(Par Jonas Tshiombela, Avocat du Peuple)
Kinshasa, 27 septembre 2025. Le départ de l’honorable Vital Kamerhe de la présidence de l’Assemblée nationale rouvre inévitablement une question fondamentale : celle de la vérité et de la justice dans l’affaire dite du “procès des 100 jours”. Ce procès, qui avait captivé l’opinion nationale et internationale, fut présenté comme le symbole d’une nouvelle ère de lutte contre la corruption en République démocratique du Congo. Mais aujourd’hui, beaucoup de Congolais restent sur leur faim : la vérité a-t-elle vraiment été dite ? La justice a-t-elle été rendue en toute indépendance ?
Une exigence démocratique et juridique
La Constitution de la République démocratique du Congo de 2006, telle que révisée en 2011, est claire :
1. Article 17 : « Toute personne a droit à la liberté et à la sécurité ainsi qu’au respect de sa dignité. Nul ne peut être poursuivi, arrêté, détenu ou condamné qu’en vertu de la loi et dans les formes qu’elle prescrit. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable par le juge compétent»
2. Article 145 : « Les juridictions de l’ordre judiciaire sont composées des Cours et Tribunaux civils et militaires placés sous la dépendance de la Cour de cassation et du Conseil d’État. La justice est rendue sur l’ensemble du territoire national au nom du peuple»
3. Article 150 : « Le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif. Le juge n’est soumis qu’à l’autorité de la loi »
Ces dispositions rappellent que la justice, dans un État de droit, ne peut être sélective ni instrumentalisée. Or, le procès des 100 jours a laissé dans son sillage des zones d’ombre : pressions politiques, procédures contestées, peines alourdies puis allégées, et surtout de nombreux pans du dossier restés inexpliqués. La RDC s’est dotée d’une législation spécifique pour combattre la corruption et les détournements de deniers publics. La Loi n°04/016 du 19 juillet 2004 relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, ainsi que le Code pénal congolais (Livre II, Titre VII bis), qualifient et répriment les faits de corruption, de détournement et de malversations. Ces instruments juridiques imposent des enquêtes complètes, rigoureuses et impartiales. Le peuple congolais a donc le droit et même le devoir d’exiger que toute la lumière soit faite. La réouverture d’un tel procès ne viserait pas une personne, mais l’assainissement de la gouvernance et la consolidation de l’État de droit, conformément à l’article 1er de la Constitution qui proclame la RDC comme État de droit.
La jurisprudence africaine : un appel à la cohérence
L’histoire judiciaire du continent nous enseigne que la vérité, même difficile, finit par s’imposer :
1. Au Burkina Faso, le procès de l’assassinat de Thomas Sankara, rouvert après des décennies de silence, a montré que la justice peut rattraper l’histoire, malgré les blocages politiques.
2. Au Sénégal, l’affaire Hissène Habré, jugé et condamné à Dakar par les Chambres africaines extraordinaires en 2016 pour crimes contre l’humanité, a démontré que ni le temps ni le statut d’un homme ne doivent constituer un obstacle à la justice.
3. Au Gabon, les dossiers de corruption impliquant des proches du pouvoir, même s’ils ont avancé lentement, ont révélé une exigence citoyenne croissante de transparence et de redevabilité, qui a fini par influencer les choix politiques.
Ces jurisprudences africaines rappellent que la justice, lorsqu’elle se ressaisit, peut devenir le ciment d’une réconciliation nationale et la base d’un renouveau démocratique. La RDC, au cœur de l’Afrique, ne peut pas rester en marge de cette dynamique.
La sagesse africaine face à la vérité
Nos traditions africaines enseignent que « le mensonge peut courir mille ans, mais la vérité le rattrapera toujours ». Seule la vérité mise à nu devant tous peut guérir les blessures et restaurer la confiance entre gouvernants et gouvernés. Fermer ce dossier dans le silence, c’est accepter que la corruption continue son œuvre destructrice. Le rouvrir, c’est envoyer un signal fort : aucun dignitaire, quel que soit son rang, ne peut échapper à la reddition des comptes.
Un appel citoyen et moral
Nous appelons les institutions judiciaires à se ressaisir, conformément à leur mission constitutionnelle, pour garantir la transparence et l’indépendance dans ce dossier. Nous appelons les députés, nouveaux et anciens, à se rappeler qu’ils sont d’abord les représentants du peuple et non les protecteurs d’intérêts particuliers. Nous appelons la société civile et les citoyens à maintenir la pression pacifique et légale pour que justice soit rendue dans la clarté. Comme le dit un proverbe africain : « Celui qui cache la vérité enterre la paix. » Aujourd’hui, la RDC a besoin de paix durable, de confiance retrouvée et d’institutions crédibles. Cela passe par la vérité, toute la vérité, et rien que la vérité sur le procès des 100 jours.