Jeune ambitieux, le nouveau garde des Sceaux s’attelle à redresser une justice « malade », promettant rigueur et transparence. Sauf que ses premières mesures lui valent déjà quelques inimitiés.
Au petit matin du 29 mai, lorsque la porte-parole de la présidence termine la lecture de l’ordonnance portant nomination des membres du gouvernement, le ministre de la Justice n’est pas cité. Oubli ou erreur ? Quelques minutes plus tard, le nom de l’heureux élu est finalement dévoilé : Constant Mutamba. C’est la surprise, tant dans les rangs du pouvoir que dans ceux de l’opposition. Très vite, l’entourage de Félix Tshisekedi évoque un « choix du chef lui-même », alors que le camp adverse y voit un « deal » entre celui qui se disait « opposant républicain » et le chef de l’État. Le successeur de Rose Mutombo s’engage à mener des réformes audacieuses dans le secteur judiciaire, régulièrement critiqué par Félix Tshisekedi lui-même. Le 13 juin, il a en tout cas fait une entrée théâtrale au ministère de la Justice, en débarquant le jour de sa prise de fonction avec un molosse qu’il peinait à tenir en laisse. Une entrée qui n’est pas passée inaperçue. « Véritable thérapie de choc » Quelques jours après son installation, les premières mesures sont tombées : injonction aux poursuites contre la pratique de l’homosexualité ; ultimatum aux Églises afin qu’elles régularisent leur situation administrative vis-à-vis de l’État ; annonce de la création d’un parquet financier ; menace d’emprisonnement des magistrats corrompus. Par un simple communiqué, il a par ailleurs annoncé sa décision de conditionner l’obtention du certificat de nationalité congolaise à un avis favorable de l’Agence nationale de renseignement et de la Direction générale de migration. D’ailleurs, lorsqu’il a reçu Jeune Afrique le 8 juin dans ses bureaux à GB, l’un des quartiers huppés de Kinshasa, il a promis une « véritable thérapie de choc » pour redresser le système judiciaire congolais et lutter contre la corruption et les crimes économiques. Un début de mandat qui suscite déjà des crispations. « Sa jeunesse et son énergie sont des atouts pour apporter un nouveau souffle à notre justice », estime Donatien Nshole, secrétaire général de la Conférence épiscopale nationale du Congo. « On se doit de rester prudent et ne pas se réjouir trop vite, temporise un membre de l’opposition. Félix Tshisekedi reste le magistrat suprême, et il a montré ses limites. » « De quelle marge de manœuvre disposera-t-il, afin de ne pas être discrédité comme il l’a été dans l’affaire Nicolas Kazadi ? » s’interroge un autre membre de l’Union sacrée. Proche du camp Kabila À 36 ans, Constant Mutamba fut le plus jeune des 26 candidats à la présidentielle de 2023, sous le label de son regroupement Dynamique progressiste révolutionnaire (Dypro). Bien que n’ayant pas réussi à obtenir un poste au sein du bureau de l’Assemblée nationale réservé à l’opposition – il a été battu par une candidate du camp de Moïse.
Il n’a jamais écarté l’option d’entrer au gouvernement, se positionnant comme un membre de « l’opposition républicaine ». Il n’hésite toutefois pas à dénoncer ce qu’il considère comme des « incohérences » des opposants, critiquant ainsi l’appel à l’annulation des résultats des élections de décembre 2023 par Ensemble pour la République de Moïse Katumbi et leur boycott de la plénière inaugurale de l’Assemblée nationale. Constant Mutumba a débuté sa carrière politique en créant en 2014 le mouvement citoyen Nouvelle génération pour l’émergence du Congo et en participant dès 2016 aux manifestations pour le départ de Joseph Kabila. Deux ans plus tard, il a transformé son mouvement en parti et s’est rapproché du camp du chef de l’État d’alors, jusqu’à être nommé par Néhémie Mwilanya, le directeur de cabinet de ce dernier, membre de la task force stratégique à la présidence. Puis, il a été désigné rapporteur du bureau politique du Front commun pour le Congo (FCC). Avocat aux barreaux de Kinshasa/Matete et du Kongo-Central, d’où il a été exclu avant d’être réhabilité, Constant Mutamba est également mandataire en mines et carrières et fondateur du cabinet MKM Lawfirm. Député national élu à Lubao, dans la province de Lomami, il a rédigé plusieurs propositions de loi, notamment sur l’octroi de parcelles aux jeunes entrepreneurs, la criminalisation de l’homosexualité, l’interdiction de l’exportation des minerais congolais à l’état brut, la création d’un parquet économique et financier spécial, et la déchéance de la nationalité congolaise pour haute trahison et terrorisme. Il a également appelé au boycott de l’utilisation des iPhone, car « dans chacun d’eux, il y a le minerai de sang des Congolais ».
Prison spéciale
À son nouveau poste, le ministre de la Justice fait face à de nombreux défis. Le plus grand chantier concerne l’impunité des crimes économiques, et notamment les soupçons de détournement et de blanchiment de capitaux. Il prévoit la mise en place d’un parquet économique et financier spécial qui aura pour mission, dit-il, de tracer l’origine de chaque acquisition mobilière et immobilière des dirigeants et des membres du gouvernement. Félix Tshisekedi s’est lui-même fait l’écho de cette initiative lors du Conseil des ministres du 21 juin. En parallèle, il prévoit la création d’un tribunal spécial contre la corruption. Et, pour dissuader encore davantage ces pratiques, il dit vouloir faire construire une prison spéciale pour les responsables de détournement de fonds publics dans la commune de N’sele. Par ailleurs, de nombreuses personnes demeurent détenues depuis plusieurs années sans régularisation de leur situation, simplement parce qu’elles-mêmes ou leurs familles n’ont pas satisfait aux exigences pécuniaires des magistrats ou du personnel de la prison. La lenteur de la justice, les délais rarement respectés et l’interférence de certaines autorités politiques sont également des problèmes majeurs qui impactent l’indépendance de la magistrature. Récemment, devant des magistrats de la cour d’appel de Kinshasa/Matete, Constant Mutamba a insisté sur la « redéfinition de la politique judiciaire », fulminant contre le « désordre et l’indiscipline » et appelant justiciables, magistrats et avocats à dénoncer « tout dépassement de délai de prononcé de jugement ». Il promet également d’initier « des actions judiciaires fortes contre les auteurs de l’agression rwandaise ». Début mai, en sa qualité de député national, il avait déposé auprès du procureur de la Cour pénale internationale (CPI) une plainte pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité et crimes d’agression contre le président rwandais Paul Kagame et Corneille Nangaa, numéro un de l’Alliance fleuve Congo. Alors qu’en 2023, l’ex-ministre de la Justice avait annoncé avoir demandé à la CPI d’enquêter sur les crimes présumés commis par le groupe rebelle M23 au Nord-Kivu, Constant Mutamba explique à Jeune Afrique qu’il compte aller plus loin, sans donner de détails sur sa future initiative.

Jeune Afrique