration.

Au lieu de cela, les projets stagnent dans des montages opaques. Sur 948millionsUSD que Sicomines devait libérer en deux ans, seuls 275millions ont été effectivement décaissés. Le reste, soit 673millionsUSD, dort dans les caisses chinoises, générant plus de 80millionsUSDd’intérêts offerts gratuitement à Pékin.

«C’est un scandale national : un pillage légal, rendu possible par notre propre incurie. Tant que la RDC refusera de planifier avec rigueur et transparence, ses meilleures opportunités continueront de se transformer en occasions ratées — et l’avenir du pays à se perdre dans l’improvisation», nous explique un observateur avisé.

Tant que la RDC se refusera à planifier avec rigueur et transparence, ses meilleures opportunités continueront de s’évaporer. Chaque jour perdu dans l’improvisation hypothèque un peu plus l’avenir du pays.

Manque à gagner flagrant pour l’Etat

Aujourd’hui, avec l’augmentation de la production, le chiffre d’affaires de Sicomines atteint 2 milliards USD. En appliquant le même ratio, la RDC pourrait théoriquement percevoir 440 millions USD par an en redevances et IBP. Cela représente un manque à gagner d’environ 116 millions USD par an par rapport aux 324 millions USD d’infrastructures annuelles prévus dans l’accord, soit un déficit cumulé proche de 2 milliards USD sur les 17 années restantes.

Par ailleurs, l’avenant n°5 au contrat Sicomines consacre une exonération totale de tous les impôts, droits, taxes, droits de douane et redevances, qu’ils soient directs ou indirects, jusqu’au 31 décembre 2040. Les impôts que Sicomines paie aujourd’hui de manière spontanée ne devraient donc plus s’appliquer. Il s’agit là d’une régression par rapport à la convention initiale. La renégociation censée rééquilibrer les avantages entre les parties a, au contraire, octroyé davantage de privilèges à la partie chinoise, accentuant le déséquilibre initial au détriment du pays.

Quand les négociateurs s’enrichissent d’abord, ils réféléchiront après

Il y a eu, en dernier lieu, un détournement manifeste : les personnes mandatées pour renégocier le contrat se sont attribué au moins 28 millions de dollars américains sous forme de prétendus jetons de présence. C’est l’Inspecteur général des finances d’alors, Jules Alingete, qui a sollicité, en toute illégalité, auprès de la partie chinoise le versement des jetons de présence pour les membres de la commission interinstitutionnelle chargée de la renégociation du contrat Sicomines, en privilégiant largement le comité restreint. Une telle démarche, de la part de celui qui se posait en gardien de l’orthodoxie financière, confine à une violation frontale de la déontologie, un mépris de la loi, et un piétinement des principes les plus élémentaires de gestion des finances publiques.

Plus cocasse encore : dans la même période, ce même Inspecteur général des finances s’érigeait en procureur médiatique pour fustiger les paiements effectués en procédure d’urgence par le Ministre des Finances – procédure pourtant légale, expressément prévue et encadrée par les textes. La contradiction est totale, l’hypocrisie manifeste. Là où la loi autorisait, il a condamné ; là où la loi interdisait, il a pratiqué.

Même les membres de la commission de renégociation ne connaissent pas le montant total qui a été décaissé, tellement Jules Alingete a opéré en multipliant des lettres à Sicomines signées le même jour, réclamant successivement 6,9 millions USD ; 6 millions USD ; 5,81 millions USD ; et 9,7 millions USD, soit au total 28,4 millions de dollars américains qui sont enregistrés par Sicomines comme ayant servi à la construction des infrastructures, mais qui ont été réclamés par l’IGF, payés et gérés par l’IGF pour payer aux gens en cash alors qu’elle n’en a pas qualité. La Sicomines a pourtant accepté cette démarche douteuse, à condition que les montants soient déduits des fonds initialement destinés à la construction d’infrastructures. Autrement dit, l’État congolais a renoncé à une partie de ses projets d’infrastructures pour permettre l’enrichissement personnel d’un cercle restreint de hauts responsables. Ce procédé correspond à la définition même du détournement de fonds publics, puisque les ressources prévues pour des investissements structurants ont été réaffectées à des fins privées.

L’urgence d’un débat républicain

Ce paiement soulève une interrogation majeure sur l’indépendance du comité dans le processus de négociation, puisqu’il a été directement rémunéré par l’une des parties en présence. Les membres ont-ils réellement défendu les intérêts de l’État congolais, ou ceux de leurs bailleurs chinois ? Et surtout, quel était l’intérêt pour la partie chinoise de gratifier financièrement des négociateurs censés remettre en cause une convention qui leur était favorable ?

Enfin, la mise en place d’une commission interinstitutionnelle par le Directeur de cabinet du chef de l’État soulève une question cruciale : qui porte la responsabilité des négociations ? Les membres du gouvernement ayant signé l’avenant n°5 à la convention Sicomines n’ont pas pris part aux discussions, écartés au profit du comité restreint. Or, les véritables négociateurs n’ont pas apposé leur signature sur le document final. Qui doit alors répondre du fiasco constaté ?

Autant de questions qui démontrent combien certains collaborateurs trahissent la confiance du chef de l’Etat qui leur confie pourtant des missions importantes dans la gouvernance du pays.

Belhar MBUYI et Aristote KAJIBWAMI

You may also like

Laissez un commentaire

Quotidien d'Actions pour la Démocratie et le Développement

Editeur - Directeur Général

 +243818135157

 +243999915179

ngoyimarcel@ymail.com

@2022 – All Right Reserved. La Prospérité | Site developpé par wetuKONNECT