(Par Jonas Eugène Kota)
Après des décennies de cessez-le-feu bafoués et de mécanismes de vérification inefficaces entre Kinshasa et les groupes rebelles soutenus par Kigali, le nouveau dispositif signé à Doha vise à rompre le cycle d’échecs. Transparence, sanctions et engagement politique réel seront les clés pour transformer un accord fragile en un outil crédible de paix durable.
C’est un pas présenté comme « historique », bien que fragile : le gouvernement de la République démocratique du Congo et le M23/AFC ont signé, à Doha, un document établissant un mécanisme conjoint de vérification et de surveillance du cessez-le-feu. Cet accord, négocié sous l’égide du Qatar et avec le soutien discret de plusieurs partenaires internationaux (USA, UA, CIRGL), entend offrir un cadre technique pour « prévenir, constater et documenter » toute violation du cessez-le-feu.
Selon les informations publiées par RFI et confirmées par plusieurs sources diplomatiques, le Mécanisme conjoint de surveillance (MCS) réunira des représentants du gouvernement congolais, du M23/AFC et des observateurs régionaux et internationaux. Il prévoit la création d’une équipe technique conjointe basée à Goma, dotée d’un mandat clair pour vérifier les incidents sur le terrain et produire des rapports réguliers à l’attention des garants du processus, dont l’Union africaine, la CIRGL et le Qatar.
Un nouveau départ sous conditions
Ce nouvel instrument s’inscrit dans la continuité du processus de paix de Doha, entamé en juillet dernier, après plusieurs mois de médiation entre Kinshasa et le M23/AFC. Pour la première fois, les deux parties s’accordent sur une procédure de vérification mutuelle, considérée comme une étape indispensable avant tout dialogue politique direct.
Mais une question cruciale demeure : ces mécanismes de vérification n’ont-ils jamais été efficaces ? Dans l’histoire récente des relations entre la RDC, le Rwanda et les groupes rebelles soutenus par Kigali, la région a connu une succession de dispositifs similaires, la plupart ayant échoué à prévenir la reprise des hostilités. Le mécanisme de Doha parviendra-t-il à briser ce cycle d’accords vite signés, vite oubliés ?
Les précédents mécanismes : des espoirs avortés
Depuis la signature de l’Accord de Lusaka (1999), la région des Grands Lacs a vu défiler une succession de mécanismes de vérification, souvent salués à leur lancement mais presque toujours condamnés à l’impuissance. Leur inefficacité n’a pas tant tenu à leur conception technique qu’à un enchevêtrement de faiblesses politiques, diplomatiques et structurelles.
Le cessez-le-feu de Lusaka (1999), censé mettre fin à la deuxième guerre du Congo, avait institué une Commission militaire mixte (CMM) pour contrôler les violations et encadrer le retrait des troupes étrangères. Mais cette commission s’est rapidement trouvée débordée par la prolifération des acteurs armés non étatiques, tandis que les États signataires eux-mêmes continuaient à soutenir leurs alliés locaux sur le terrain.
L’absence d’un mécanisme de sanction a transformé la CMM en simple observateur d’un conflit qu’elle n’avait ni la légitimité ni les moyens de contenir.
L’Accord de Pretoria (2002), prolongement du processus de Lusaka, a tenté de gérer le retrait des forces rwandaises et de neutraliser les ex FAR et Interahamwe réfugiés au Congo. Mais le dispositif a été miné par la méfiance mutuelle entre Kigali et Kinshasa, chaque camp accusant l’autre de duplicité.
Le rôle de la MONUC, pourtant central, s’est révélé ambigu : mandat limité, lenteur bureaucratique, dépendance logistique vis-à-vis des États contributeurs. Résultat : le retrait rwandais fut partiel et les causes profondes du conflit restèrent intactes.
En 2008, la résurgence du CNDP de Laurent Nkunda va venir mettre à nu les fragilités des précédents dispositifs. Le plan de désengagement de la MONUC prévoyait une séparation des forces et un suivi technique du cessez-le-feu, mais la complexité du terrain et l’absence d’adhésion politique en ont vite eu raison.
La MONUC, puis la MONUSCO, ont souvent été perçues comme spectatrices plutôt qu’arbitres, leur marge d’action étant bridée par la crainte d’être accusées d’ingérence.
Enfin, le Processus de Luanda (2022), qui avait suscité un regain d’espoir, a souffert d’un double déficit de neutralité et de cohérence régionale. Le Mécanisme de Vérification ad hoc (MVA), mis sur pied pour apaiser les tensions entre la RDC et le Rwanda, a rapidement perdu en crédibilité : les États garants n’étaient pas perçus comme impartiaux, la Force régionale de la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC) manquait de mandat clair, et les violations du cessez-le-feu se multipliaient sans réponse ferme.
Derrière ces échecs répétés se dessinent plusieurs constantes :
D’abord, une diplomatie des apparences, où la signature d’un accord sert davantage à calmer la pression internationale qu’à résoudre les causes du conflit.
