(Par Jean Aimé Mbiya Bondo Shabanza)
Vice-président Fédéral et Représentant Adjoint de l’Udps/Tshisekedi aux USA.
Analyste Socio-Politique et Expert en Administration Publique
La scène politique et judiciaire congolaise a récemment été secouée par le procès de l’ancien ministre de la Justice. Pour beaucoup d’observateurs, ce dossier symbolise un timide sursaut d’un appareil judiciaire longtemps engourdi dans l’impunité et la soumission au pouvoir politique. Après des années de torpeur, marquées par des scandales non élucidés et des affaires enterrées, la justice congolaise semble enfin sortir de son coma. Mais faut-il parler de réveil sincère ou d’un simple sursaut orchestré pour donner l’illusion d’un changement ?
Le doute est permis. Car si la justice veut réellement se repositionner comme le pilier d’un État de droit digne de ce nom, elle doit aller au-delà des procès conjoncturels pour affronter les dossiers emblématiques qui continuent de hanter la mémoire collective : le procès dit des « 100 jours » et le procès du « forage ». Ces affaires, qui ont mobilisé l’attention nationale et internationale, demeurent inachevées et entachées de zones d’ombre. Elles méritent une réouverture, une clarification et, surtout, une conclusion qui rende justice au peuple congolais.
Le paradoxe du Conseil supérieur de la magistrature
Il est important de rappeler le rôle central du Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Cet organe, censé garantir l’indépendance et la bonne marche de la justice, s’est récemment illustré par un communiqué au ton particulièrement menaçant, adressé non pas aux puissants qui sabotent l’État de droit, mais aux simples citoyens congolais. Lors du procès de l’opposant Constant Mutamba, ancien Ministre d’État dont les prises de position et les réformes avaient osé défier les dinosaures du système, dérangé les Kabilistes et même bousculé les sous-traitants rwandais en RDC, le CSM s’est empressé de dresser un mur d’interdits : pas question d’approcher la Cour de cassation, pas question de troubler la sérénité des magistrats.
Un rappel à l’ordre brutal, qui montrait une institution prompte à hausser le ton quand il s’agit de contenir la rue. Mais cette fermeté à sens unique pose une question brûlante : où est cette même rigueur quand il s’agit d’exiger des comptes de sa propre composante ? Pourquoi le CSM, si prompt à admonester le peuple, se mure-t-il dans un silence complice devant les grands scandales judiciaires qui ternissent la crédibilité nationale ?
Une institution se mesure à son courage face aux véritables puissances, pas à sa facilité à intimider les plus vulnérables. Le CSM ne gagnera en respect qu’en démontrant qu’il est capable de se dresser contre les réseaux mafieux, les intouchables politiques et les pilleurs de la République. Une justice qui se contente de menacer le citoyen, mais qui tremble devant les détenteurs de privilèges, n’est pas une justice : c’est une caricature.
L’opinion publique n’est pas dupe. Elle voit clairement cette asymétrie. Et elle attend du CSM qu’il prouve que son autorité ne se limite pas à des communiqués musclés dirigés contre le peuple désarmé, mais qu’elle s’exerce avec la même intensité contre les vrais prédateurs de la nation. Car une justice qui n’ose pas affronter ses propres démons ne peut prétendre incarner l’État de droit.
Le procès des « 100 jours » : une vérité tronquée
Qui a oublié le procès dit des « 100 jours », présenté en son temps comme un tournant historique dans la lutte contre la corruption ? Ce procès, qui avait conduit à la condamnation de figures proches du pouvoir, avait donné l’impression d’une justice audacieuse, prête à frapper même dans les hautes sphères. Mais très vite, les limites sont apparues : dossiers fragmentés, responsabilités diluées, zones d’ombre soigneusement évitées.
