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Enquête, Gouvernement Suminwa : Promesses de réformes et réalités illusoires !

Par La Prospérité
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Nous poursuivons notre série d’investigations sur la gouvernance en RDC.

Le premier mandat du Président Tshisekedi restera marqué par des succès historiques : le budget national multiplié par quatre en trois ans, une loi de programmation militaire adoptée, la gratuité de l’enseignement de base enfin effective, les premiers pas de la couverture santé universelle, les premières élections des conseillers municipaux près de 20 ans après l’adoption de la constitution de 2006 etc… Autant d’avancées concrètes qui ont ouvert une ère nouvelle dans la politique sociale du pays. Cette dynamique a largement contribué à sa réélection éclatante, avec 73 % des suffrages — une première en RDC, dans une présidentielle réellement ouverte et transparente.

Dans son discours d’investiture, le Chef de l’État s’était engagé sur deux axes : consolider les acquis et ne plus laisser reproduire les erreurs du passé. Le nouveau gouvernement issu de l’Union Sacrée devait incarner cette continuité.

Mais très vite, le scénario trop connu a refait surface : des réformes conçues, validées et lancées sous sa vision sont systématiquement dévoyées ou enterrées par de nouveaux ministres, obsédés par leur mise en scène personnelle. Résultat : une action publique morcelée, incohérente, privée de la continuité nécessaire. Après l’abandon silencieux de la fiscalisation des jeux d’argent, les ratés spectaculaires du projet de modernisation du train urbain ainsi que dans d’autres initiatives majeures, en donnent une nouvelle illustration.

QUAND LES REFORMES, COMME LES LOCOMOTIVES, S’ARRÊTENT EN CHEMIN…

Dans la première partie de notre enquête parue le 11 août 2025, nous avions déploré les errements du projet Métrokin, un chantier stratégique qui ambitionne de transformer en profondeur la mobilité dans la capitale à travers la construction, en 4 phases, de 300 km de rails. Ce projet avance à pas de tortue, alors qu’il a déjà reçu l’approbation de toutes les grandes institutions financières du continent. Parallèlement, les autorités centrales semblent quant à elles plus engagées dans la réhabilitation des vieilles voies ferrées de la ville, notamment celles menant à l’aéroport de Ndjili et à Kasangulu. Une ambition étrangement au rabais, et un pari très hasardeux compte tenu des obstacles techniques.

Le 7 août dernier, le VPM Jean-Pierre Bemba, accompagné de plusieurs collaborateurs, a souhaité démontrer l’efficacité de cette réhabilitation en effectuant un déplacement en train entre la gare centrale et Kasangulu. Officiellement, les images diffusées montraient un train flambant neuf quittant la gare centrale et arrivant triomphalement à destination. La réalité est moins reluisante : la locomotive est tombée en panne dès Matete, la machine envoyée en secours a manqué de puissance, et la délégation a dû reprendre ses véhicules pour revenir au centre-ville, sans jamais atteindre Kasangulu.

Pourtant, des images présentant cette sortie comme un succès ont été largement diffusées sur TikTok et dans les médias officiels. Une illustration éclatante de la gouvernance en trompe-l’œil, où la mise en scène remplace la réalité.

Consolider les acquis, c’est poursuivre la performance fiscale et lutter efficacement contre la corruption.

IMPOT SUR LE REVENU : UNE REFORME HISTORIQUE ABANDONNEE

En novembre 2023, le ministre des Finances obtient l’adoption par le Parlement, de la Loi n°23/053 réformant en profondeur la fiscalité directe en RDC. Ce texte, promulgué par le Président Tshisekedi en décembre 2023, introduit deux impôts distincts et structurants : l’Impôt sur les Sociétés (IS) et l’Impôt sur le Revenu des Personnes Physiques (IRPP), destiné à remplacer l’ancien régime.

L’ambition affichée était claire : sortir d’un système fiscal jugé archaïque, instaurer une véritable justice fiscale grâce à un barème progressif unifié et responsabiliser chaque contribuable personne physique par une déclaration obligatoire. L’IRPP, conçu comme un impôt autonome, devait élargir la base fiscale, moderniser la collecte, renforcer la transparence et surtout rompre avec une fiscalité taillée sur mesure pour les élites prédatrices. Une réforme qualifiée d’historique, tant le pays souffre de l’évasion et de la corruption.

Le texte prévoyait une mise en œuvre dès 2025, après une année de préparation technique. Mais rien n’a été entrepris. Ce blocage illustre une évidence : les nouvelles autorités ministérielles ont choisi de tourner le dos à la transparence et à la redevabilité, laissant en suspens une réforme pourtant cruciale pour l’avenir fiscal du pays.

