(Par Jean Aimé Mbiya Bondo Shabanza)
Une Unité Fragile Face aux Enjeux de la Refondation
L’UDPS, pourtant auréolée de son statut de parti au pouvoir, traverse une zone de turbulences internes révélatrices d’une crise plus large au sein de la classe politique congolaise. Entre les aspirations pressantes des jeunes militants, les revendications légitimes des ligues des femmes et les calculs politiciens des élites traditionnelles, la quête d’unité devient un exercice périlleux.
Dans les couloirs des fédérations, l’on perçoit une même inquiétude : le parti risque de perdre son âme au profit d’intérêts individuels.
Les débats internes traduisent une fracture idéologique profonde. D’un côté, une vieille garde attachée à la centralisation du pouvoir et à la conservation des privilèges hérités de l’histoire du parti. De l’autre, une génération montante, issue d’une jeunesse éduquée, connectée et politisée, qui réclame un véritable aggiornamento politique.
Cette nouvelle vague, nourrie par les frustrations sociales et économiques d’un Congo où plus de 70 % des jeunes sont sans emploi stable, appelle à une refondation ancrée dans la transparence, la redevabilité et la démocratie participative.
Mais au-delà des slogans, le fossé entre les discours et les pratiques reste béant. Nombreux sont les militants qui dénoncent une gouvernance interne opaque, des nominations fondées sur la loyauté plutôt que sur la compétence, et une absence criante de mécanismes démocratiques dans la gestion du parti.
L’UDPS, symbole historique de la lutte pour la démocratie, semble aujourd’hui menacée par les mêmes dérives qu’elle combattait jadis : clientélisme, personnalisation du pouvoir et déconnexion avec la base.
Ce paradoxe illustre une pathologie plus générale de la politique congolaise : la difficulté à transformer le pouvoir politique en instrument de développement collectif.
Tandis que le pays fait face à une pauvreté structurelle, à des tensions communautaires et à une économie minée par la corruption, les partis au pouvoir, dont l’UDPS, peinent à construire des institutions solides et inclusives.
Dans les rangs militants, la frustration monte. Certains y voient le risque d’un effritement progressif de la légitimité du parti, si les réformes internes promises ne se concrétisent pas rapidement.
L’histoire politique du Congo est riche d’exemples de partis jadis puissants qui ont sombré dans l’oubli faute d’adaptation et de réforme.
Les militants les plus lucides redoutent que l’UDPS, à défaut de se réinventer, ne devienne à son tour un parti d’appareil déconnecté des réalités sociales, survivant davantage par son nom que par sa vision.
Un Élan Commun Malgré les Tensions
Pourtant, au milieu de ces contradictions, une lueur d’espoir persiste.
Malgré les divergences, un consensus implicite se dessine : le temps de la reconstruction est arrivé.
Les réunions préparatoires au congrès de la refondation s’intensifient, rassemblant cadres, fédérations locales et membres de la diaspora dans un dialogue souvent vif, mais nécessaire.
« Nous savons que notre survie dépendra de notre capacité à redevenir un parti de vision et non de réaction », confiait récemment un cadre influent de la direction politique. Cette déclaration, loin d’être anodine, traduit une prise de conscience collective : le parti ne peut plus se contenter de vivre sur son passé glorieux.
Le défi est immense — il s’agit de passer d’une organisation fondée sur le charisme d’un leader à une institution pérenne bâtie sur des règles, une éthique et une vision partagée.
Cependant, la tâche s’annonce ardue
Les rivalités internes, la compétition pour le contrôle des structures et l’absence d’un véritable débat idéologique risquent de transformer ce moment historique en simple exercice de façade.
Nombre d’observateurs avertis soulignent que le succès du congrès dépendra moins de la capacité à rédiger de nouvelles résolutions que de la volonté réelle des dirigeants à rompre avec les pratiques de prédation politique et d’exclusion.
À Kinshasa comme dans les provinces, le citoyen congolais observe cette évolution avec un mélange d’espoir et de scepticisme.
Le peuple, lassé des promesses non tenues, attend des actes concrets : un parti au pouvoir capable de montrer l’exemple, d’incarner l’État de droit et de traduire la démocratie en justice sociale.
Dans cette attente, l’UDPS joue sa crédibilité historique et politique.
Si elle échoue à se transformer, elle risque de devenir une réplique de ce que le Congo a déjà trop connu : des formations politiques déconnectées des réalités du peuple, plus préoccupées par le partage du pouvoir que par la construction du pays.
Mais si elle parvient à se réformer en profondeur, elle pourrait, au contraire, redéfinir le leadership politique congolais, ouvrir la voie à une nouvelle génération d’acteurs publics, et inscrire durablement son empreinte dans l’histoire démocratique du pays
Les Enjeux Nationaux d’une Refondation Politique
Au-delà de la dimension partisane, la refondation de l’UDPS porte une portée nationale.
