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Floribert Anzuluni : ‘‘La RDC n’utilisera pas la CIRGL pour régler ses comptes’’

Par La Prospérité
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Le Congolais Félix Tshisekedi a pris, mi-novembre, la présidence tournante de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL) dans un contexte de crise sécuritaire avec son voisin rwandais. Quels seront ses défis ? Les médiations pilotées par Washington et Doha peuvent-elles ramener la paix dans l’Est ? Floribert Anzuluni, ministre de l’Intégration régionale, a répondu à nos questions.

Passant allègrement de l’activisme citoyen à la politique, Floribert Anzuluni, 42 ans, a franchi le Rubicon. Celui qui, il y a dix ans, assurait encore la coordination du mouvement citoyen Filimbi, alors mobilisé contre l’éventualité d’un troisième mandat de Joseph Kabila, est devenu en août ministre de l’Intégration régionale en RDC. Une nomination qui en a surpris plus d’un : candidat à la présidentielle de 2023, Floribert Anzuluni était en effet de ceux qui contestaient la victoire de Félix Tshisekedi.

Deux ans plus tard, c’est au nom de la solidarité face à la guerre dans l’Est qu’il dit avoir accepté la main tendue du président de la République. Un « choix citoyen », dit-il, qui l’a propulsé sur le devant de la scène, le 15 novembre, lors d’un sommet de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL), marqué par l’absence du Rwanda. La RDC a, à cette occasion, pris la présidence tournante de l’organisation pour les deux prochaines années. Enjeux de cette présidence, défis sécuritaires et économiques de la région, rôle des organisations régionales dans le processus de paix dans l’Est… Floribert Anzuluni a répondu aux questions de Jeune Afrique.

Jeune Afrique : Kinshasa a récemment accueilli les chefs d’État et de gouvernement de la CIRGL. Une polémique était apparue juste avant l’ouverture du sommet, en lien avec la présence du Rwanda. Une invitation avait-elle été envoyée à Kigali ?

Floribert Anzuluni : La CIRGL oblige chaque pays hôte à inviter tous les membres effectifs et actifs. Je peux donc vous assurer que tous ont été invités, par la voie diplomatique, à participer à la dizaine de réunions préparatoires qui ont été organisées, puis au comité interministériel et enfin au sommet.

Mais le ministre rwandais des Affaires étrangères a rejeté les conclusions de ce sommet, qui s’est appuyé sur la résolution 2 773 du Conseil de sécurité pour exiger le retrait des troupes rwandaises de l’est de la RDC…

Je ne peux pas polémiquer sur une intervention qui a été, peut-être, faite via les réseaux sociaux. Ce que je peux dire, c’est que sur les douze pays membres, onze ont signé une déclaration qui reconnaît l’agression dont est victime la RDC. C’est d’ailleurs un secret de Polichinelle, car cette réalité est largement documentée et connue. La particularité est que c’est la première fois qu’une organisation régionale reconnaît de manière aussi claire cette agression, exige le retrait des troupes du pays membre qui en est à la base et la fin des hostilités avec le retrait des troupes de l’AFC[Alliance Fleuve Congo]–M23 et d’autres groupes.

La RDC réclame la mise en application de la résolution 2 773, mais celle-ci n’est reprise ni dans le processus de Washington ni dans celui de Doha. N’y a-t-il pas une certaine incohérence ?

La résolution du conflit en RDC n’a pas commencé avec les initiatives de Doha et de Washington, et ne s’arrêtera pas avec elles. Il y a plusieurs cadres dans lesquels la RDC agit et tente de faire entendre sa voix sur la scène diplomatique. Un nouveau processus ne signifie pas la fin des autres, et il n’y a pas non plus de contradiction. À Washington, il a, qui plus est, été clairement indiqué que la mise en œuvre de l’accord économique était conditionnée au retrait des troupes rwandaises.

Comment réconcilier les positions de la RDC, qui accuse son voisin d’avoir des visées territoriales, et du Rwanda, qui répond en mettant en avant des questions sécuritaires et de discrimination communautaire ?

C’est de bonne guerre, si j’ose dire : chaque camp défend ses intérêts et présente ses arguments. C’est vrai que, dans un contexte comme le nôtre, il peut y avoir de la stigmatisation, mais c’est sans commune mesure avec ce que dénonce tel ou tel communiqué.

Concernant des FDLR [Forces démocratiques de libération du Rwanda, fondées par d’anciens génocidaires], plusieurs rapports indépendants font part de la très faible capacité de nuisance de ce mouvement. Malgré tout, la RDC a accepté de travailler à leur neutralisation. A contrario, ce que dénonce la RDC est clair et documenté : cette guerre est mercantile. Elle tire ses origines des ressources naturelles dont dispose la RDC et de la volonté d’un petit groupe de gens d’en garder le contrôle — je parle dans le cas présent du Rwanda.