LE COMPTE UNIQUE DU TRESOR : UNE REFORME ADOPTEE DEPUIS 2023, MAIS RELANCEE EN 2025 COMME UNE INNOVATION

Dès son arrivée au ministère des Finances dans le gouvernement Sama Lukonde, Nicolas Kazadi affiche une ambition claire : assainir la gestion des finances publiques. Au cœur de sa stratégie, la mise en place du Compte unique du Trésor (CUT). Cette réforme de bonne gouvernance consiste à regrouper l’ensemble des comptes bancaires de l’État en un seul, logé à la Banque centrale. Objectif : améliorer la trésorerie, renforcer le contrôle des dépenses et offrir une transparence totale sur les liquidités publiques.

Le CUT n’est pas une simple innovation technique : il porte des enjeux majeurs. Centralisation des fonds, planification rigoureuse de la trésorerie, efficacité des paiements, transparence accrue et contrôle renforcé. En clair, une réforme taillée pour rompre avec la dispersion des ressources et instaurer une gestion budgétaire moderne.

Après de longs mois de travail avec d’autres ministères, des institutions étatiques et des partenaires extérieurs, le ministère des Finances parvient à convaincre et fait adopter la réforme. Le 31 mai 2023, le Premier ministre signe le décret n°23/017 instituant le Compte unique du Trésor, contresigné par le ministre des Finances. Mais alors que la réforme est prête à être appliquée, les élections approchent et paralysent l’action publique. En mai 2024, un nouveau gouvernement est formé. Doudou Fwamba prend les rênes du ministère des Finances.

REFORMES GELEES ET TEMPS PERDU

Là où l’on attendait une application immédiate d’un décret déjà signé, le nouveau ministre des Finances, Doudou Fwamba, choisit de temporiser. Plutôt que de mettre en œuvre la réforme, il présente en Conseil des ministres, le 4 octobre 2024, un nouveau projet de décret sans véritable valeur ajoutée.

Résultat : il faudra patienter jusqu’au 24 juillet 2025, soit deux ans après la signature du décret instituant le Compte unique du Trésor et plus d’un an après son entrée en fonction, pour que Doudou Fwamba se décide enfin à lancer le comité de pilotage.

Ainsi, une réforme finalisée dès mai 2023 sous Sama Lukonde est restée lettre morte, victime des lenteurs du gouvernement Suminua, motivées par des problèmes d’égo.

FACTURE NORMALISEE : L’ARLESIENNE DE LA DIGITALISATION FISCALE

Avec la facture normalisée, le gouvernement Sama Lukonde avait franchi un nouveau cap en matière de gouvernance financière. Lors de la 87ᵉ réunion du Conseil des ministres du 17 février 2023, il avait adopté un projet de décret sur la facture normalisée et les modalités de mise en œuvre des dispositifs électroniques fiscaux. Selon l’ex-ministre des Finances, ce texte n’était rien de moins qu’une mesure d’application directe de la loi de finances n°22/071 du 28 décembre 2022.

Le décret précisait les modalités d’utilisation des dispositifs électroniques fiscaux et instaurait un cadre clair pour la réglementation de la facture normalisée.

Déjà appliquée avec succès au Bénin, cette mesure avait pour objectif de renforcer la traçabilité des transactions, sécuriser l’authenticité des documents, combattre la fraude fiscale et digitaliser la facturation des entreprises.

Mais là encore, la réforme va s’enliser, alors qu’elle fut adoptée depuis février 2023 et officiellement lancée le 18 décembre 2023 à l’hôtel Rotana par le Premier ministre Sama Lukonde et le Ministre des Finances Nicolas Kazadi. Ce n’est que le 14 mars 2025 que Doudou Fwamba en présente timidement l’état d’avancement en Conseil des ministres. Et il faudra attendre le 23 juin 2025 pour que le ministre annonce sa généralisation, notamment pour la TVA, à compter du 1ᵉʳ juillet 2025. Depuis cette date, silence radio. Les contribuables, comme les experts fiscaux, s’interrogent : comment une réforme aussi stratégique, adoptée depuis février 2023, peut-elle rester bloquée pendant plus de deux ans ? Derrière ce retard, simple négligence, résistance de lobbies ou sabotage assumé ?

DEPLOIEMENT RATE ET GRAND RETOUR DU BRICOLAGE BUREAUCRATIQUE

D’après des sources proches du dossier, deux obstacles majeurs expliquent l’enlisement. Premier couac : le schéma de déploiement conçu sous Nicolas Kazadi a été bouleversé. Au lieu de commencer par les transactions B2B (entre entreprises) avant de passer au B2C (entreprises vers consommateurs), l’équipe actuelle a voulu tout lancer simultanément. Résultat : un système saturé et des problèmes de connectivité entre les terminaux fiscaux (DEF) et le data center. Ces DEF, équipés de cartes SIM, devraient transmettre automatiquement les données des transactions aux serveurs via les opérateurs télécoms. En pratique, ça coince.

