(Par Jonas Tshiombela, Avocat du peuple)
Depuis la condamnation de l’ancien président Joseph Kabila par la Haute Cour militaire, la Conférence Épiscopale Nationale du Congo (CENCO) s’est une fois de plus invitée dans le débat national par une communication d’une rare dureté. Une sortie qui, au-delà du fond, soulève des interrogations légitimes sur la constance, la mesure et la cohérence morale d’une institution censée incarner la neutralité prophétique de l’Église. Cette prise de position, au ton particulièrement tranchant, étonne par son caractère sélectif. Car, où était la CENCO quand le colonel Eddy Kapend et ses compagnons furent condamnés à mort dans un simulacre de procès politique, sans preuves ni compassion ecclésiale ? Où était-elle lorsque les villages entiers du Nord-Kivu et de l’Ituri brûlaient sous les bombes du M23/AFC, que des femmes et des enfants étaient massacrés, des camps de réfugiés réduits en cendres.Pas une seule communication d’une telle intensité, pas un communiqué aux mots fermes et accusateurs. Mais dès qu’il s’agit d’un nom Joseph Kabila, les évêques se découvrent une vigueur soudaine, une flamme morale, une indignation ciblée. Cette différence de ton, cette géométrie variable de l’indignation, trahit une posture qui interroge la sincérité du discours religieux dans le champ politique congolais.
Une communication malvenue dans un moment crucial de médiation
Nous sommes dans un contexte où la Nation cherche à panser ses plaies, à renouer le dialogue entre forces politiques, militaires et sociales. Un moment de fragilité où chaque mot, chaque silence, chaque regard peut peser sur la balance de la réconciliation.
Dans ce contexte, une communication aussi dure, aussi ciblée, venant d’une institution appelée à la médiation, ne peut qu’envenimer le climat politique. Elle fragilise la confiance que les parties opposées devraient accorder à l’Église comme acteur neutre et crédible du dialogue. Comment prétendre jouer le rôle d’arbitre quand on semble déjà avoir choisi son camp ? Comment parler de paix tout en se plaçant au cœur d’un front politique ? Les évêques devraient se souvenir que le sel perd sa saveur lorsqu’il se confond avec la poussière du monde. “Vous êtes le sel de la terre. Mais si le sel perd sa saveur, avec quoi la lui rendra-t-on ? Il n’est plus bon qu’à être jeté dehors et foulé aux pieds par les hommes.” (Matthieu 5:13)
La CENCO face à sa mission prophétique : entre foi et politique
La CENCO n’est pas un parti politique. Elle n’a ni mandat électoral, ni autorité judiciaire, ni légitimité pour se substituer aux institutions républicaines. Son rôle, noble et essentiel, est celui d’un guide moral, d’un veilleur de nuit dans l’obscurité du pouvoir, d’une conscience qui parle au nom des sans-voix tous les sans-voix, pas seulement certains.Or, à force d’interventions sélectives et de communiqués orientés, la CENCO donne l’impression de s’ériger en tribunal moral d’un seul camp, oubliant que la RDC a besoin d’une Église qui rassemble, pas d’une Église qui divise. Une telle attitude mine la confiance du peuple et réduit la crédibilité de ses futures démarches de médiation, notamment celles attendues pour le dialogue national inclusif. Car aucun protagoniste ne s’assiéra à une table conduite par un acteur dont la parole semble déjà chargée de jugements. “Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu.”
(Matthieu 5:9)
Que cache cette communication ?
Derrière cette prise de position, plusieurs lectures s’imposent. S’agit-il d’un réflexe corporatiste, d’une stratégie d’influence politique, ou d’une tentative de redéfinir les équilibres internes entre confessions religieuses ? Car il faut le dire : au fil du temps, la CENCO s’est positionnée non seulement comme acteur moral, mais comme un acteur politique de fait influent, respecté, parfois même courtisé. Or, en se laissant entraîner dans des postures et des discours non pondérés, elle compromet sa stature morale et brouille son message évangélique. “Ne jugez point, afin que vous ne soyez point jugés.”(Matthieu 7:1).Cette parole, profondément biblique, devrait rappeler à nos pasteurs que le jugement sans mesure devient une arme politique, et non une parole de vérité.
Pour une communication ecclésiale responsable et équilibrée
Il est temps que la CENCO revisite sa stratégie de communication. Les mots ont un poids, surtout lorsqu’ils viennent d’une institution qui parle au nom de Dieu et du peuple. Chaque communiqué devrait être pesé, contextualisé et équilibré. Il ne suffit pas d’avoir raison sur le fond : encore faut-il parler au bon moment, dans le bon ton, avec le souci de construire. L’heure n’est plus à la réaction rapide ni à la mise au point moralisante. L’heure est à la responsabilité, à la retenue et à la sagesse spirituelle. L’Eglise doit rester le lieu du refuge moral et non de la division nationale. “Celui qui garde sa bouche garde son âme ; celui qui ouvre trop ses lèvres court à sa perte.”(Proverbes 13:3)
Conclusion : Le courage de l’équilibre
La RDC n’a pas besoin d’une Église engagée dans la lutte de défense des droits humains avec un ton sélectif et particulier, mais d’une Église prophétique, impartiale et juste pour tous. Elle n’a pas besoin d’un prêtre qui condamne, mais d’un pasteur qui rassemble. Elle n’a pas besoin d’une CENCO qui parle fort contre certains, mais d’une CENCO qui parle juste pour tous. Dans cette période cruciale de notre histoire, la CENCO doit choisir entre le rôle de juge et celui de médiateur. Car on ne peut pas être les deux à la fois. Et si elle veut rester fidèle à sa mission, qu’elle se souvienne de cette parole du Christ : “Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu.” (Matthieu 5:9).“Tu aimeras ton prochain comme toi-même.” (Matthieu 22:39)