(Par Christopher Burke, Conseiller principal, WMC Africa)
Le Deuxième Forum de Lomé sur la paix et la sécurité, tenu au Togo, a offert une leçon inattendue pour la politique régionale africaine. À une époque où la diplomatie formelle se résume trop souvent à des ultimatums et des ruptures, Lomé a rappelé avec calme que le dialogue reste possible — même entre partenaires brouillés.
En Afrique de l’Ouest, la rupture entre la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et l’Alliance des États du Sahel (AES) s’est transformée en divorce ouvert. Le Mali, le Burkina Faso et le Niger ont rejeté toute idée de retour à la CEDEAO, qualifiant leur séparation d’« irréversible » et de « libératrice ». Ce qui aurait pu marquer une impasse diplomatique est devenu, à Lomé, une ouverture où les deux camps ont pu échanger franchement, sans médiation étrangère.
Le véritable accomplissement du forum ne résidait pas dans les accords conclus, mais dans l’atmosphère créée. Un espace sûr pour une parole politique honnête, présidé avec retenue par Abdisaid Muse Ali, ancien ministre somalien des Affaires étrangères. Les ministres de l’AES y ont formulé une vision assumée de la souveraineté, de l’autonomie et de la dignité. Le Malien Abdoulaye Diop a déclaré : « Oubliez notre retour à la CEDEAO ; nous sommes déjà au-delà de cela », tandis que le Nigérien Bakary Yaou Sangaré a insisté sur la nécessité pour l’Afrique de « corriger les déséquilibres de l’histoire » et de faire en sorte que les ressources naturelles profitent pleinement à ses citoyens.
Lomé a aussi offert la parole à ceux qui appelaient au rapprochement. L’ancienne Première ministre du Sénégal, Aminata Touré, a proposé un « cadre de consultation AES–CEDEAO », aussitôt soutenu par l’ancien président de la Commission de la CEDEAO, le Dr Mohamed Ibn Chambas. Leur intervention a déplacé le débat : la question n’était plus de savoir si l’AES devait revenir au sein de la CEDEAO, mais comment les deux pouvaient coexister dans une même région. Une victoire subtile du réalisme sur la rhétorique.
Leçons pour l’Afrique centrale
L’expérience de Lomé trouve un écho particulier en République démocratique du Congo (RDC) et dans ses pays voisins. Les Grands Lacs et l’Afrique centrale connaissent leur propre version du régionalisme fragmenté. La RDC appartient à la fois à la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC) et à la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC), mais la coordination entre ces deux blocs reste difficile. Ce chevauchement nourrit la méfiance et complique la gestion des opérations de paix, des corridors commerciaux et de la sécurité transfrontalière.
À l’instar de la CEDEAO et de l’AES, l’EAC et la SADC se réclament toutes deux d’un même objectif : la paix et la prospérité régionales. Pourtant, leurs mandats concurrents à l’est du Congo ont parfois accentué les tensions au lieu de les apaiser. Les interventions militaires régionales s’accompagnent de soupçons politiques, révélant non seulement des divergences de stratégie, mais aussi des questions plus profondes de souveraineté, de responsabilité et de confiance.
La diplomatie silencieuse de Lomé offre un miroir à cette situation. Elle montre que les régions africaines n’ont pas besoin d’un consensus parfait pour dialoguer. Le dialogue ne suppose ni réintégration formelle ni parrainage extérieur ; il exige un espace neutre, une volonté politique et un respect mutuel des différences.
Une diplomatie au-delà des institutions
Le rôle du Togo comme médiateur neutre démontre que la diplomatie peut s’exercer en dehors des cadres institutionnels traditionnels. Le format « Track Two and a Half » de Lomé — associant responsables gouvernementaux, experts et société civile — a prouvé que la diplomatie informelle peut réussir là où les sommets officiels échouent. Cette approche pourrait inspirer des espaces similaires où les acteurs régionaux, y compris les membres de la SADC et de l’EAC, discuteraient des priorités communes en matière de sécurité et d’économie sans conditions préalables.
La RDC pourrait prendre l’initiative d’un tel modèle. Un « Dialogue de Kinshasa » ou une « Plateforme de paix de Goma », réunissant États voisins et experts indépendants, pourrait jouer pour l’Afrique centrale le rôle qu’a joué Lomé pour le Sahel : apaiser les tensions, faire remonter les griefs et permettre une coopération pragmatique.
La valeur de la franchise
Une autre leçon de Lomé réside dans l’importance de la franchise. Les propos directs des ministres de l’AES ont dérangé certains, mais leur honnêteté a empêché le déni poli de masquer la vérité. Lomé a réussi en autorisant le frottement sans la rupture.
En Afrique centrale, ce type de dialogue est essentiel. La culture diplomatique de la région privilégie souvent la déférence plutôt que la franchise. Pourtant, la méfiance persiste autour des intentions militaires, de la contrebande minière ou des alliances politiques. Lomé a montré qu’admettre ouvertement ces tensions peut constituer la première étape vers leur résolution.
De l’unité à la coexistence
Le Forum de Lomé n’a pas produit l’unité ; il a instauré la coexistence. Il a reconnu que l’intégration régionale ne peut pas être décrétée ; elle doit évoluer à travers des coopérations concrètes sur le commerce, la migration, les infrastructures ou la protection de l’environnement, là où les intérêts convergent.
Pour la RDC, cette leçon est capitale. Le pays ne peut se permettre de choisir entre blocs régionaux ni de réduire sa diplomatie à des épreuves de loyauté. Sa géographie en fait un pont naturel entre la SADC, l’EAC et la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC). En harmonisant les systèmes douaniers, en développant des corridors d’électrification et en renforçant la gouvernance des ressources, la RDC peut transformer sa position centrale en atout diplomatique plutôt qu’en ligne de fracture.
L’agence africaine en pratique
Lomé a aussi illustré une tendance plus large : la montée en puissance de l’agence africaine. Le forum, axé sur la jeunesse et l’intelligence artificielle, a montré que la paix et la stabilité ne reposent plus seulement sur les armes ou les traités, mais sur l’inclusion, l’innovation et la prospérité partagée. Investir dans des outils numériques pour l’alerte précoce, la gestion transparente des ressources et l’emploi des jeunes s’inscrit pleinement dans cette vision. La confiance ne se construit pas uniquement à la table des négociations ; elle se renforce lorsque les citoyens perçoivent la justice, les opportunités et la dignité dans la gouvernance.
Le courage de parler
La leçon de Lomé est simple, mais profonde. Le dialogue reste l’instrument de pouvoir le plus sous-utilisé du continent. Quand le silence s’installe, la méfiance s’enracine ; quand les peuples se parlent, même avec colère, les possibles renaissent.
Lomé a offert cette possibilité en Afrique de l’Ouest : un espace où des voisins brouillés ont pu dialoguer sans perdre la face. L’Afrique centrale, et la RDC en son cœur, peuvent s’en inspirer. La souveraineté n’est pas l’isolement ; c’est la capacité de forger son destin à travers une coopération librement choisie et fondée sur la confiance.
La leçon silencieuse de Lomé est que la force de l’Afrique réside moins dans le volume de ses déclarations que dans la constance de son dialogue.
Fin