Nous avons malgré tout proposé de nous réunir autour d’une table avec tous ceux qui ont des intérêts économiques, immédiats ou futurs, pour mettre en place des partenariats et des collaborations qui préserveront les intérêts de chacun et permettront à tout le monde de bénéficier équitablement des ressources en question.

Que compte faire la RDC de son mandat à la tête de la CIRGL ?

La première chose que nous avons dite et répétée est que nous ne prenons pas cette présidence pour régler nos comptes. La région des Grands Lacs fait aujourd’hui face à deux défis majeurs. Le premier est sécuritaire, avec la situation dans l’Est bien sûr, mais aussi en Centrafrique ou au Soudan.

Nous ne devons pas opposer les initiatives africaines aux initiatives d’autres pays. L’Union africaine reste très engagée dans la résolution du conflit dans l’est de la RDC.

Le deuxième est celui du développement, qui passe par l’intégration économique. Là aussi, la RDC est engagée à travailler durement pour renforcer et élargir la mise en œuvre des projets économiques intégrateurs dans différents secteurs. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’en marge de ce sommet, nous avons organisé pour la première fois un forum économique de haut niveau, avec un focus sur trois grands projets dont nous pensons qu’ils vont être des success-stories. Ces projets, une fois qu’ils seront menés à leur terme, permettront de renforcer la sécurité. Il s’agit du corridor Lobito avec nos amis angolais et zambiens, du corridor nord avec l’Ouganda, et du corridor central, avec la Tanzanie et le Burundi.

L’intégration économique est l’un des piliers de l’accord signé en juin, sous l’égide de Washington, entre le Rwanda et la RDC. Des projets concrets sont-ils déjà sur la table ?

Je préfère ne pas entrer ici dans le détail, mais plusieurs projets sont en discussion.

Pourquoi le mécanisme de surveillance du cessez-le-feu dans l’Est, approuvé à Doha il y a plus d’un mois et auquel participe la CIRGL, ne fonctionne toujours pas ?

Ce mécanisme, basé à Goma, existe bel et bien, mais il faut le renforcer pour le rendre plus efficace afin qu’il puisse jouer totalement le rôle qui lui a été dévolu.

Le fait que Washington et Doha conduisent les médiations n’est-il pas la preuve de l’incapacité des organisations africaines à régler les conflits sur le continent ?

Je ne parlerai pas de l’incapacité. Mais nos conflits ne sont pas simples et concernent souvent plusieurs pays. Cela peut expliquer les difficultés que nous rencontrons. J’ajoute que quand vous prenez aujourd’hui l’initiative de Washington, vous remarquez qu’on y parle de Conops [concept d’opérations], or ce dernier a été développé à Luanda, dans le cadre du processus piloté par le président angolais, João Lourenço. Il y a donc une certaine continuité avec ce qui a été déjà fait au niveau africain. Nous ne devons pas opposer les initiatives africaines aux initiatives d’autres pays. L’Union africaine reste ainsi très engagée dans la résolution de ce conflit, avec le président du Conseil au Togo, Faure Essozimna Gnassingbé, qui a été désigné médiateur, et qui continue à prendre des initiatives et envoie même des délégués dans les discussions à Washington.

Selon certaines sources, Faure Gnassingbé envisagerait justement de faciliter un dialogue intercongolais en terre togolaise début 2026. Le confirmez-vous ?

C’est au Togo qu’il faut poser cette question. C’est le genre d’initiatives qui sont, le cas échéant, annoncées par les canaux officiels. Pour le reste, le président Félix Tshisekedi a toujours fait part de son ouverture. Dialoguer ne lui pose pas de problème. Nous, Congolais, sommes avant tout tous des frères et devons être capables de résoudre nos problèmes par la discussion.

Vous aviez vous-même été candidat à la présidentielle en 2023, et vous en aviez contesté ensuite les résultats. Vous voilà aujourd’hui membre du gouvernement. Qu’est-ce qui a changé ? 

Je suis un citoyen engagé pour le bien-être du Congo. En 2023, nous étions plusieurs à penser qu’il était temps que nous mettions en œuvre notre engagement dans l’espace politique pour favoriser le changement et l’amélioration de la situation. Si vous voulez un changement, il faut une population active, éveillée, mais aussi des acteurs politiques capables de porter les aspirations de la population.

Et puis notre pays est en guerre et, en pareilles circonstances, il est important que les Congolais de tous bords se rassemblent. C’est ce choix citoyen que nous avons fait lorsque le président de la République a décidé d’ouvrir le gouvernement à des acteurs qui n’étaient pas issus de sa majorité, mais pouvaient, dans ce contexte particulier, apporter du positif et permettre au pays d’aller de l’avant.

Jeune Afrique

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