(Par Omer Nsongo die Lema)
Le Bureau du Sénat aurait dû saisir la Cour constitutionnelle pour interprétation de l’article 8 de la loi du 26 juillet 2018 portant statut des anciens présidents de la République élus et fixant les avantages accordés aux anciens chefs des corps constitués. « Dura lex, sed lex » (« La loi est dure, mais c’est la loi ») ou encore « Nul n’est censé ignorer la loi ». Ces deux citations s’interprètent généralement au détriment de la personne à traduire en justice, c’est-à-dire le justiciable. Pourtant, n’en est pas moins concerné le justicier. Dans le cas présent, l’Etat congolais…
Pour la justice militaire, les infractions retenues contre l’ancien Président sont graves
Par la personne morale appelée Gouvernement, lEÉtat a intenté un procès à charge de Joseph Kabila, président de la République honoraire et sénateur à vie. Jusque-là, les infractions retenues contre lui sont officiellement au nombre de deux. Le Gouvernement les formule en ces termes :
« 1. « attitude ambigüe de Monsieur Joseph Kabila, Ancien Président de la République, Sénateur à vie et Autorité Morale du Parti Politique Parti du Peuple pour la Reconstruction et la Démocratie (PPRD), qui, face à l’occupation d’une partie du territoire national par l’Armée Rwandaise et ses supplétifs du M23/AFC, n’a jamais, dans ses déclarations devant la presse, condamné cette agression» et
« 2. « choix délibéré de rentrer au pays par la Ville de Goma sous contrôle de l’ennemi qui assure curieusement sa sécurité».
C’est ce qui ressort du communiqué officiel publié le 19 avril 2025 par le Vice-Premier ministre Jacquemain Shabani de l’Intérieur, Sécurité et Décentralisation.
Bien entendu, rien n’empêche des ajouts au fil d’accès à d’autres informations. Pour preuve, dans sa dépêche du 15 mai 2025, RFI rapporte ceci : « Pour la justice militaire, les infractions retenues contre l’ancien président sont graves. Il est question de participation à un mouvement insurrectionnel – le procureur soutient que Joseph Kabila est à l’origine de la création de l’AFC/M23 – de trahison – en raison de liens qu’il aurait entretenu avec le Rwanda – d’intelligence avec l’ennemi – pour avoir facilité les hostilités contre la RDC – et de participation à des crimes de guerre – massacres, viols et attaques contre des civils ».
Dans sa prise de position, l’activiste Jean-Claude Katende de l’Azadho déclare : « Nous aurions souhaité que toutes ces preuves soient mises à la disposition du public pour que l’on sache ce qu’il se passe dans ce dossier important ».
Refus de l’Etat de s’appliquer la Loi. Sa propre Loi…
Avant et pendant la plénière du Sénat le 15 mai 2025 consacrée à l’affaire Joseph Kabila, toutes les interventions se fondent sur l’article 8 de la loi du 26 juillet 2018 portant statut des anciens présidents de la République élus et fixant les avantages accordés aux anciens chefs des corps constitués.
Cet article dispose que « Pour les actes posés en dehors de l’exercice de ses fonctions, les poursuites contre tout ancien président de la République élu sont soumises au vote à la majorité des deux tiers des membres des deux chambres du Parlement réunies en congrès suivant la procédure prévue par son règlement intérieur ».
Pour n’avoir pas respecté la procédure prévue à cet effet en laissant le Sénat se réunir seul, l’Etat censé savoir pour lui également que « La loi est dure, mais c’est la loi », de même que « Nul n’est censé ignorer la loi » agit comme s’il est en train de ne pas vouloir s’appliquer la loi. La sienne.
C’est un précédent dangereux.
Il est dès lors du devoir de l’Autorité ayant la charge constitutionnelle d’assurer, par son arbitrage, le bon fonctionnement des Institutions (alinéa 3 de l’article 69 de la Loi des Lois), de placer l’État devant ses responsabilités.
A ce stade, on ne peut pas parler d’ingérence dans le fonctionnement de la Justice ; le procès n’ayant pas encore commencé.
Aussi, au lieu de se fourvoyer dans des discussions sentant des manœuvres dilatoires, le Bureau du Sénat aurait dû au cours de sa plénière, toutes affaires cessantes, saisir la Cour constitutionnelle pour obtenir sa lecture de l’article 8 de la loi dont question. A moins qu’il ait été envisagé une autre plénière cette fois de l’Assemblée nationale avant de déboucher sur celle du congrès.
Ce qui est valable pour Joseph Kabila l’est pour sa formation politique, le PPRD, mis à la disposition de la Justice.
Si l’organe de la loi, saisi conformément à la procédure judiciaire, ne s’est pas prononcé dans les délais impartis de 15 jours fixés dans la loi n°04/002 du 15 mars 2004 (article 29), ce n’est pas au Gouvernement de passer à la vitesse supérieure en proposant la radiation de cette formation politique. L’instance judiciaire chargée du dossier porte seul la responsabilité de son « silence ».
Félix Tshisekedi devrait se chercher des contradicteurs privés
C’est l’occasion, ici, pour les agités de la Communication politique de réaliser qu’on n’est pas dans une petite affaire de rue où le sentiment doit absolument l’emporter sur la raison. Peu importe ce qui se dit et se fait autour du justiciable Joseph Kabila : il va falloir retenir qu’en 65 ans d’indépendance, c’est pour la première fois qu’un procès vise un Chef d’Etat, honoraire soit-il !
Aussi, ce procès doit-il être dépouillé de toute passion. Car, c’est l’avenir du pays qui se joue en national certes, mais aussi à l’international. Au pays comme à l’étranger, il en va de la crédibilité de tout un État, de tout un Peuple, de toute une Nation. En plus, c’est un procès qui peut stabiliser tout comme déstabiliser les institutions publiques pour longtemps.
La déduction pourrait choquer : c’est le procès qui détermine le sérieux de l’Udps en particulier, de l’USN en général.
C’est, du reste, pour cette raison que dans la chronique du 23 avril 2025 intitulée « Affaire ‘présence de Kabila à Goma’ : une réunion de haut niveau aurait été utile », nous étions d’avis que « Pour leur première entrée au Gouvernement, Jacquemain Shabani et Constant Mutamba doivent se rappeler qu’ils appartiennent à un corps de métier qui leur exige d’abord le respect du Droit : ils sont des avocats. Avec leur double qualité, ils ne devraient pas trop exposer le Chef de l’État Félix Tshisekedi… ». Et nous rappelions à l’attention du Président de la République la chronique publiée le 16 avril 2024 sous le titre « Félix Tshisekedi devrait se chercher des contradicteurs privés. De préférence ceux qui le connaissent bien et ceux qu’il connaît très bien ».
En attendant, la vérité à laquelle nous devons déjà nous résigner est qu’avec le procès Joseph Kabila, plus rien, mais alors plus rien ne sera comme avant dans ce pays champion du monde en agendas cachés.