« Ils n’y arrivent tout simplement pas. Configurer et gérer un data center, ce n’est ni l’expertise du cabinet, ni celle de la DGI », lâche un expert. Raison pour laquelle l’ancien ministre avait fait appel à ITCC, un consortium regroupant plus de 50 géants mondiaux de la certification informatique, dont Microsoft, IBM, Adobe ou encore Google.

Mais cette expertise a été écartée. Une fois le contrat d’assistance technique de 12 mois arrivé à échéance, ITCC n’a pas été reconduit. Depuis, confie la même source, « ils bricolent entre eux, se marchent dessus et s’enlisent ». Voilà comment une réforme exemplaire sous Sama est transformée en chaos administratif par le gouvernement Suminwa.

DEPENSES EN URGENCE : LES CRITIQUES D’HIER, LES DERIVES D’AUJOURD’HUI

En 2024, sur fond de chiffres contestés et de divergences marquées, plusieurs institutions – l’Inspection générale des finances (IGF), la Cour des comptes, et même le Président de l’Assemblée nationale – avaient exprimé publiquement de vives critiques à l’endroit du Gouvernement Sama Lukonde.

Un référé de la Cour des comptes adressé à la Première ministre Suminwa dénonçait même une « généralisation excessive » des dépenses en procédure d’urgence, jugées incompatibles avec la bonne gouvernance. À l’époque, l’opinion avait retenu une image : l’urgence budgétaire comme synonyme de détournements.

DES PROMESSES AU FMI… VITE TRAHIES

Saisissant l’opportunité pour se présenter en rectificateurs des dérives, le gouvernement Suminwa avait promis au FMI de ramener la part des dépenses en urgence à 8 % en 2024. Mais selon plusieurs recoupements officiels, à fin décembre, la réalité est toute autre : plus de 20 % du budget exécuté l’ont été en procédure d’urgence. Soit le niveau le plus élevé de ces 7 dernières années. Le ministère des finances a soigneusement évité de publier le chiffre des dépenses en urgence à fin 2024, histoire de ne pas perdre la face.

Pire encore, pour le seul mois de mai 2025, pas moins de 75 % des recettes mobilisées ont été englouties dans des « dépenses exceptionnelles », présentées comme des charges sécuritaires exceptionnelles, contre à peine 1 % de frais de fonctionnement, soit 19 milliards de francs. Des chiffres sujets à caution, quand on sait que rien que le fonctionnement pour les écoles et l’armée représente au bas mot 200 milliards de francs mensuels, toujours payés dans le strict respect de la chaîne de la dépense.

LE DISCOURS RATTRAPE PAR LES FAITS

En octobre 2024, la Première ministre Judith Suminwa affirmait sur Top Congo FM que « le taux de dépenses en urgence a chuté de plus de 30 %, à un niveau compris entre 7 et 10 % ». Les rapports officiels révèlent pourtant l’inverse. Une illustration flagrante du « miss reporting », cette pratique consistant à enjoliver les chiffres et les réformes, pour rassurer bailleurs et opinion publique, tout en détruisant à long terme la crédibilité du pays.

CREDIBILITE EN PERIL

Ce retournement est implacable : ceux qui hier fustigeaient la procédure d’urgence, s’y sont donnés à cœur joie ! Résultat : la transparence budgétaire s’effondre, et la confiance du FMI comme des partenaires extérieurs vacille. La critique n’était donc qu’une arme politique ! La pratique est devenue une habitude. Et la crédibilité budgétaire de la RDC, elle, continue de s’effriter.

FONDS D’INVESTISSEMENT STRATEGIQUE : L’AMBITION TRAHIE D’UN INSTRUMENT SOUVERAIN

Encore une fois, l’histoire se répète : un pays qui enterre ses réformes avant de les recycler en versions affaiblies. En 2022, le ministère des Finances annonçait pourtant avec ambition la création du Fonds d’investissement stratégique (FIS), pensé comme l’embryon d’un fonds souverain et appelé à devenir un pilier de la modernisation financière.

Conçu avec l’appui de FINACTU, cabinet de conseil spécialisé dans les réformes économiques et financières en Afrique, et PwC, géant mondial de l’audit et du conseil, et tirant les leçons des échecs du FPI et de la SOFIDE, le FIS s’inspirait des modèles de fonds souverains africains réussis. Il visait à répondre aux faiblesses chroniques de gouvernance et de transparence, en étant établi comme une société de droit commercial relevant du portefeuille de l’Etat, dotée d’une gouvernance indépendante, de règles strictes de transparence et de rapports annuels audités, le tout garanti par une politique de recrutement hautement compétitif de son personnel.