Dans un pays encore marqué par l’instabilité politique et les crises institutionnelles récurrentes, le renforcement des partis démocratiques constitue un pilier essentiel de la stabilité. L’UDPS, en tant que parti historique, est appelée à donner l’exemple d’une gouvernance rénovée, capable de restaurer la confiance citoyenne dans la politique.
Des analystes estiment que ce congrès devrait aborder sans détour les questions cruciales : la réconciliation nationale, la gouvernance éthique des ressources naturelles, la lutte structurelle contre la corruption, et la modernisation de l’administration politique du parti.
La refondation ne sera crédible que si elle s’accompagne d’un projet social et économique concret, orienté vers l’emploi des jeunes, la valorisation du capital humain et la justice sociale.
Une Fracture Interne qui Rappelle les Faiblesses du Système
Au sein de l’UDPS, des fractures internes profondes fragilisent aujourd’hui la cohésion d’un parti pourtant né de la résistance et de la lutte pour la démocratie.
Les tensions, longtemps contenues, s’expriment désormais au grand jour. Dans les couloirs du pouvoir comme sur les réseaux sociaux, des cadres censés incarner l’unité n’hésitent plus à s’attaquer publiquement entre eux, révélant une crise morale et politique inquiétante.
Ce phénomène, symptomatique d’un parti arrivé au pouvoir sans avoir consolidé ses structures internes, mine la crédibilité et la stabilité de la première force politique du pays.
Le constat est amer : certaines figures engagées dans la gestion des affaires publiques se livrent à une guerre de positionnement, accusant ouvertement leurs collègues de la diaspora d’être les « grands bénéficiaires » du régime, alors même que nombre de militants restés au pays vivent dans la précarité.
À Kinshasa, plusieurs d’entre eux, pourtant membres historiques du parti, se sentent abandonnés, marginalisés, voire trahis par une élite qu’ils ont contribué à hisser au pouvoir.
Cette perception d’injustice alimente un ressentiment croissant à la base, transformant les frustrations sociales en divisions politiques.
Pourtant, la diaspora de l’UDPS — notamment en Amérique du Nord, en Europe et en Afrique australe — demeure un pilier essentiel du mouvement.
Pendant les années de clandestinité, ce sont ces militants de l’extérieur qui ont porté la voix du parti, mobilisé des fonds, plaidé auprès des institutions internationales et maintenu vivante la flamme d’un idéal démocratique.
Aujourd’hui encore, cette diaspora apporte non seulement un soutien matériel et stratégique, mais aussi une vision de gouvernance moderne, forgée par l’expérience des systèmes politiques plus stables.
Son retour au centre du débat interne n’est pas une menace, mais une opportunité : celle d’un dialogue entre deux légitimités, celle de la lutte et celle de la compétence.
Cependant, le fossé reste profond.
D’un côté, les gestionnaires du pouvoir, souvent prisonniers des logiques clientélistes et des rivalités d’appareil.
De l’autre, une diaspora critique, exigeante, parfois jugée arrogante ou déconnectée, mais qui aspire à la transparence, à la planification stratégique et à la reddition de comptes.
Entre ces deux pôles, la méfiance s’est installée — alimentée par des discours populistes, des manipulations internes et l’absence de mécanismes de dialogue sincère.
Le prochain congrès de la refondationpourrait alors marquer un tournant historique : celui de la réconciliation entre les « frères ennemis », les fils et filles d’un même idéal.
Ce rendez-vous doit servir à purger les rancunes accumulées et à redonner au parti une âme collective.
Car l’UDPS ne peut prétendre incarner la démocratie nationale si elle demeure divisée en son propre sein.
Réunir Kinshasa et la diaspora, c’est plus qu’une question d’image : c’est une condition de survie politique et morale.
Pour que cette réconciliation soit réelle, il faudra dépasser les discours symboliques et adopter des réformes concrètes :
- la réhabilitation des structures extérieures du parti ;
- la reconnaissance du rôle institutionnel de la diaspora dans les organes de décision ;
- la mise en place d’un cadre de concertation permanente entre les fédérations locales et internationales ;
- et enfin, l’instauration de mécanismes de transparence qui restaurent la confiance perdue.
L’heure n’est plus aux querelles intestines ni aux règlements de comptes personnels.
Si l’UDPS veut rester la colonne vertébrale du changement démocratique, elle doit s’élever au-dessus des intérêts individuels et redevenir un instrument d’unité nationale.
Le congrès de la refondation, s’il est mené avec courage et lucidité, pourrait alors sceller la renaissance morale du parti — celle d’une UDPS réconciliée avec elle-même et, par extension, avec le peuple congolais.
