Conflit avec le M23 et le Rwanda, corridor de Lobito, rivalité avec la Chine dans la course aux minerais stratégiques… Alors que s’ouvre le nouveau mandat de Donald Trump, la RDC s’interroge sur ce que sera l’attitude américaine sur plusieurs dossiers importants.
Si Donald Trump avait déjà relégué l’Afrique en bas de la liste de ses priorités diplomatiques lors de son premier mandat, ne daignant même pas si rendre, nombreux sont ceux qui parient sur le fait que l’imprévisible milliardaire, investi ce 20 janvier et partisan d’une ligne « America First », lui accordera de nouveau une place relativement minime ces quatre prochaines années. L’attitude qui sera la sienne suscite néanmoins, chez certains de ses futurs interlocuteurs, un mélange d’attentes timides et de craintes.
Renouer avec l’administration Trump
C’est notamment le cas en RDC. Du Corridor de Lobito, investissement phare de l’unique mandat de Joe Biden, au conflit avec le Rwanda dans lequel Washington s’est investi depuis la fin 2023, la question du degré d’implication de la prochaine administration se pose avec insistance du côté de Kinshasa.
Afin d’anticiper au mieux la transition, une petite délégation congolaise a séjourné à Washington en décembre dernier, emmenée par Jacques Tshibanda Tshisekedi, le frère du Chef de l’Etat, qui est aussi le coordinateur de la sécurité interne de la présidence. Il était accompagné de Serge Tshibangu, l’ancien haut représentant de Félix Tshisekedi pour les processus de Nairobi et de Luanda. Limogé de son poste en août dernier, Tshibangu, qui dispose d’un solide carnet d’adresses dans la capitale américaine, a néanmoins conservé des entrées à la présidence congolaise. Il assistera par ailleurs à l’investiture du président américain à Washington, où l’opposant Moïse Katumbi a aussi fait le déplacement.
Dans la capitale fédérale américaine, Jacques Tshisekedi et Serge Tshibangu ont approché plusieurs personnalités susceptibles de jouer un rôle dans la politique africaine de la prochaine administration américaine. Ils ont notamment échangé avec Joseph Foltz. Membre du sous-comité des affaires étrangères pour l’Afrique de la Chambre des représentants, ce dernier est pressenti pour devenir directeur Afrique au sein du National Security Council (NSC), organe incontournable de la politique étrangère de la Maison Blanche. Ils ont également rencontré John Tomaszewski, conseiller Afrique au sein du comité des Affaires étrangères du Sénat. Enfin, ils ont pu s’entretenir avec J. Peter Pham, l’ancien envoyé spécial de Donald Trump pour la région des Grands Lacs – un poste qu’il a occupé pendant le premier mandat de Tshisekedi. Régulièrement cité parmi les favoris pour devenir secrétaire d’État adjoint chargé de l’Afrique et ainsi succéder à Molly Phee, Pham est un habitué du Congo où il dispose d’un solide réseau dans l’entourage du président congolais.
Le M23 au second plan ?
Bien consciente du désintérêt relatif dont avait fait preuve la première administration Trump, la partie congolaise a souhaité sonder les intentions de la nouvelle équipe, selon un proche de Félix Tshisekedi. En toile de fond, un conseiller du président congolais évoque notamment la crainte de voir Washington se détourner du dossier du M23, la rébellion soutenue par le Rwanda dans l’est de la RDC, pour se consacrer uniquement à Gaza et à l’Ukraine. « Donald Trump a été élu pour régler, avant tout, les problèmes des Américains, reconnaissait le ministre congolais de la Communication, Patrick Muyaya, dans une interview à Jeune-Afrique en décembre dernier. Il a néanmoins pris l’engagement de contribuer à mettre fin aux guerres. Nous espérons donc que celle que nous impose le Rwanda fera partie de son agenda et que nous pourrons aussi consolider nos rapports économiques [avec les États-Unis]. »
Depuis la fin de l’année 2023, les États-Unis se sont davantage impliqués dans le processus de médiation entre la RDC et le Rwanda. Soutiens de l’initiative pilotée par l’Angolais João Lourenço, ils ont aussi facilité, à travers leur directrice du renseignement, Avril Haines, la mise en place d’une trêve humanitaire début juillet 2024. Une trêve à laquelle a succédé un cessez-le-feu, lequel n’existe aujourd’hui plus que sur le papier.
