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Lettre ouverte d’un Citoyen aux Recteurs des Universités en République Démocratique du Congo

Par La Prospérité
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(Par Dr David Menge, Historien des sciences et des institutions scientifiques)

Messieurs les Recteurs,

La science s’éloigne-t-elle de la République Démocratique du Congo (RDC) ? Que faire pour la retenir avant qu’elle ne nous échappe définitivement ? Telle est la question qui me taraude l’esprit depuis plusieurs années et que je vous pose sans besoin d’obtenir une réponse dans l’immédiat. La science comme étendue des connaissances que l’on acquiert par l’étude, l’observation et l’expérimentation est-elle réellement une contribution de toutes les civilisations ? Si oui, quelle est la place de nos institutions de production et de reproduction des connaissances dans le monde souvent très cloisonné de la recherche scientifique ? Le savoir que nous reproduisons à travers nos institutions universitaires est un savoir transféré par le biais de la colonisation pour des besoins purement utilitaires.

Ce savoir restera sans nul doute un savoir de pure conception occidentale : étranger pour nous non seulement par sa nature, mais aussi par ses méthodes et son histoire. C’est un savoir considéré par ses producteurs comme un produit de démonstration de la supériorité de l’Occident et de sa domination sur d’autres peuples. L’impérialisme scientifique et culturel que nous connaissons depuis plusieurs décennies en est une illustration vivante.

De même, le paternalisme colonial et la coopération au développement, qui n’est autre chose que le ministère de la colonie déguisé, nous ont infantilisés depuis longtemps et marginalisé nos efforts pour le travail. Il suffit d’observer l’état de nos économies et l’influence des chancelleries occidentales dans la prise de nos décisions pour relever les effets néfastes produits par l’intervention des organismes internationaux dans l’élaboration de nos projets de développement. La défaillance collective des Congolais, dans ce processus, vient de la confiance aveugle que nous avons accordée aux savoirs occidentaux sans nous interroger suffisamment sur le fondement de ces connaissances et sur ses finalités.

Nous aurions dû, quelques années après la décolonisation, faire un état des lieux de l’enseignement et de la recherche scientifique héritées de la colonisation pour émettre des recommandations sur des choix à adopter concernant l’avenir de notre système éducatif. Ces choix n’étant pas faits, nous sommes restés dans la continuité des programmes coloniaux sans aucune option de rupture pour envisager l’organisation d’un enseignement autour d’un savoir en train de se faire et que la recherche scientifique viendrait appuyer. L’inexistence réelle de connexion entre les pôles recherche – université, Etat et société est encore une autre réalité à prendre en compte. Dans les années soixante-dix, plus précisément en 1971, le Président de la République de l’époque a convoqué, à N’Sele, tous les professeurs de l’enseignement supérieur et universitaire à un colloque afin d’imposer des orientations politiques pour le futur de l’enseignement supérieur au Zaïre.

De ce colloque est sorti la réforme créant l’Université nationale du Zaïre comme seule institution de l’enseignement supérieur. Cette réforme voulue par le pouvoir n’avait rien à voir avec le travail sur le contenu du projet pédagogique et scientifique à l’université.

Le trait que le président Mobutu voulait tirer sur l’héritage colonial pour renforcer son pouvoir politique ne correspondait en rien aux réformes et réajustements du système éducatif dont le pays avait besoin pour son développement économique et social.

En l’absence d’un rapport général sur ce qui reste des héritages coloniaux en matière d’enseignement et de recherche scientifique, aucun débat de fond ne pourra être envisagé pour une nouvelle conception de l’enseignement supérieur. Le colloque voulu par l’ancien Président Mobutu n’a été qu’un coup d’éclat politique pour prendre le contrôle des universités.

Le système éducatif congolais s’est déroulé à travers vents et marées et en temps difficiles pour prétendre donner aux apprenants une formation de qualité et pour répondre aux besoins de la société. La mainmise de l’Etat sur les structures universitaires et l’absence d’une organisation savante, sous forme d’Académie pour conduire des réflexions aux enjeux politiques, éthiques et sociaux que posent les grandes questions scientifiques du présent et du futur doivent nous interpeller.

