Ce 15 décembre 2025 la Cour d’Assises de Paris a condamné Roger Lumbala, ancien chef d’un groupe armé, à 30 ans de réclusion criminelle pour complicité de crimes contre l’humanité pour des faits commis entre 2002 et 2003 pendant la deuxième guerre du Congo, marquée par une violence extrême pour la prédation des ressources naturelles et minières.
Ce procès est véritablement historique puisqu’il brise le cycle de l’impunité qui a toujours caractérisé les crimes commis durant des conflits armés, internes et internationaux, que connait la République Démocratique du Congo (RDC) depuis les années 1990.
Il s’agit de la première condamnation par un tribunal indépendant d’un des nombreux auteurs des crimes internationaux, des violations graves des droits humains et du droit international humanitaire commises durant ces conflits et qui ont été inventoriés et documentés par les experts onusiens du rapport Mapping qui continue de moisir dans les tiroirs des Nations Unies à Genève, comme je l’avais déjà dénoncé à Oslo en décembre 2018.
Je tiens à saluer le courage dont ont fait preuve les victimes, les survivantes de violence sexuelle et les témoins dans cette procédure, malgré les pressions exercées, ainsi que le travail des ONG internationales et congolaises qui ont enquêté les faits incriminés et facilité la participation des victimes et des témoins. Cette participation a été le moteur permettant de traduire en justice Roger Lumbala et d’aboutir à la condamnation de ce chef de guerre ayant opéré dans le Nord-Est du Congo.
Le Ministère public et les parties civiles ont décrit le mode opératoire du Rassemblement des congolais démocrates et nationalistes (RCD-N), le groupe rebelle de Roger Lumbala, soutenu par l’Ouganda et le Mouvement de Libération du Congo (MLC), durant la tristement célèbre « Opération Effacer le Tableau » : exécutions sommaires, viols massifs utilisés comme arme de guerre, esclavage sexuel, tortures, travail forcé, pillage, arrestations arbitraires. Ces éléments ont permis de caractériser ces atrocités de crimes contre l’humanité commis dans le cadre d’une attaque généralisée et systématique contre la population civile.
Ce procès s’est tenu devant un tribunal français sur base de la compétence universelle, un principe juridique qui permet aux juridictions nationales de poursuivre et de juger les crimes internationaux les plus graves, peu importe le lieu où les crimes ont été commis ou la nationalité des auteurs et des victimes.
Ce premier procès devant un tribunal compétent et indépendant ne doit pas être le dernier : il doit être le premier d’une avancée historique vers la justice pour les survivants des atrocités de masse commises en RDC et vers la fin de l’impunité pour les auteurs de ces crimes imprescriptibles.
A la suite de ce procès exemplaire, nous appelons de nos vœux que d’autres procédures judiciaires relevant de la compétence universelle se déroulent devant d’autres juridictions nationales en Europe, en Afrique ou ailleurs.
Néanmoins, il serait souhaitable que des mécanismes judiciaires de reddition des comptes aient lieu aussi près que possible des lieux où les crimes aient été commis, et donc en RDC. Bien que les tribunaux militaires congolais soient parvenus à rendre justice pour des crimes plus récents, ils ont montré une absence de volonté pour entamer des poursuites à l’encontre des auteurs présumés des crimes commis lors des conflits armés internes ou des conflits armés internationaux documentés par le rapport Mapping dans lesquels des armées étrangères étaient impliquées, notamment l’Ouganda et le Rwanda. Alors que les guerres successives au Zaïre et en RDC ont entrainé un nombre incalculable de victimes, la RDC devrait prendre sans plus tarder des mesures concrètes sérieuses pour enquêter les atrocités commises depuis 30 ans et pour juger les auteurs et les commanditaires, qu’ils soient congolais ou étrangers.
Les autorités congolaises doivent, avec le concours des Nations Unies et des partenaires techniques et financiers, obtenir au plus vite la mise en place d’une juridiction pénale internationale ou internationalisée qui pourra juger les plus haut responsables des crimes de guerre, crimes contre l’humanité et crimes de génocide commis durant ces trois dernières décennies. Le fait que la RDC siègera au Conseil de Sécurité des Nations Unies offrent une fenêtre d’opportunité unique à saisir pour y parvenir.
Le Parlement congolais doit aussi adopter sans tarder un projet de loi créant des Chambres spécialisées mixtes ou hybrides au sein des Cours d’Appel des Provinces où ces crimes de masse ont été commis pour juger un grand nombre d’autres auteurs présumés de ces crimes.
Le procès de Roger Lumbala qui vient de se clore envoie un signal fort aux autres auteurs de crimes internationaux commis en RDC. Gageons qu’il préfigure la mise en œuvre par le gouvernement congolais d’une véritable politique nationale de justice transitionnelle pour les crimes du passé afin de garantir les droits des victimes et des communautés martyrs à la justice, à la vérité, à des réparations et à des garanties de non-répétition des atrocités, notamment une réforme profonde du secteur de la sécurité et l’assainissement des forces de sécurité et de défense, ainsi que des services de renseignement.
Ce premier procès est une première lueur d’espoir et une opportunité pour les victimes congolaises, les survivantes et les communautés qui réclament la fin de l’impunité et qui sont prêtes à partager leurs témoignages devant d’autres juridictions compétentes. Nous avons l’obligation juridique et morale de les soutenir et de répondre à leur soif de justice.