Tandis que le Parlement examine les dernières divergences autour de la réforme de la loi régissant l’activité des établissements de crédit, l’Honorable Olivier Kasanda Katuala, député national et initiateur de la proposition de loi, met en garde contre des amendements susceptibles de freiner l’inclusion financière et d’affaiblir l’attractivité du secteur bancaire congolais. Dans cette tribune, l’élu de Lukunga alerte sur les risques d’une délégation excessive de pouvoirs à la Banque Centrale du Congo et plaide pour un cadre législatif moderne, conforme aux standards régionaux, capable de soutenir l’innovation, la concurrence et l’essor économique national.
Tribune
Réforme bancaire en RDC : Éviter un recul législatif pour un avenir financier prospère
(Par l’Honorable Olivier Kasanda Katuala, Député National, Élu de Lukunga/Kinshasa)
En tant que député national élu de la circonscription de Lukunga à Kinshasa, et initiateur de la proposition de loi visant à modifier la loi n° 22-067 du 22 décembre 2022 relative à l’activité et au contrôle des établissements de crédit, je me sens investi d’une responsabilité particulière envers mes concitoyens et l’avenir économique de notre pays. La République Démocratique du Congo (RDC) se trouve à un carrefour décisif dans son développement financier. Avec un taux de bancarisation stagnant autour de 10 %, l’un des plus bas en Afrique subsaharienne, et un cadre réglementaire souvent perçu comme un obstacle insurmontable aux investissements, il est impératif de moderniser notre législation bancaire. Ma proposition de loi, déposée avec l’espoir de catalyser une inclusion financière plus large et d’attirer des capitaux nationaux et internationaux, a été adoptée en première lecture par l’Assemblée Nationale le 15 juin 2025 et révisée en deuxième lecture par le Sénat le 27 novembre 2025. Cependant, les amendements introduits par les deux chambres parlementaires risquent de transformer cette initiative prometteuse en un recul législatif regrettable. Dans cette tribune, je souhaite expliquer en détail les enjeux, analyser les déviations observées, et appeler à une rectification urgente lors des travaux de la commission paritaire mixte. Mon objectif n’est pas de critiquer pour critiquer, mais de défendre un cadre légal qui serve véritablement les intérêts de la nation congolaise.
Permettez-moi d’abord de contextualiser cette réforme. La RDC, riche en ressources naturelles et en potentiel humain, souffre paradoxalement d’une économie formelle étriquée, où le secteur bancaire joue un rôle marginal. Selon les données de la Banque Centrale du Congo (BCC), moins de 10 % de la population adulte possède un compte bancaire, contre une moyenne africaine avoisinant les 40 %. Ce faible taux d’inclusion financière n’est pas seulement un indicateur de pauvreté ; il est un frein structurel à la croissance. Les petites et moyennes entreprises (PME), qui constituent le cœur battant de notre économie, peinent à accéder au crédit en raison de garanties exorbitantes et de procédures bureaucratiques. Les investisseurs étrangers, quant à eux, regardent ailleurs, préférant des marchés plus flexibles comme ceux de la Communauté Économique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC) ou de l’Union Économique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA). Pourquoi ? Parce que notre loi actuelle, promulguée en 2022, impose des exigences atypiques et intrusives qui violent la liberté entrepreneuriale et découragent l’innovation.
Prenons l’exemple concret de l’article 11 de la loi n° 22-067. Cette disposition exige que tout établissement de crédit soit constitué avec au moins quatre actionnaires significatifs, chacun détenant une quotité minimale du capital social fixée par la BCC. Cette règle, unique en son genre en Afrique et rare à l’échelle mondiale, vise théoriquement à diluer les risques de concentration du pouvoir. Mais en pratique, elle crée un obstacle artificiel à l’entrée sur le marché. Imaginez un entrepreneur congolais ou un investisseur étranger souhaitant lancer une banque numérique innovante : il doit non seulement mobiliser un capital substantiel, mais aussi trouver trois autres actionnaires « significatifs » prêts à s’engager, sous peine de voir la BCC imposer une répartition arbitraire. Résultat ? Depuis l’entrée en vigueur de la loi, une seule nouvelle banque a vu le jour et peine à s’y conformer, et les institutions existantes ont toutes basculé dans l’illégalité au bout des six mois de délai de conformité prévus (un délai irréaliste qui n’a fait qu’exacerber l’instabilité du secteur).
C’est précisément pour remédier à ces dysfonctionnements que j’ai initié cette proposition de loi. Mon texte original, fruit de consultations approfondies avec des experts en droit des affaires, des banquiers et des économistes, vise à aligner la RDC sur les standards régionaux de l’OHADA, dont nous sommes membres depuis 2012. L’OHADA, Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires, promeut une uniformisation des règles commerciales pour faciliter les échanges et les investissements intra-africains. Dans les pays de la CEMAC (comme le Cameroun, le Gabon ou la République Centrafricaine) et de l’UEMOA (comme le Sénégal, la Côte d’Ivoire ou le Burkina Faso), le minimum requis pour constituer une société anonyme, forme juridique privilégiée pour les banques, est de deux actionnaires. Pas de notion d' »actionnaire significatif », pas d’ingérence du régulateur dans la répartition du capital. Cette flexibilité a permis à ces régions de voir émerger des hubs bancaires dynamiques, avec des taux de bancarisation bien supérieurs aux nôtres.
