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‘‘Dans l’Est de la RDC, les sanctions ne sont pas la recette miracle’’, selon Maxime Prévot, ministre belge des Affaires étrangères

Par La Prospérité
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Six mois après la rupture des relations diplomatiques entre Bruxelles et Kigali, le ministre belge des Affaires étrangères est revenu, pour Jeune Afrique, sur la crise dans l’est de la RDC. Interview.

Faut-il y voir le signe d’une amorce de dégel ? Le 17 mars, alors que l’Union européenne (UE) s’apprêtait à sanctionner des cadres de la rébellion du M23 et des hauts gradés des Forces rwandaises de défense (FDR), Kigali avait annoncé la rupture de ses relations diplomatiques avec la Belgique. Accusant Bruxelles d’avoir pris le parti de la RDC, le Rwanda avait exigé le départ de tous les diplomates belges de son territoire. Une mesure jugée « disproportionnée », « unilatérale » et « biaisée » par la Belgique, qui avait en retour procédé à l’expulsion des derniers représentants de l’ambassade du Rwanda.

Six mois plus tard, les relations entre les deux pays montrent de timides signes de réchauffement. Début septembre, l’Institut Egmont, que finance le ministère belge des Affaires étrangères, a informé de l’annulation d’une conférence du politologue Filip Reyntjens, virulent détracteur de Paul Kagame. L’événement aurait pu, selon le ministère, être interprété comme un « geste inamical » à l’égard du Rwanda, où le chef de la diplomatie belge a confirmé qu’il se rendrait en novembre pour prendre part à la Conférence ministérielle de la francophonie, qui se tiendra à Kigali les 20 et 21 novembre. Si Maxime Prévot affirme qu’il est encore trop tôt pour parler de « rapprochement », il est revenu, pour Jeune Afrique, sur les processus diplomatiques en cours et sur le rôle que la Belgique entend jouer dans la région.

Jeune Afrique : Après des années de médiations infructueuses, les Etats-Unis puis le Qatar sont parvenus à impulser un dialogue à la fois entre la RDC et le Rwanda, mais aussi entre la RDC et le M23. Comment l’expliquez-vous ?

Maxime Prévot : J’espère qu’il existe effectivement une dynamique et qu’elle pourra aborder l’avenir avec des résultats concrets. Je ne voudrais pas que les documents signés à Washington et à Doha viennent s’ajouter à la trop longue liste d’engagements qui, hélas, ne se sont pas concrétisés ces dernières années. Mais on veut apporter tout notre soutien à ces processus. Ils ont le mérite d’avoir fait progresser la cause et le dialogue entre toutes les parties. J’ai aussi plaidé pour que l’Union africaine (UA) puisse continuer d’être intimement associée à ce processus parce que si on cherche une solution qui soit pérenne, il faut que les acteurs régionaux soient partie prenante et garants du bon suivi du processus.

L’émergence des processus de Washington et de Doha n’acte-t-elle pas l’échec de la France et de la Belgique, et plus largement de l’UE, à peser dans ce dossier ?

Contrairement à ce que certains esprits chagrins ont voulu faire croire, nous ne sommes pas frustrés et nous ne revendiquons pas un rôle de médiation puisque, par principe, pour pouvoir réaliser une telle mission avec succès, il faut pouvoir être reconnu par les parties prenantes comme étant en capacité d’agir avec équidistance et d’incarner un rôle de médiateur. Ce que la rupture des relations diplomatiques avec le Rwanda ne permet pas aujourd’hui.

Nous n’avons pas d’amertume à cet égard, nous voulons continuer d’apporter notre expertise et notre influence en soutien aux processus de Doha et de Washington. Après les signatures des accords il y a quelques semaines, nous étions tous bercés par l’espoir que la situation allait conduire à un cessez-le-feu et à une solution d’apaisement. Il n’en est rien et, plus que jamais, la situation sur le terrain est bien plus dramatique encore qu’au moment de la signature de ces engagements.

Vous allez participez à la prochaine conférence ministérielle de l’OIF, au Rwanda. Faut-il y voir un réchauffement des relations avec Kigali ?

Il me paraît un peu tôt pour parler de réchauffement. Je voudrais rappeler que la Belgique n’a pas souhaité cette rupture brutale avec le Rwanda. C’est une initiative unilatérale de Kigali à la suite de la décision [de voter des sanctions contre des militaires rwandais et des cadres du M23] qui a été prise de manière collective par l’ensemble des 27 pays européens et qui, c’est vrai, a été oralement soutenue par la Belgique.

« Les processus de Washington et de Doha sont des processus que nous devons soutenir, et non parasiter ».

Néanmoins, il m’apparaît nécessaire de veiller dans un premier temps à recréer des canaux de dialogue, ne fût-ce que de manière progressive et informelle. C’est ce que je me suis efforcé de faire ces derniers mois, notamment à l’occasion d’une rencontre avec mon homologue rwandais à Doha, grâce à l’entremise du Qatar, que je remercie. Il faudra laisser le temps au temps pour que les relations diplomatiques se recréent et se normalisent. Il n’y a pas d’autres solutions que le dialogue.

