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Paix sur papier, méfiance sur le terrain : analyse critique de l’accord RDC–Rwanda du 04 décembre 2025

Par La Prospérité
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(Par Jonas Tshiombela, Avocat du Peuple)

Une paix signée, mais une confiance absente

Le 04 décembre 2025, la République démocratique du Congo et la République du Rwanda ont signé un nouvel accord de paix présenté comme un pas décisif vers la fin de trois décennies de violences à l’Est du pays. Pourtant, l’absence d’une poignée de main entre les deux délégations, un geste pourtant symbolique dans toute diplomatie de réconciliation, a rappelé que le fossé de méfiance reste profond. Ce déficit de confiance fragilise d’emblée le texte, qui, malgré ses ambitions, risque de rester une paix proclamée au niveau politique mais encore intangible pour les populations meurtries.

Un accord porteur d’espoir, mais dépourvu de mécanismes contraignants

L’accord signé vise officiellement à prévenir de nouvelles confrontations et à rétablir un climat de paix durable. Il met en avant la nécessité de faire taire les armes, de stabiliser les zones de conflit et de restaurer les relations diplomatiques. Cependant, plusieurs limites majeures apparaissent :

1. Absence de contraintes en cas de non-application

Aucune clause ne prévoit de sanctions ou de mesures coercitives si l’une des parties ne respecte pas ses engagements. La mise en œuvre dépend donc uniquement de la bonne volonté des signataires, alors même que les violations de précédents accords n’ont jamais été sanctionnées.

2. Une paix encore “théorique”

Sur le terrain, les armes continuent de parler. Les populations vivent toujours sous la menace de groupes armés. La paix annoncée ne se traduit pas encore par une paix vécue.

3. Place prépondérante des intérêts économiques

Le texte semble privilégier la coopération économique et les intérêts stratégiques au détriment des questions essentielles de justice, de réparation et de vérité. Or, une paix sans justice est une paix fragile, voire illusoire.

Le rôle des Etats-Unis : influence déterminante, engagement insuffisant

Les États-Unis jouent un rôle majeur dans la résolution des crises régionales. Ils disposent de leviers : diplomatiques, militaires, financiers et politiques. Pourtant, ils n’ont imposé ni mécanismes de contrainte ni cadre d’application strict. Leur soutien à la signature ne s’est pas accompagné d’un dispositif robuste de suivi. Cette posture interroge : Pourquoi se contenter d’un accord sans garantie d’exécution ? Pourquoi privilégier la stabilité régionale au détriment de la justice et de la sécurité humaine ? Pourquoi ne pas conditionner explicitement l’aide ou la coopération militaire au respect de cet accord ?

L’héritage des précédents accords : les non-dits d’un passé non assumé

Depuis plus de vingt ans, plusieurs accords ont été conclus entre la RDC et le Rwanda : Lusaka (1999), Pretoria (2002), Nairobi I (2009), Addis-Abeba (2013), Luanda et Nairobi II (2022), et d’autres engagements bilatéraux. Constat : Ils n’ont jamais été pleinement mis en œuvre, Les violations n’ont pas été documentées de manière impartiale, Aucune évaluation indépendante n’a été menée, Les responsabilités n’ont jamais été clarifiées. La question demeure : comment espérer un succès sans tirer les leçons des échecs passés ?

Les pays voisins : entre facilitation et implication ambiguë

Le Kenya, l’Ouganda et d’autres voisins ont, ces dernières années, pris part aux efforts de médiation régionale. Mais leur rôle reste complexe et parfois contradictoire. Observations : Certains États ont joué un rôle positif de facilitateur. D’autres sont accusés d’alimenter indirectement le conflit par des intérêts économiques, sécuritaires ou politiques. La neutralité de certains acteurs est remise en question. Une paix durable exige une architecture régionale réellement impartiale, ce qui n’est pas pleinement garanti aujourd’hui.

Justice, vérité et réparations : les grandes absentes de l’accord

Aucun conflit de cette ampleur marqué par des millions de morts, des déplacements massifs, des violences sexuelles et des violations graves des droits humains ne peut être résolu durablement sans : justice transitionnelle, vérité sur les crimes, réparation des victimes, garantie de non-répétition. Or, l’accord du 04 décembre 2025 reste silencieux sur : le rapport Mapping ; les crimes internationaux commis depuis 1994 ; les obligations de poursuites ; les mécanismes de réparation. Une paix qui ne reconnaît pas les victimes est une paix qui prépare les violences futures.

Les acteurs nationaux : opposition, société civile, communautés affectées

1. Une opposition sous-représentée

L’opposition congolaise, qu’elle soit politique, militaire démobilisable ou citoyenne, n’a joué qu’un rôle marginal dans la finalisation de cet accord. Pourtant, l’adhésion de l’ensemble des forces politiques est essentielle pour en assurer la crédibilité.

2. Une société civile marginalisée

Bien que centrale dans la défense des droits humains, la documentation des violations, la médiation communautaire et le plaidoyer, la société civile n’est pas reconnue comme un acteur formel du processus de mise en œuvre. Cette marginalisation prive l’accord : d’une crédibilité citoyenne, d’un suivi indépendant, d’un relais communautaire indispensable.

3. Les initiatives inter congolaises à revoir

Certains animateurs de dialogues internes semblent désormais adopter des postures partisanes. Cette évolution affaiblit leur légitimité et suscite des doutes sur leur capacité à assurer une médiation impartiale et crédible.

Les questions régionales non résolues : FDLR et dialogue inter-rwandais

L’une des racines du conflit, la question des FDLR, demeure sensible. Aucune solution durable ne peut être trouvée sans : un cadre clair de dialogue inter-rwandais, une stratégie politique transparente, un accompagnement international coordonné. Ignorer cette dimension revient à rester dans une logique de gestion à court terme.

Pour une paix durable : recommandations clés

1. Instaurer des mécanismes de contrainte : clauses claires de sanctions, mécanisme de vérification indépendant et rapport périodique internationalisé.

2. Garantir la justice et la vérité : intégration d’un mécanisme de justice transitionnelle, reconnaissance des victimes, réparation et garantie de non-répétition.

3. Inclure tous les acteurs nationaux ; opposition, société civile, communautés locales ; femmes et jeunes.

4. Renforcer l’impartialité régionale : redéfinition du rôle des voisins et impartialité stricte dans la médiation.

5. Assurer une communication transparente : information continue des citoyens et publication des étapes de mise en œuvre.

Une paix à construire, au-delà des symboles

L’accord du 04 décembre 2025 peut constituer un tournant, mais il reste fragile. L’absence d’une poignée de main en dit long sur l’état des relations entre la RDC et le Rwanda. Elle rappelle que la paix ne s’impose pas par signature, mais se construit par la confiance, la justice et le respect des engagements. Le Congo n’a plus besoin de paix de façade. Il a besoin d’une paix réelle, vécue, fondée sur la dignité humaine et la vérité. Les populations du Kivu, de l’Ituri et du Grand Nord attendent enfin que les mots se transforment en actes. Leur vie ne peut plus dépendre de compromis politiques fragiles ou d’accords non contraignants. Il est temps que les acteurs nationaux, régionaux et internationaux regardent la réalité en face : seule une paix inclusive, juste et vérifiable mettra véritablement fin à trente années de souffrance

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