« Il est encore trop tôt pour anticiper ce que sera la politique de Donald Trump dans un tel dossier », tempère Mvemba Phezo Dizolele, directeur du département Afrique au sein du Center for Strategic and International Studies (CSIS), un cercle de réflexion sur la politique étrangère américaine basé à Washington. « L’administration Biden s’est investie dans ce dossier à un moment d’escalade entre les deux pays, avec l’entrée en scène des drones du côté congolais et l’avancée du M23. Celle de Trump en fera-t-elle de même si on atteint le même point ? Cela va dépendre des acteurs qui seront en poste côté américain mais aussi de l’attitude des pays concernés », ajoute-t-il.
Rivalité avec Pékin
Si le degré d’investissement américain dans le conflit dans l’est de la RDC paraît impossible à anticiper, surtout pour une administration déterminée à sécuriser ses propres intérêts stratégiques, les émissaires du président congolais ont néanmoins évoqué auprès de leurs interlocuteurs le rôle central que le Congo joue dans la course aux minerais stratégiques pour la transition énergétique. Cet argument, qui rejoint celui de la rivalité entre Washington et Pékin dans ce domaine, ne doit rien au hasard. En 2019, à l’arrivée au pouvoir de Félix Tshisekedi, il avait même semblé susciter l’intérêt de l’administration Trump.
À l’époque, le changement de régime en RDC présente deux opportunités pour Washington : il permet de tourner la page houleuse du dernier mandat de Joseph Kabila, et ouvre la porte à une contre-offensive américaine dans le secteur minier où les États-Unis ont perdu beaucoup de terrain face à leur rival chinois.
Pour avancer ses pions à Kinshasa, Washington s’appuie alors sur l’ambassadeur Mike Hammer. Ce diplomate volubile et hyperactif devient rapidement l’un des apôtres de la rupture entre le nouveau président congolais et son prédécesseur, au point de se voir reprocher son ingérence dans la vie politique congolaise. En toile de fond, Hammer espère obtenir des retombées économiques et pousser les investisseurs américains à s’engager en RDC.
Si Félix Tshisekedi a bel et bien fini par s’émanciper de sa cohabitation parlementaire avec Joseph Kabila, l’inversion du rapport de force avec Pékin n’a pas eu lieu. Dès 2019, lors du premier mandat de Donald Trump, les États-Unis avaient pourtant œuvré en coulisses pour obtenir la renégociation des contrats signés avec la Chine par l’administration Kabila – le sujet avait notamment été mis sur la table par J. Peter Pham. Si ces contrats ont bel et bien été revisités, Washington n’en a, pour l’heure, tiré aucun bénéfice significatif.
Lobito sur de bons rails
En parallèle, l’administration Biden a conservé un intérêt pour cette question des minerais stratégiques, comme en témoigne l’intérêt fort pour le corridor de Lobito. Washington a promis d’investir pas moins de 4 milliards de dollars dans ce projet ferroviaire qui doit, à terme, relier les mines du nord de la Zambie et du sud-est de la RDC au port angolais de Lobito, sur la côte atlantique, devenant ainsi la voie la plus rapide d’évacuation des minerais congolais.
Donald Trump cherchera-t-il à pérenniser cet investissement, sachant que le versant congolais du projet tarde à avancer ? « Cela va dépendre de plusieurs facteurs et notamment des conditions que la partie congolaise sera en mesure de réunir pour susciter l’intérêt des Américains », estime Mvemba Dizolele. Sollicité par Jeune Afrique, un diplomate américain en poste dans la première administration Trump veut croire que l’intérêt de Washington pour Lobito perdurera.
Un sommet de l’Agoa à Kinshasa ?
Autre sujet sur lequel Kinshasa gardera un œil, l’African Growth and Opportunity Act (Agoa), programme qui accorde aux pays remplissant les conditions requises (ils sont actuellement 32) un accès libre de droits pour certains produits au marché américain. Véritable pierre angulaire de la politique commerciale américaine sur le continent depuis plus de vingt ans, l’Agoa expirera le 30 septembre 2025 à moins que le Congrès ne prenne des mesures pour renouveler ses dispositions, ce qu’il a échoué à faire en décembre dernier.
Le nouveau président américain pourrait-il revenir sur cette loi ou l’amender ? Donald Trump n’a rien dit ou presque sur son avenir au cours de sa campagne et ne s’est jamais affiché en fervent supporter de cet accord commercial. Kinshasa, qui bénéficie très peu de ce programme, espère malgré tout accueillir le prochain sommet des pays de l’Agoa prévu cette année.
Tiré de Jeune Afrique