Ensuite, l’absence de mécanismes contraignants : aucun dispositif n’a jamais prévu de sanctions effectives contre les contrevenants.
À cela s’ajoute la politisation des médiations régionales, souvent instrumentalisées par des puissances africaines poursuivant leurs propres agendas économiques ou sécuritaires, ainsi que la faiblesse de la coordination internationale, chaque acteur – ONU, UA, CIRGL, EAC – défendant son propre cadre d’action.
Enfin, le manque de volonté réelle des parties, particulièrement du côté rwandais, a souvent paralysé le fonctionnement des mécanismes. Tantôt Kigali refusait de signer les rapports d’observation, prétextant que ses délégués n’avaient pas mandat pour le faire ; tantôt il contestait systématiquement les conclusions des observateurs ; et d’autres fois, il n’envoyait tout simplement pas de délégués aux réunions de vérification, privant les missions de tout quorum.
Ces pratiques dilatoires ont fini par vider de leur substance les mécanismes de vérification, réduits à des coquilles diplomatiques sans pouvoir réel.
Ainsi, si les dispositifs ont échoué, ce n’est pas faute d’outils, mais faute de volonté politique et de confiance mutuelle. C’est ce déficit que le mécanisme de Doha devra combler s’il veut rompre avec le cycle des dispositifs sans lendemain.
Le pari risqué de Doha
Le mécanisme lancé à Doha se distingue néanmoins de ses prédécesseurs sur un point clé : l’inclusion directe du M23/AFC comme partie signataire et non simple entité surveillée. Ce détail, lourd de symboles, confère au groupe rebelle un statut politique implicite, tout en plaçant la RDC face au défi de concilier légitimité institutionnelle et pragmatisme de paix.
De plus, l’implication du Qatar, acteur extérieur à la géopolitique régionale, est perçue comme une tentative de neutraliser les rivalités intra-africaines qui ont souvent plombé les médiations de Nairobi ou de Luanda. Doha offre aussi une capacité logistique et financière qui faisait cruellement défaut aux précédents dispositifs.
Mais la réussite du mécanisme dépendra d’un élément essentiel : le comportement du Rwanda. Si Kigali persiste à contester les conclusions des missions conjointes ou à nier tout lien avec le M23/AFC, le nouveau cadre risque de connaître le même sort que ses prédécesseurs.
Quelles conditions pour l’efficacité ?
Si le mécanisme de Doha veut éviter le sort des précédents dispositifs, il devra d’abord rompre avec la culture de l’opacité et du non-dit qui a miné la crédibilité des mécanismes antérieurs. Trop souvent, les rapports d’observation sont restés confidentiels ou édulcorés pour ménager les susceptibilités diplomatiques. Cette fois, les acteurs impliqués devront assumer la transparence comme principe cardinal, en rendant publics les constats de terrain, même lorsqu’ils dérangent.
L’autre défi réside dans l’étendue du mandat d’investigation. Les équipes conjointes devront pouvoir accéder sans entraves à toutes les zones de tension, y compris celles sous contrôle du M23/AFC ou à proximité de la frontière rwandaise — là où les violations du cessez-le-feu sont le plus souvent constatées mais rarement documentées. Sans cette liberté de mouvement, le mécanisme ne sera qu’un observatoire à distance, impuissant face aux réalités du front.
Il faudra aussi rompre avec le cycle des engagements sans conséquences. Un dispositif de sanctions graduelles, proportionnées mais fermes, devrait accompagner le mécanisme, afin que toute violation répétée du cessez-le-feu entraîne des mesures concrètes : avertissements officiels, suspension de participation ou signalement au Conseil de sécurité. L’absence de sanction fut, dans le passé, le principal facteur de désinvolture et d’impunité.
À cela s’ajoute la nécessité d’un appui technique renforcé des Nations unies. Si la MONUSCO vit ses dernières années en RDC, son expertise logistique, ses capacités de surveillance satellitaire et son expérience de médiation peuvent encore consolider la crédibilité du dispositif. La validation indépendante de ses rapports par l’ONU offrirait au mécanisme un sceau de neutralité indispensable pour dissiper la méfiance mutuelle.
Enfin, pour que la paix ne soit pas qu’un arrangement entre chancelleries, il faudra impliquer les acteurs locaux et la société civile congolaise dans le suivi des engagements. Les structures communautaires, les églises et les ONG de terrain disposent d’une connaissance fine des dynamiques locales. Leur participation offrirait non seulement un ancrage social au processus, mais aussi un contrepoids face aux manipulations politiques.
Ainsi conçu, le mécanisme de Doha pourrait incarner non pas un énième exercice diplomatique, mais un véritable outil de confiance partagée — à condition, toutefois, que la volonté politique suive. Car dans les Grands Lacs, comme le rappelle un diplomate de la CIRGL, « les accords échouent rarement faute de textes, mais presque toujours faute d’intention ».