Accueil » La religion constitue-t-elle véritablement « l’opium du peuple » ? 

La religion constitue-t-elle véritablement « l’opium du peuple » ? 

Par La Prospérité
0 commentaire

(Par le Professeur Patience Kabamba)

La 125ème avenue à Harlem, à New York, constitue un point de convergence pour la majorité des migrants sénégalais originaires de Touba, centre spirituel musulman situé au centre du Sénégal, plus précisément dans la région de Diourbel et le département de Mbacké. Touba représente le centre spirituel du mouridisme, une branche de l’islam caractérisée par sa modération. Touba abrite également la sépulture du chef de la confrérie des Mourides, Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké. L’accueil des jeunes immigrants sénégalais à Harlem, plus précisément sur la 125ème rue à Manhattan, était assuré par les membres les plus anciens de la communauté de Touba, lesquels résidaient déjà aux États-Unis. Les jeunes gens nouvellement arrivés effectuaient des virements mensuels à leur marabout à Touba.

Il est porté à ma connaissance que certains individus transfèrent régulièrement des fonds à leurs pasteurs demeurant à Kinshasa, en plus de la dîme qu’ils versent mensuellement à leur église congolaise. Les responsables religieux des Églises figurent désormais parmi les individus les plus fortunés en Afrique. Il convient d’examiner les mécanismes et les raisons sous-tendant cette possibilité. Comment expliquer que, dans un contexte de chaos économique et de pauvreté généralisée en Afrique, la croyance soit devenue le produit le plus lucratif et que le marché de la religion y soit florissant ? Avant de répondre à cette question, il convient de la situer au sein du corpus théorique de Marx.

Le MDW actuel constitue une extension des réflexions de divers économistes, qui considèrent la confiance comme l’investissement le plus fructueux, notamment en Afrique. Marx avait déjà qualifié ce phénomène d’opium, mettant l’accent sur l’idée que les croyances entravent le processus révolutionnaire.

Il a exprimé cette idée dans un registre poétique, en formulant une critique à l’égard des ornements illusoires qui embellissent le processus d’instrumentalisation et d’acceptation de la servitude volontaire. Selon Alain Boyer, l’objectif n’est pas de subir passivement des contraintes dénuées d’espoir, mais de les éliminer, de s’affranchir de ces entraves et de recueillir les fruits d’une expérience enrichissante. Il est impératif de lever cet obstacle à l’épanouissement réel et profond de l’individu, ce qui constitue son propre soleil véritable.

L’opium ne possède pas de propriétés hallucinogènes, mais induit un état de bien-être illusoire. Selon Marx, la religion exerce une fonction à la fois antalgique et euphorisante, comparable à celle de l’opium. Non seulement la religion entrave la révolution, mais elle enrichit également ceux qui la diffusent.

L’appréhension de la religion en tant qu’économie remonte à l’Antiquité. La trifonctionnalité dumézilienne hiérarchise initialement la fonction sacerdotale, suivie par les fonctions militaire et agricole. À l’instar des oracles de Delphes et des astrologues impériaux, les marabouts, les prêtres et les pasteurs sont considérés comme « des gardiens du mystère ».

En effet, leur puissance émane de leur maîtrise du sacré, et par conséquent, de leur contrôle de la « peur ». Quelle est la justification pour laquelle une veuve disposant de ressources financières limitées transfère l’intégralité de ses fonds à un ecclésiastique qui possède déjà des moyens importants ? Du fait que le pasteur exerce un contrôle sur la peur, il s’avère être le gardien du sacré. L’expansion des églises de réveil à Kinshasa constitue une réponse à une demande tout à fait légitime.

Face au caractère chaotique de l’existence, le sacré demeure le refuge le plus fiable. Face à l’incompétence des institutions, les individus ont tendance à se tourner vers les croyances. Dans le contexte des défis quotidiens à Kinshasa, où la survie relève du miracle et les transports constituent un problème considérable, l’Être Suprême, considéré comme le maître du temps et des circonstances, est invoqué comme unique source de réconfort pour les Congolais désorientés.

Ce message est diffusé chaque dimanche dans les lieux de culte en République démocratique du Congo. Cette situation confère aux pasteurs des avantages financiers considérables, tandis que les congrégations sont confrontées à une précarité importante. La République démocratique du Congo est reconnue comme le pays africain où la majorité prépondérante de la population vit en dessous du seuil de pauvreté.

Face à la crise économique, la crise scolaire et académique, la guerre incompréhensible à l’est du pays, la crise de malnutrition endémique à l’ouest, la croyance en un Dieu libérateur, père des orphelins et des opprimés, constitue l’unique voie de salut. Le coût de cette bouée de sauvetage est élevé. Les Congolais s’y engagent pleinement et avec ferveur. Lorsqu’on interroge un Congolais sur son état de santé, il est peu probable qu’il réponde « ça va bien », mais plutôt « par la grâce de Dieu », voire simplement « par la grâce ! ». Cependant, selon quelles modalités cette économie de la religion se manifeste-t-elle ?