Dans ma proposition, je suggère donc de supprimer l’exigence des quatre actionnaires minimum et d’abandonner la notion d’actionnaire significatif. Les établissements de crédit seraient constitués par « plusieurs actionnaires », impliquant au moins deux, avec une liberté totale dans la répartition du capital, sous réserve des règles générales de l’OHADA sur les sociétés anonymes. La BCC conserverait un rôle de supervision, mais non de fixation discrétionnaire des quotités, un pouvoir qui relève traditionnellement de la liberté contractuelle des associés. Par ailleurs, j’ai prévu un délai de mise en conformité de 60 mois au lieu des six mois actuels. Ce délai réaliste permettrait aux banques existantes de s’adapter sans panique, évitant une nouvelle vague d’illégalité qui mine la confiance des déposants. En somme, l’essence de cette réforme est de créer un environnement attractif pour les investisseurs, favorisant l’innovation financière comme les fintechs, les banques mobiles et les partenariats public-privé. En alignant la RDC sur les modèles CEMAC et UEMOA, nous pourrions booster notre inclusion financière, réduire la dépendance au cash (qui alimente la corruption et l’insécurité), et intégrer pleinement le marché africain continental via la Zone de Libre-Échange Continentale Africaine (ZLECAf).
Cependant, les versions amendées par l’Assemblée Nationale et le Sénat ont introduit des éléments qui me préoccupent. Tout en saluant le travail remarquable de mes collègues parlementaires, qui ont examiné cette initiative en profondeur en une année seulement (un rythme impressionnant pour une réforme aussi complexe), je dois pointer les déviations qui risquent de contrecarrer les objectifs initiaux. Dans le texte adopté par l’Assemblée le 15 juin 2025, l’article 11 révisé indique que les établissements de crédit doivent comporter plusieurs actionnaires détenant chacun une quotité du capital social « définie par la Banque Centrale du Congo, par voie d’instruction ». Cette formulation confère à la BCC un pouvoir discrétionnaire sur la répartition individuelle du capital, allant au-delà de la régulation prudente pour s’immiscer dans les décisions privées des actionnaires. Or, dans les régimes CEMAC et UEMOA, une telle ingérence n’existe pas ; le régulateur se contente de vérifier la solvabilité globale, laissant la structure actionnariale aux fondateurs.
Pire encore, la version adoptée par le Sénat le 27 novembre 2025 va plus loin en autorisant explicitement la BCC à fixer le nombre total d’actionnaires dans les établissements de crédit. Cette disposition est non seulement inédite en Afrique, mais sans précédent à l’échelle internationale. Partout dans le monde, la fixation du nombre minimum d’actionnaires pour les institutions financières relève du pouvoir exclusif et discrétionnaire du législateur. En Europe, par exemple, la Directive sur les Exigences de Fonds Propres (CRD) est établie par le Parlement européen et le Conseil, définissant les critères d’autorisation des banques sans délégation arbitraire à un régulateur national. Aux États-Unis, le Bank Holding Company Act de 1956, amendé par le Congrès, pose les bases des exigences actionnariales pour les holdings bancaires, avec des seuils de contrôle (comme 25 % pour une influence significative) fixés par la loi, non par la Federal Reserve de manière discrétionnaire. En Asie, au Japon, la Banking Act est promulguée par la Diète, et l’Agence des Services Financiers ne peut pas imposer un nombre d’actionnaires sans base légale. Même en Afrique du Sud, pays au secteur bancaire robuste, la Banks Act de 1990, votée par le Parlement, définit les minima sans abdication au South African Reserve Bank.
Déléguer ce pouvoir à la BCC sans balises claires équivaut à abdiquer notre rôle législatif, érigeant le régulateur en super-législateur. Cela viole les principes de séparation des pouvoirs, consacrés dans notre Constitution, et risque de créer un déséquilibre institutionnel. Imaginez si la BCC, influencée par des pressions politiques ou économiques, impose un minimum de cinq, dix ou vingt actionnaires : cela rendrait impossible l’implantation des filiales des banques panafricaines (habituées à être actionnaires uniques ou ultra majoritaires de leur filiales), ou de startups fintech, favorisant les monopoles existants au détriment de la concurrence.
Les conséquences de ces amendements seraient préjudiciables à plusieurs niveaux. D’abord, sur le plan économique : en rendant le cadre plus rigide que ceux de nos voisins OHADA, nous découragerions les investissements. Les capitaux fuiraient vers les pays de la CEMAC ou ailleurs, où les réformes fintech ont attiré des milliards de dollars. Notre taux de bancarisation stagnerait, perpétuant la pauvreté et l’exclusion. Ensuite, sur le plan juridique : cet abandon législatif pourrait ouvrir la porte à des abus. Sans contraintes parlementaires, la BCC pourrait imposer des règles arbitraires, sujettes à des conflits d’intérêts (par exemple, favoriser des actionnaires proches du pouvoir). Cela minerait la confiance dans le système financier, essentiel pour attirer les dépôts et les prêts. Troisièmement, sur le plan institutionnel : en abdiquant notre prérogative, nous parlementaires affaiblirions le rôle du Parlement, pilier de la démocratie.
Malgré cela, j’ai confiance en la commission paritaire mixte AN/Sénat pour rectifier : supprimer ces clauses rétrogrades et recentrer la BCC sur la supervision.
En conclusion, ces amendements trahissent l’ambition initiale, risquant un recul préjudiciable. Les Congolais méritent une législation libératrice. Avec dévouement, aboutissons à une réforme bénéfique pour l’avenir financier de la RDC.