Des questions cruciales demeurent sans réponse : pourquoi certains acteurs clés n’ont-ils jamais été inquiétés ? Quels réseaux ont été volontairement épargnés ? Et surtout, pourquoi l’affaire a-t-elle été clôturée de manière précipitée, sans un véritable travail de fond sur les détournements massifs qui avaient scandalisé la nation ? Tant que ces questions restent sans réponse, le procès des 100 jours restera dans la mémoire collective comme une justice sélective, voire instrumentalisée.
Le procès du forage et lampadaires : un dossier bâclé
Le procès du forage restera dans l’histoire comme une véritable farce judiciaire. Derrière les beaux discours de transparence, la justice congolaise s’est contentée de sacrifier quelques exécutants sans pouvoir, pendant que les véritables décideurs – ceux qui avaient signé les contrats frauduleux, validé les décaissements ou couvert les détournements – étaient soigneusement épargnés. Le peuple à découvert avec stupeur que certains acteurs majeurs étaient hermétiquement protégés, non pas par la force du droit, mais sous le prétexte absurde qu’ils étaient des « pères de famille » qu’il ne fallait pas les scandaliser.
Cette logique scandaleuse a laissé un goût amer dans la conscience collective : en RDC, la justice choisit ses victimes et protège ses parrains. Elle se montre impitoyable avec les faibles, mais docile devant les puissants. Ce procès n’a pas rétabli la vérité, il a confirmé une évidence : la justice congolaise, en se refusant à frapper au sommet, s’est faite complice d’un système de prédation qui piétine chaque jour les droits du peuple.
L’urgence d’une cohérence institutionnelle
Le Conseil supérieur de la magistrature est à la croisée des chemins. Soit il assume sa mission historique, soit il restera le complice silencieux d’un système d’impunité. Sa raison d’être n’est pas de menacer les citoyens, mais de défendre la justice. Or, aujourd’hui, il se comporte comme un gendarme du peuple plutôt que comme un gardien de l’État de droit.
Le peuple n’a pas besoin d’avertissements. Il a besoin de vérité. Il a besoin de voir la justice frapper là où se trouve le vrai pouvoir. Que le CSM cesse de détourner les yeux. Que les procès des 100 jours et du forage soient rouverts. Que les réseaux politiques, militaires et économiques impliqués soient enfin exposés. Tant que ces dossiers resteront enterrés, la justice congolaise ne sera qu’une farce.
Menacer la rue est facile. Affronter les parrains de la corruption exige du courage. Mais c’est là que le CSM doit prouver qu’il mérite encore le respect du peuple. Une institution forte ne se juge pas à sa brutalité contre les faibles, mais à sa capacité de défier les puissants. Aujourd’hui, c’est cette épreuve de vérité qui se dresse devant elle.
Assez de justice de façade. Assez de procès-spectacle. Le Congo a besoin d’une justice tranchante, sans peur, sans compromis. Une justice qui ose nommer les responsables, les juger, et les condamner. Si le CSM échoue à cette tâche, il sera jugé non pas par ses communiqués, mais par l’Histoire. Et l’Histoire, elle, n’épargne pas les lâches.
Conclusion : un choix sans détour
La justice congolaise est à un tournant décisif. Soit elle continue sa comédie sélective, choisissant qui punir et qui protéger, et replongera dans le discrédit, trahissant une fois de plus le peuple. Soit elle ose enfin frapper là où le pouvoir se cache, rouvrir les grands procès, révéler les scandales du passé et montrer qu’elle sert le peuple, pas les priv ilèges.
Une justice à deux vitesses est une injustice flagrante. Une justice qui s’incline devant les puissants n’est qu’un théâtre.
Le peuple congolais n’acceptera plus de simulacres : il exige la vérité, la transparence et des sanctions qui frappent au sommet.
Le Conseil supérieur de la magistrature n’a plus le droit à l’hésitation. Il doit choisir : rester le gardien d’un système d’impunité, ou devenir l’architecte d’une justice nouvelle.
Les mots sont vides sans actes. La nation observe. L’Histoire jugera. Et elle ne pardonne pas l’indifférence.