DE L’ELAN REFORMATEUR A L’ENTERREMENT BUREAUCRATIQUE

Pensé comme catalyseur d’investissements stratégiques (infrastructures, énergie, agriculture, numérique, entreprises publiques), il avait vocation à entrer en partenariat avec des fonds et entreprises étrangers. Pour sa capitalisation initiale, les actifs commerciaux du Centre Financier (y compris l’hôtel Marriot de 240 chambres) et de l’Arena de Kinshasa, valorisés à plusieurs centaines de millions, devaient être intégrés à son bilan. Le 10 novembre 2023, le gouvernement adoptait en conseil des ministres la note d’information présentée par le ministre des Finances Nicolas Kazadi officialisant sa création. Dès son lancement officiel, le fonds reçut une dotation de 25 millions USD, générant une capacité d’investissement de 20 millions pour les premiers projets dont la valorisation d’actifs immobiliers. Le projet global, évalué à 290 millions USD (150 millions pour le Centre Financier, 140 pour le Centre de congrès), reposait en partie sur un emprunt de 127,5 millions à charge du Trésor, en cours de remboursement.

Salué à son démarrage par le gotha économique du pays et les partenaires étrangers, le FIS s’est rapidement enlisé dans la bureaucratie. Dès mi-2024, juste après l’entrée en fonction du gouvernement Suminwa, le modèle de capitalisation basé sur les actifs du Centre Financier et de l’Arena fut remis en cause par le nouveau ministre des Finances, M. Doudou Fwamba, sans justification, tandis que les premiers projets prévus (ports secs, parkings aux frontières, contrôles douaniers) furent tout simplement bloqués. Des fonctionnaires dénoncèrent une « déviation stratégique », réduisant le FIS à un simple mécanisme budgétaire, loin de son ambition initiale.

LA QUESTION QUI DEMEURE

Pourtant, beaucoup d’experts continuent d’y voir une idée structurante aux effets multiplicateurs, comparable aux fonds souverains du Botswana, du Nigeria ou du Rwanda, pour ne pas citer les modèles Emiratis ou Qataris, capables de diversifier l’économie, financer des projets majeurs et renforcer l’autonomie budgétaire. Au lieu de cela, l’initiative demeure piégée entre ambitions et réalités, victime d’une bureaucratie inefficace et malfaisante.

La question centrale persiste : la RDC peut-elle réellement se doter d’outils modernes de souveraineté financière, ou répéter ses erreurs passées ? Le modèle de 2022, inspiré du Pula Fund (Botswana), de l’Agaciro Developpement Fund (Rwanda) et de la NSIA (Nigeria), reposait sur un ancrage juridique clair, une gestion hautement professionnelle et une protection contre les ingérences politiques malsaines.

2025 : UNE REPRISE EN TROMPE-L’ŒIL

Après une année d’immobilisme, le ministère des Finances annonce, le 15 août 2025, un nouveau FIS présenté comme une innovation. Mais pour les observateurs, il ne s’agit que d’un copier-coller maladroit : là où la version initiale offrait capitalisation crédible, transparence et indépendance, celle de 2025 apparaît comme une caisse parallèle aux ressources floues, instrumentalisée politiquement.

En créant un nouvel établissement public calqué sur le FPI, le gouvernement prend un risque majeur. Conçu pour soutenir l’industrialisation, le FPI s’est transformé dès les années 80 en gouffre financier et bureaucratique, finançant plus les élites que l’économie réelle, engloutissant des milliards sans bâtir d’usines.

Le FIS version 2025 illustre cette pratique désormais courante : recycler au rabais des réformes existantes et les présenter de façon contestable comme des innovations. Une stratégie qui, loin de crédibiliser l’État, dilue les visions initiales et accroît la méfiance des investisseurs.

UN PARALLELE REVELATEUR

Cette duplication révèle un malaise profond : soit le gouvernement ignore volontairement les réformes pour s’en attribuer le mérite, soit il efface méthodiquement la mémoire institutionnelle pour simuler une expertise. Dans les deux cas, le résultat est identique : perte de temps, dilution de la vision initiale voulue par le Président de la République et affaiblissement de la crédibilité de l’État.

Reste une interrogation : s’agit-il d’une stratégie consciente d’enterrement des réformes structurantes, ou d’une incapacité chronique à gérer les instruments financiers du pays ?

Aristote KAJIBWAMI et MULOPWE Wa Ku DEMBA (Finance-cd.com)

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