La structure inhérente à toute religion consiste à persuader ses fidèles de leur condition de pécheurs et à leur faire croire que le salut est dispensé par l’institution religieuse elle-même. La crainte de la damnation éternelle, la peur de la mort, l’appréhension de la maladie, l’angoisse relative à l’avenir, la frayeur inspirée par la sorcellerie, la crainte des accidents, la peur des encombrements routiers, la peur de la pauvreté, de l’isolement. L’ensemble de ces appréhensions constitue des opportunités économiques pour les tenants de ces croyances. Le dispositif de protection fait l’objet d’une commercialisation intensive, voire excessive.

Les pasteurs, les marabouts, les prêtres et les évêques tirent profit de cette situation, leur marchandise, à savoir la croyance, étant actuellement l’élément le plus prisé. Sa commercialisation s’opère par le biais de prétendus miracles, de purifications spirituelles obtenues grâce à de longues veillées de prière et des jeûnes, d’huiles et d’eaux bénites, ainsi que de consultations privées avec « dady », appellation contemporaine des pasteurs à Kinshasa.

Cependant, quel mécanisme assure cette pérennité ? La question se pose de savoir s’il s’agit d’ignorance, comme l’avance Pierre Berger. Néanmoins, il est observable que même les individus les plus instruits de la nation adoptent un comportement similaire, et que les personnalités les plus influentes du pays participent avec enthousiasme aux célébrations religieuses à l’Église de Philadelphie à Kinshasa.

A Kinshasa, solliciter un jeune homme pour diriger une prière aboutira à une exécution parfaite. Cependant, solliciter sa lecture d’un texte académique constituerait une situation catatrophique. Les psaumes sont connus, contrairement aux taux d’intérêt. Les prophètes sont connus, mais la Constitution ne l’est pas.

La traduction de la Bible et des textes sacrés est courante, contrairement à celle des ouvrages de mathématiques ou de chimie. L’effondrement du marché du savoir et l’inadéquation des établissements scolaires favorisent la prospérité du marché de la croyance. Un guide s’avère nécessaire. L’individu manifeste une nécessité constante d’être encadré, de bénéficier d’un accompagnement, plutôt que d’être confronté à une figure entrepreneuriale. Le berger, le pasteur, le prêtre ou le marabout se transforment en entrepreneurs.

En raison de la fragilité de l’État congolais, les églises se transforment en institutions parallèles. Les églises assurent la fonction éducative, prodiguent des soins et confèrent une signification à l’existence. L’absence d’institutions établies favorise un marché florissant pour les défenseurs de la croyance. Il existe des étudiants qui préfèrent fréquenter les églises en semaine plutôt que de réviser leurs cours, ainsi que des jeunes femmes qui font don d’une part importante des biens de leur famille aux pasteurs, aux marabouts et aux prêtres. Il arrive que des individus privent leurs propres enfants de ressources essentielles afin de subvenir aux besoins d’un ministre du culte.

Afin de s’extraire de ce cercle vicieux où le salut est marchandisé, il est impératif de restaurer les prérogatives d’un Etat rationnel. À cette fin, il est impératif de réexaminer le système d’accès au pouvoir en Afrique, et plus spécifiquement en République démocratique du Congo.

Si le système est géré conformément à sa vocation de service public, la crainte ne constituerait plus le fondement de la conviction, et l’ignorance céderait la place à une volonté d’apprentissage et de développement national. Il serait plus judicieux de consacrer les ressources à la construction de routes à Kinshasa plutôt qu’à l’acquisition de biens immobiliers dans d’autres pays.

Il serait plus judicieux de rémunérer convenablement les infirmiers et les enseignants au lieu de dilapider les fonds des contribuables au profit des ministres et des députés. L’ensemble de ces possibilités s’étend à l’ensemble du continent africain, et pas uniquement au Congo. Certains professeurs, mes collègues, manifestent un vif intérêt à s’engager dans une démarche de transformation nationale.

Dans ce contexte inédit empreint d’espoir, il apparaît que la foi et le développement ne sont pas incompatibles. La lutte se poursuivra jusqu’à ce que nous atteignions notre objectif.

You may also like

Laissez un commentaire

Quotidien d'Actions pour la Démocratie et le Développement

Editeur - Directeur Général

 +243818135157

 +243999915179

ngoyimarcel@ymail.com

@2022 – All Right Reserved. La Prospérité | Site developpé par wetuKONNECT