(Par le Prof. Patience Kabamba)
En 2009, je faisais le post doctorat à Emory University, à Atlanta. J’étais invité à l’université Johns Hopkins à Washington DC pour répondre à l’ancien secrétaire pour l’Afrique, monsieur Herman Cohen. Ce dernier défendait la thèse selon laquelle l’État congolais devrait laisser le Rwanda exploiter les minerais du Congo et payer les redevances. Il avait même eu une pique contre l’ancien président Nicolas Sarkozy qu’il accusait d’avoir volé son idée. En effet, le président français avait dit la même chose quelques mois auparavant. Ma réponse à monsieur Cohen était simple et claire. Votre proposition est économiquement plus rentable et plus efficace que le statu quo conflictuel que l’on connaît pour le moment. Malheureusement, le Congo n’est pas uniquement un espace économique – un espace extractif – mais plutôt un espace politique et social. La manière d’organiser une entité extractive est complètement différente de la manière d’organiser un espace politique. L’efficacité politique concerne la gestion des ambitions sociales, de la formation de la jeunesse et du repos paisible des anciens. L’efficacité économique se réduit à l’augmentation des revenus et des bénéfices ou au produit intérieur brut (GDP). Ma réponse n’avait pas plu à monsieur Herman Cohen. Il m’a rétorqué que je n’étais qu’un post-doc. C’est-à-dire que ma réponse n’avait pas beaucoup de valeur, car, selon lui, je n’avais pas le titre qu’il fallait pour le contredire. C’était pour lui une manière de botter en touche et d’éviter de regarder le reflet du miroir que je lui renvoyais.
Depuis le 25 avril 2025, le principe que défendait Herman Cohen a été amélioré et est devenu la doctrine de l’administration Trump pour arrêter le conflit qui dure déjà plusieurs décennies au Congo en proposant des bénéfices extractifs. Le résumé de l’accord de principe est que les Rwandais et les Congolais devraient travailler ensemble pour extraire les minerais de l’est du pays. La proposition de Cohen était de laisser le Rwanda exploiter les minerais de l’Est et de payer les redevances à la RDC. Pour le présent accord, le Rwanda et le Congo l’exploiteront ensemble et chacun prendra sa part des bénéfices. Le but est d’obtenir une paix entre les deux pays en les faisant collaborer dans l’exploitation minière de la partie est du pays. Pour permettre la faisabilité de ce projet, les USA promettent d’y injecter 200 milliards de dollars pendant 5 ans, en raison de 40 milliards de dollars par an. Cet argent permettra d’intégrer ce projet et de rendre la région non seulement pacifique, mais aussi prospère.
Maintenant, il y a eu plusieurs réactions auxquelles je ne voudrais pas revenir entièrement. Pour les uns, cet accord consacrerait le bradage des richesses du Congo en échange de la protection d’un régime. Ceux qui réfutent cet accord trouvent que l’on a fait la part belle au Rwanda qui nous agresse depuis des lustres sous le prétexte de la recherche des FDLR qui font plus de mal au Congo qu’au Rwanda. L’argent des Américains n’arrangerait pas les relations du Congo avec le Rwanda, qui sont détériorées depuis plusieurs décennies. C’est une illusion de les refaire par le biais de l’économie.
Les soutiens de cette proposition américaine pensent que, selon les chaînes de valeurs, le Congo pourrait profiter de cet accord. L’extraction minière pourrait être à la base de la création d’emplois pour les Congolais. Cependant, pour que les Congolais profitent au maximum de la couverture financière américaine, il faut qu’une grande partie des Congolais reçoivent une formation technique capable de leur rapporter suffisamment de revenus. Au lieu d’être de simples ouvriers ou manœuvres, les ingénieurs congolais doivent être au cœur de cette exploitation minière. Pour cela, il faut les former. L’argent américain pourrait servir à la formation de la jeunesse congolaise aux métiers de l’exploitation minière ; d’ingénieurs des ponts et chaussées pour améliorer les routes dans toute la république, pas uniquement sur les lieux d’extractions minières. Les minerais permettront donc de résoudre les problèmes des infrastructures congolaises. Les supporteurs de ce projet pensent que des infrastructures routières, ferroviaires et aéroportuaires construites avec l’argent américain et qui couvriraient tout le territoire national relèveraient le niveau des revenus des Congolais. Bref. Les tenants de cet accord pensent que l’élément économique supplanterait les réticences sur la question de souveraineté. Ils pensent qu’une économie intégrée dans l’est du pays bénéficierait aux deux pays et éviterait les conflits pour se concentrer sur la production économique qui relèverait le niveau de vie dans les deux nations.
Le MDW aimerait voir comment les deux types d’arguments pourraient être combinés. Comment garder sa souveraineté nationale d’une part et profiter des richesses du pays qui seront exploitées en commun accord avec le Rwanda ? L’équation n’est pas d’une part une souveraineté dans la pauvreté et d’autre part une prospérité qui conduirait à la perte de la souveraineté nationale. Il existe des situations de zones franches dans le monde, mais celles-ci n’entament en rien la souveraineté politique et administrative de ces entités fonctionnant en zones franches.
Le caviar est que nous n’avons pas uniquement à faire à des espaces d’extractions minières. Les Kivus, le Maniema, l’Ituri et la province orientale sont constitués d’une diversité de populations qui vivent ensemble dans une relative harmonie offerte par la constitution congolaise. La présence des populations rwandaises dans le sol congolais a perturbé l’équilibre ethnique ; et l’incursion des militaires rwandais à l’est du Congo sous prétexte de la poursuite des FDLR, des Rwandais accusés d’être responsables du génocide de Tutsi en 1994 au Rwanda alors qu’ils n’avaient à l’époque que dix ans. Le Rwanda est aussi accusé de soutenir une rébellion congolaise qui remet en question le régime congolais en place.
D’après l’accord de principe signé le 25 avril 2025, le Rwanda devrait retirer son soutien au M23. Mais ce dernier est devenu une force autonome capable de prendre des villes dans le pays. En dissociant le M23/ADF du Rwanda, le régime congolais n’enlève pas l’épée de Damoclès qui pend sur la tête de ses dirigeants. L’accord ne parle pas des rébellions congolaises. Il est basé sur le principe selon lequel une prospérité économique réduirait drastiquement les risques de confrontations militaires. Un point de vue que le MDW ne partage pas, car la souveraineté, le sens de l’appartenance et le vivre-ensemble sont des éléments au-delà de l’économique. Les économies politiques sur lesquelles est construit cet accord ne font que sanctionner les décisions que la dialectique des forces productives demande d’exécuter. Cependant, nous devons nous rappeler aussi que l’histoire a du sens et qu’elle a un sens. L’auto-abolition de la valeur de l’argent fera resurgir les relations qui n’ont été construites que sur les bases économiques. Les Congolais doivent préparer une expertise nationale et financière pour être capables de se prendre en charge demain, et cela ne peut pas se faire dans un contexte de prédation endémique qui caractérise le Congo. Ce deal est temporairement le seuil dialectique de l’histoire, mais il exige du Congo un préparatif militaire, politique et des compétences techniques pour devenir maitre de son avenir dans un futur proche.