Allez-vous profiter de votre voyage à Kigali pour travailler sur des avancées concrètes comme des nominations d’ambassadeurs dans vos pays respectifs ?

Je n’ai pas le sentiment qu’à ce stade le Rwanda ait manifesté une volonté de reconstruire des relations diplomatiques qui nous amèneraient, à brève échéance, à identifier des ambassadeurs. Mais je rappelle que je ne me suis pas réveillé un matin en souhaitant être dans une démarche anti-rwandaise. J’ai énormément de respect à l’égard de l’histoire tragique de ce pays et à l’égard de sa manière de se redresser et de se développer. La position qu’a toujours défendue la Belgique repose exclusivement sur la défense du droit international et le respect de l’intégrité territoriale et de la souveraineté des États. C’est pour cela que nous avons souhaité marquer notre indignation sur ce que nous constations dans l’est du Congo.

Après avoir plaidé pour des sanctions au début de l’année, vous écartez désormais la possibilité de nouvelles mesures restrictives. Pourquoi ce changement de stratégie alors que la situation ne s’est pas améliorée ?

Il ne s’agit pas d’un changement de stratégie. Les sanctions qui ont été votées à l’époque ont contribué à mettre la pression sur les acteurs et à faire taire les armes. Pour autant, elles ne sont pas la recette miracle pour régler le conflit. Ce qui nous semble important, c’est de pouvoir répondre à l’urgence humanitaire, sachant que la résolution diplomatique du conflit est à présent entre les mains du Qatar et des États-Unis.

Ce sont des processus que nous devons soutenir, et non parasiter. C’est seulement s’ils devaient échouer ou si la logique militaire reprenait le dessus, avec, par exemple, de nouvelles prises de villes, que la question des sanctions pourrait se reposer.

Les dernières sanctions avaient été annoncées à la veille d’une rencontre-finalement annulée – entre la RDC et le M23. Le timing a-t-il été maladroit ?

Non, car nous avions déjà décalé l’annonce de ces sanctions pour ne pas perturber les processus diplomatiques. C’est parce que nous avions constaté qu’il n’y avait pas eu d’avancées qu’elles avaient finalement été adoptées. Il ne faut pas oublier que cela faisait suite aux prises de contrôle de Goma et de Bukavu par le M23 et les troupes rwandaises. Walikale venait aussi d’être conquises et le front se déplaçait vers Uvira. Le M23 a pris prétexte de ces sanctions du 17 mars pour refuser de rejoindre le lendemain la réunion prévue à Luanda. Mais le même jour s’est tenu la rencontre entre les présidents rwandais et congolais à Doha, sous l’égide du Qatar, ce qui montre que les acteurs étaient déjà dans une autre dynamique de négociations.

La solution à la crise en RDC passe-t-elle aussi par un dialogue politique ?

Il n’y aura pas une solution unique, mais la consolidation d’un projet de dialogue national m’apparaît indispensable. Je l’ai dit à plusieurs reprises au président Félix Tshisekedi qui, lors de notre dernière rencontre, a réitéré son souhait d’aller en ce sens. Il faudra voir dans quel délai et sous quelle forme. Je l’ai appelé à tenir compte de toutes les forces politiques dès lors qu’elles s’inscrivent dans un schéma constitutionnel et républicain, et je continuerai à m’inscrire dans cette démarche. L’idée n’est pas de me substituer à quiconque – au nom de quoi le ferais-je ? –, mais de mettre de l’huile dans les rouages si notre diplomatie a la capacité de le faire.

Avez-vous été surpris par l’engagement du président américain, Donald Trump, dans certains dossiers africains ?

C’est toujours heureux quand des grandes puissances s’intéressent au continent. Encore faut-il le faire pour de bonnes raisons et pas uniquement en étant animé par une logique transactionnelle ou mercantile. Ne soyons pas naïfs, nous vivons une époque où les enjeux d’accès aux ressources, et notamment aux minerais critiques, sont stratégiques.

Mais je veux croire qu’il est possible de mener une politique à la fois lucide et volontariste, qui fasse gagner tout le monde sans vampiriser les ressources des autres, comme ce fut trop fait le siècle dernier.

En novembre, vous vous rendrez à Luanda pour le prochain sommet UE-UA. Quels sont les dossiers qui seront à l’ordre du jour ?

Il m’apparaît indispensable que les Européens relancent un dialogue stratégique de premier plan avec l’Afrique. Compte tenu de notre proximité géographique avec ce continent, de son accroissement démographique spectaculaire, de son développement socio-économique, mais aussi des questions sécuritaires et migratoires, je suis convaincu que l’on a besoin de renouer ce partenariat. Et nous avons besoin de le faire avec une approche bien loin du paternalisme d’antan ou d’une posture de donneur de leçons.

L’espace ayant horreur du vide, celui qui a été laissé vacant par les Européens a été très vite occupé par les Chinois, les Russes et d’autres puissances mondiales. À l’heure d’un bouleversement des schémas traditionnels de commerce, avec la mise en place des tarifs douaniers américains, consolider notre approche pour qu’elle soit gagnant-gagnant, et non pas unilatérale comme elle a pu l’être par le passé, me paraît prioritaire.

Jeune Afrique

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