Le vice-Premier ministre du Budget, issu de l’opposition, se fond dans la masse gouvernementale pour soutenir Félix Tshisekedi, à qui il promet une hausse des recettes. Il se dit également favorable à une révision de la Constitution.
Adolphe Muzito tutoie de nouveau les sommets en RDC. Le vice-Premier ministre du Budget est installé dans un immense bureau du nouveau centre financier de Kinshasa avec vue imprenable sur la ville, le fleuve et Brazzaville. Une situation et un titre ministériel qui disent l’importance retrouvée de l’ancien Premier ministre de Joseph Kabila (2008-2012), dont l’aventure au sein de l’opposition modérée s’est soldée par un échec à l’élection présidentielle de 2023 (1,13 % des voix).
Sa nomination au ministère du Budget par le président Félix Tshisekedi, son ancien adversaire, fait office de repêchage et le condamne à une certaine discipline au sein d’un gouvernement où chaque membre doit faire bloc derrière le chef de l’État. Adolphe Muzito navigue entre défense de ses opinions sur la Constitution et hommage à la gouvernance du président, à qui il présente un budget en hausse. Entretien.
Jeune Afrique : Vous êtes ministre depuis bientôt deux mois. Quelle ambition portez-vous ?
Adolphe Muzito : Nous voulons doubler le budget par rapport à ce qu’il était à la fin du premier mandat du président Tshisekedi, en le passant à 17 milliards de dollars. Aujourd’hui, notre pays peut dégager des ressources pour sa construction, pour les routes et le chemin de fer. Nous pouvons rattraper le retard qu’a trouvé Félix Tshisekedi [en arrivant au pouvoir] en dégageant 8 ou 9 milliards supplémentaires que nous pourrons consacrer à l’effort de guerre, à l’augmentation des salaires des fonctionnaires et à la construction d’infrastructures.
C’est un objectif ambitieux que vous dites pouvoir atteindre en très peu de temps. Comment y parviendrez-vous ?
Ce n’est pas un travail personnel mais celui de toute une équipe, mené sous la direction de la Première ministre et pour répondre aux attentes exprimées par le président de la République. Nous pouvons nous endetter auprès de la communauté internationale : notre dette, comparée à notre PIB, est aujourd’hui très faible, elle n’atteint même pas 20 % de notre PIB. Nous pouvons donc aller jusqu’à 20 à 30 milliards de ressources extérieures. Nous sommes capables de nous endetter et de rembourser.
Comment gérer un budget, sachant qu’une partie du territoire de la RDC, dans l’Est, échappe à l’autorité de l’État ?
On a une grande assiette fiscale et nous nous efforçons de la mobiliser. Nous trouvons, dans l’ouest du Congo, suffisamment de moyens et nous pouvons ainsi compenser le peu qu’on a perdu à l’Est.
Le peu ?
Peu parce que ce n’est pas dans l’Est que nous mobilisons le gros de nos recettes. Mais peu aussi au regard du potentiel, dont le Congo ne tire pas avantage. Nous avons une administration jeune, faible, avec beaucoup de contradictions.
Une des recommandations de l’Observatoire de la dépense publique est de réduire le train de vie de l’État en diminuant notamment le nombre de ministres. Le gouvernement est pourtant toujours composé d’une cinquantaine de ministres.
Vous pensez que c’est en réduisant le nombre de ministres que l’on va faire des économies substantielles ? Ce n’est pas ça le problème. Le problème, c’est d’améliorer les recettes de l’État.
Vous appartenez à un gouvernement dit d’ouverture. Cela suffira-t-il pour apaiser le climat politique ?
Tout le monde aimerait être au gouvernement, mais cela ne veut pas dire que tout le monde doit l’être. Pour ma part, j’ai accepté parce qu’il faut faire preuve de solidarité pour affronter notre ennemi commun. En temps de guerre, il n’y a ni gauche ni droite, pas d’opposition ou de majorité. Nous devons tous travailler ensemble, unis par les défis à relever. Moi, j’ai entendu cet appel et j’ai choisi d’y répondre. De toute façon, j’ai toujours été disposé à apporter ma contribution pourvu que l’on ait des espaces de convergence.
Sur quoi êtes-vous d’accord avec le président de la République ?
Nous sommes d’accord sur le fait qu’il faut, par la diplomatie, travailler avec tous les pays du monde pour faire en sorte que la guerre cesse. Et qu’en parallèle, nous devons continuer à travailler pour créer des emplois. Le défi est immense : il faudra 20 à 30 ans pour que le Congo se dresse véritablement et prenne sa position dans le concert des nations.
Êtes-vous toujours favorable à un changement de la Constitution ?
Oui. Cela fait dix ans que je dis la même chose et que je mène ce combat hérité des pères fondateurs, Patrice Lumumba et Étienne Tshisekedi. Je ne suis pas le seul, même certains opposants comme Moïse Katumbi, sont favorables à un État fédéral. Je suis pour la fin du régionalisme constitutionnel. Je ne veux pas non plus du caractère bicéphale de l’exécutif, où il y a un président de la République et un chef de gouvernement. Je veux une seule tête à l’exécutif. Et pour le mode de scrutin, je préfère que le chef de l’État soit élu de manière indirecte, comme en Afrique du Sud où le parti qui emporte la majorité nomme le président de la République.
Mais en RDC, aucun parti n’a jamais obtenu la majorité aux législatives…
Dans ce cas-là, il faut travailler pour faire de grands ensembles. Gauche, droite, peu importe.
On connaît la sensibilité du sujet dans le contexte actuel. Est-ce le bon moment ?
Il faut peut-être d’abord terminer la guerre.
Et si la guerre devait se poursuivre jusqu’en 2028, pourrait-elle provoquer un glissement du calendrier électoral ?
Je ne le souhaite pas, mais la guerre pourrait nous y obliger puisqu’une partie du territoire congolais nous échappe.
Mais un glissement, c’est un abus par rapport aux termes du mandat qui a été confié au président…
Ce n’est pas un abus, ou alors c’est la situation qui abuse de nous. Je ne pense pas que le président Tshisekedi souhaite ce glissement. J’ajoute qu’il est suffisamment fort, il a remporté la dernière élection présidentielle avec plus de 70 % des suffrages, et il peut le refaire. Mais les Congolais accepteront-ils qu’une partie de leurs concitoyens ne participent pas aux élections ?
Lors de la rentrée parlementaire, une polémique a éclaté autour des émoluments des députés et sénateurs, qui réclamaient qu’ils soient revus à la hausse. Quel regard portez-vous sur cette affaire, qui a coûté son poste de président de l’Assemblée nationale à Vital Kamerhe ?
Chez nous, il y a une question de solidarité africaine. Les députés n’utilisent même pas la moitié de leurs revenus pour leur propre train de vie. Il faut voir le nombre de gens qu’il faut prendre en charge quand vous êtes élus. Quelquefois même, pour résoudre des problèmes de route ou de ponts dans un coin du pays, ce sont les députés qui financent à la place de l’État ou de certaines entités décentralisées. C’est parce qu’ils sont jugés sur leur capacité à faire quelque chose pour leur communauté que, de temps en temps, ils demandent à être mieux payés. On est un peu dans ce cercle vicieux, parce que l’État en RDC est encore jeune et faible.
Que pensez-vous de la condamnation à mort de l’ancien président Joseph Kabila, dont vous avez été le Premier ministre ?
Je ne commenterai pas une décision de justice, mais je ne vois pas Félix Tshisekedi accepter que Joseph Kabila soit exécuté.Jeune-Afrique