Vers une Nouvelle Vision Politique
Le congrès qui s’annonce pourrait constituer un moment de bascule historique pour l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social. Plus qu’une formalité statutaire, il représente l’occasion de rompre avec les symboles du passé pour ouvrir la voie à une organisation politique modernisée, performante et mieux arrimée aux réalités du Congo d’aujourd’hui.
L’UDPS, née dans la lutte contre l’arbitraire, doit désormais apprendre à gouverner dans la complexité. Elle ne peut plus se contenter d’incarner une mémoire : elle doit prouver sa capacité à produire des résultats concrets, mesurables et durables.
La refondation qui s’impose ne saurait se limiter à un toilettage administratif ou à un simple réajustement des organes internes. Elle doit être avant tout une refondation de la pensée politique, un véritable changement de paradigme.
Pendant trop longtemps, les formations politiques congolaises, y compris celles issues de luttes démocratiques, ont fonctionné comme des appareils de conquête du pouvoir, et non comme des écoles de gouvernance.
C’est cette logique qu’il faut renverser : transformer le parti en laboratoire d’idées, en incubateur de politiques publiqueset en moteur de transformation sociale.
L’UDPS doit redéfinir son identité autour d’un projet national fort, capable d’adresser les défis majeurs de notre époque.
L’inclusion sociale, d’abord, car le Congo d’aujourd’hui est traversé par des fractures profondes : exclusion des jeunes, marginalisation des femmes, précarité urbaine, et sentiment d’abandon dans les provinces éloignées du centre.
Un parti qui prétend gouverner au nom du peuple doit s’attaquer à ces inégalités structurelles par des politiques ciblées : l’accès à l’éducation, la création d’emplois durables, la valorisation des talents locaux et la promotion de l’égalité des chances.
Le deuxième défi est celui du changement climatique et de la durabilité environnementale. Alors que la RDC abrite la deuxième plus grande forêt tropicale du monde, le pays reste paradoxalement exposé à la déforestation, à la pollution minière et à la destruction de son écosystème.
Un parti au pouvoir ne peut plus ignorer la transition écologique. C’est un enjeu non seulement environnemental, mais aussi économique et diplomatique.
L’UDPS pourrait ainsi se positionner comme un acteur du développement vert, en plaçant la gestion durable des ressources naturelles au cœur de sa vision politique.
Vient ensuite la révolution numérique, un levier stratégique pour moderniser l’État, rapprocher le pouvoir du citoyen et stimuler la participation démocratique.
La numérisation des services publics, la formation technologique de la jeunesse, et la transparence des processus administratifs devraient être au centre du nouveau programme politique.
Un parti moderne doit parler le langage de son époque, comprendre le monde connecté et former des cadres capables d’évoluer dans cette nouvelle économie du savoir.
Mais toute refondation politique reste vaine sans une transformation morale et institutionnelle.
L’un des grands maux de la vie politique congolaise demeure le culte des hommes forts, cette tendance à confondre loyauté partisane et fidélité à une personne.
Cette culture, héritée d’une longue histoire d’autoritarisme, a étouffé la créativité et empêché l’émergence de nouveaux leaders.
Pour que la refondation soit réelle, l’UDPS doit tourner la page du leadership paternaliste et investir dans la construction d’institutions solides, où le pouvoir s’exerce dans la collégialité, le respect des textes et la transparence.
L’avenir du parti — et, dans une certaine mesure, celui du pays — dépendra de cette mue.
Une UDPS modernisée, dotée d’une vision claire et d’une gouvernance rigoureuse, pourrait non seulement redonner confiance à ses militants, mais aussi inspirer une nouvelle génération de Congolais désireux de servir autrement.
À l’inverse, si le parti échoue à se réinventer, il risque de s’enfermer dans une inertie politique qui le condamnera à n’être qu’un héritage symbolique, sans impact sur la réalité sociale du pays.
Ce congrès, dès lors, n’est pas seulement un exercice politique : il est une épreuve de vérité.
Entre continuité et rupture, entre fidélité à l’héritage et adaptation au monde contemporain, l’UDPS devra choisir : devenir une institution du futur ou demeurer une relique du passé.
Conclusion : Entre Mémoire et Avenir
L’UDPS entre dans une phase décisive de son histoire. Son avenir dépendra moins de son héritage que de sa capacité à se réinventer dans la rigueur, la cohésion et la vision.
L’histoire du Congo regorge d’exemples de partis jadis puissants devenus de simples souvenirs faute d’adaptation.
À l’heure où les regards se tournent vers le congrès, les cadres et militants de l’UDPS ont un choix à faire : préserver un héritage ou bâtir une institution.
Le temps n’est plus aux calculs politiques mais à l’action stratégique.
L’histoire ne pardonne pas l’immobilisme. Le peuple congolais, lui, attend des actes – pas des discours.