Que faire pour sauver ce qui reste de l’enseignement et de la recherche scientifique afin que la RDC devienne une société fondée sur le savoir c’est-à-dire une société indispensable pour être compétitive et réussir dans un monde moderne où les dynamismes économiques et politiques ne cessent d’évoluer ? Il n’y a pas une réponse unique à cette interrogation ! Pour que la RDC soit remise sur le rail des pays en marche vers le développement et qui évitent de faire du sur place, il faut une prise de conscience collective du danger que représente une mauvaise organisation de l’enseignement et de la recherche. En effet, une société sans savoir ne peut pas se tourner vers l’avenir pour garantir et préparer les jeunes à des métiers et les rendre curieux de la recherche de la vérité.

La RDC a besoin d’effectuer, sous votre autorité et sans tarder, un diagnostic sérieux de l’enseignement et de la recherche pour avoir une idée précise de ce que représente encore aujourd’hui ces deux domaines qui se nourrissent mutuellement. Ce diagnostic tiendra compte des moyens humains et financiers, des infrastructures, des orientations pédagogiques, des axes de recherches, du type d’enseignement choisi, du nombre d’étudiants présents et attendus dans les dix années à venir, du nombre d’universités publiques et privées existantes et du nombre de publications scientifiques diffusées ces dernières années y compris l’évaluation de la relation entre,  d’une part,  l’université et la recherche et,  d’autre part,  entre la recherche et la politique. A savoir que les enjeux scientifiques sont de nos jours des enjeux de société. La science est un moyen puissant que se donne chaque société pour répondre à ses dangers. Il n’y a jamais eu de société politique sans encouragement du savoir.

Le rôle du chercheur est toujours nécessaire à côté du soldat, du politique et du paysan : trois figures au cœur de l’organisation et du fonctionnement d’un Etat. Il faut établir un diagnostic et identifier clairement les problèmes qui paralysent l’organisation crédible de l’enseignement et de la recherche. Car ceux-ci préparent à la production du savoir, participent au développement de l’économie et privilégient ainsi l’esprit de curiosité des apprenants.

Une convocation des Assises de l’enseignement supérieur et de la recherche pourra être lancée afin de permettre à notre pays de sortir de la zone de turbulence dans laquelle il se trouve et de prendre une nouvelle direction en tenant compte de toutes les difficultés que l’enseignement et la recherche pourront susciter.

Ces Assises de l’enseignement et de la recherche devraient réunir, autour de thèmes précis, les acteurs scientifiques et politiques. Ces derniers seront appelés à débattre avec clarté et rigueur afin de proposer des réponses qui feront en sorte que l’enseignement et la recherche forment ensemble un noyau d’activités universitaires et, qui plus est, seront d’une certaine façon intrinsèquement liée l’une à l’autre dans l’interdépendance de deux missions confiées aux institutions de l’enseignement supérieur.

L’excellence du débat permettra de confronter les points de vue, d’écouter d’autres témoignages.

En débattant en âme et conscience pour l’intérêt du pays, on réfléchit aux arguments de ses contradicteurs et on fait aussi travailler son esprit critique.

Par un débat construit et respectueux, on peut faire changer d’avis et faire avancer les idées. Nous appelons les acteurs scientifiques et politiques qui seront conviés à ce débat à privilégier l’échange et le respect de l’autre pour créer les conditions de travail propices au développement du pays afin de lui donner un nouveau visage dans un esprit de transformation sans fin.

Si j’ai pris l’initiative de vous adresser ce courrier dont le contenu représente ce que pense la majorité des Congolais, je ne cherche pas un coupable à la crise du système éducatif congolais et à celle de la recherche scientifique.

Je veux tout simplement poser le décor du débat et dire que tous les pays du monde, à un moment ou à un autre de leur histoire nationale, ont été confrontés aux difficultés de cet ordre et qu’ils ont su, avec esprit patriotique, rebondir ! Alors, pourquoi pas la RDC ?

Notre pays a besoin d’un débat national apaisé et constructif sur des sujets divers. Nous avons connu de nombreux débats ces dernières décennies, mais aucun d’entre eux n’a apporté des réponses crédibles susceptibles de donner à la RDC les moyens de son développement : la réforme LMD faite dans la précipitation en est un exemple frappant de l’absence de débat constructif.

Dans l’espoir que cette lettre va susciter un engouement national pour la réorganisation de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique correspondant aux réalités économiques, politiques, culturelles et sociales de notre pays, je vous prie d’agréer, Messieurs les Recteurs, l’assurance de mon profond respect. Kinshasa, 02 septembre 2024

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