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Consolider l’Etat-Nation en Afrique à partir d’une conscience historique, d’une intelligibilité de l’histoire et de la valorisation de l’héritage culturel

Par La Prospérité
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(Par Christian Gambotti, Président du Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Afrique de Demain)

La remise à l’endroit de l’Histoire de l’Afrique

L’Afrique évolue, se transforme, c’est une évidence. Elle a connu une première indépendance dans les années 1960, l’indépendance politique. C’était insuffisant. Elle est en train de bâtir, depuis l’entrée dans le XXIè siècle, une deuxième indépendance, l’indépendance économique. Ce n’est pas encore fait. Pour être elle-même, l’Afrique doit s’attacher à construire une troisième indépendance, l’indépendance culturelle en sortant de l’enfermement que représente une Histoire du continent écrite par d’autres que les Africains eux-mêmes.

Pour l’historien sénégalais, Mamadou Fall : « L’histoire du continent africain est demeurée piégée dans un imaginaire européen ». Comment décoloniser le monde des idées sur l’Afrique et des représentations du continent sans tomber dans le piège des récits qui saturent les réseaux sociaux et qui prétendent qu’il existe, aujourd’hui, un complot postcolonial dont le but est de continuer à asservir l’Afrique ?

Le moyen est l’élaboration d’une pensée africaine qui sort de l’emprise du marxisme, devenue une sorte dereligion ou de pierre philosophale permettant d’expliquer le fonctionnement du monde et la marche de l’Histoire. L’exploitation coloniale a été une réalité. Le projet colonial a longtemps interdit la confrontation des pluralismes explicatifs sur l’Histoire de l’Afrique, imposant aux Africains une marche forcée vers les valeurs de la civilisation occidentale et, en réaction, une soumission à la vision marxiste du monde.

L’Afrique doit-elle choisir entre l’Occident et Marx ? Evidemment, non. L’Afrique doit choisir l’Afrique et, pour cela, elle doit remettre à l’endroit son Histoire depuis les origines.

Sortir l’Histoire générale de l’Afrique de l’imaginaire européen

Dans un entretien accordé au journal «Le Monde», l’historien sénégalais, Mamadou Fall, coordinateur du projet de réécriture du passé du Sénégal, déclare : «L’histoire du continent africain est demeurée piégée dans un imaginaire européen».

Cet imaginaire européen a été façonné par Victor Hugo, pourtant un ardent défenseur des peuples noirs, et Emmanuel Kant, qui, lui, établit une hiérarchie des races défavorable aux Africains. Il n’existe pas un concept kantien de l’Afrique, mais Kant entretient l’idée que « sans les hommes la création tout entière ne serait qu’un simple désert, inutile et sans but final.»
Or, l’homme occidental incarne la civilisation, Selon le philosophe Lukas K. SOSOE, «Kant présente les Africains sous un jour défavorable et surtout inférieurs, comme les autres races d’ailleurs, à la race blanche, considérée comme supérieure. L’infériorité du Noir est due à sa propension à la paresse, son incapacité à s’organiser, à penser. Son état de mineur de la pire espèce le destine à être éduqué à coups de bâton, à devenir esclave ou serviteur.»

Pour Victor Hugo et Emmanuel Kant, l’Afrique reste un concept géopolitique né de la colonisation et non pas un concept renvoyant à une identité culturelle. Si je devais simplifier la pensée dominante en Europe, théorisée par un Victor Hugo qui justifie la colonisation, l’Afrique n’a pas d’Histoire, mais les Occidentaux lui en promettent une, une histoire écrite par le colonisateur pour Victor Hugo, une histoire écrite depuis les valeurs de l’universalisme occidental pour Kant.

Au nom d’une prétendue supériorité de la civilisation occidentale, qui porte le rêve d’une «République universelle», une certaines gauche française, notamment Jules Ferry, n’hésitait pas à hiérarchiser les «races» pour mieux justifier les expéditions coloniales. Ce n’était pas toute la gauche. Georges Clémenceau, en juillet 1885, à la Chambre des députés, répond à Jules Ferry : «Races supérieures ?

Races inférieures, c’est bientôt dit ! Pour ma part, j’en rabats singulièrement depuis que j’ai vu des savants allemands démontrer scientifiquement que la France devait être vaincue dans la guerre franco-allemande, parce que le Français est d’une race inférieure à l’Allemand.

Depuis ce temps, je l’avoue, j’y regarde à deux fois avant de me retourner vers un homme et vers une civilisation, et de prononcer : homme ou civilisation inférieurs. » Avec son livre, paru en 1933, « Un Barbare en Asie », Henri Michaux se projette hors de l’exotisme et des grilles de lecture occidentales pour dire que c’est bien lui, Henri Michaux, l’Occidental blanc, qui est un barbare au milieu de ces civilisation d’Asie, dont il découvre, avec émerveillement, la richesse, la beauté et la complexité.

«Tant que les lions n’auront pas leurs propres historiens»

J’ai souvent cité, dans mes Chroniques, ce proverbe africain : «Tant que les lions n’auront pas leurs propres historiens, les histoires de chasse ne peuvent que chanter la gloire du chasseur.»

Or, l’Histoire de l’Afrique s’est longtemps limitée aux cadres imposés par le colonisateur et le scientifique. Le colonisateur prétend qu’il accomplit dans une Afrique sauvage, fragmentée en tribus et ethnies qui se font une guerre éternelle, une mission civilisatrice et une œuvre de pacification. Le scientifique s’installe dans une démarche d’entomologiste.

Portant un casque colonial et un short, il parcourt la jungle africaine pour étudier les ethnies comme on étudie les insectes ; il en recense les « espèces » sur un territoire donné. N’oublions pas que l’entomologie est une branche de la zoologie.

Au moment de l’exposition universelle de Bruxelles en 1897, sous l’impulsion du roi Léopold II, une « Section coloniale » est organisée à Tervuren : 267 Congolais sont emmenés de force en Belgique et exhibés au public, tels des animaux dans un zoo. Le zoo humain de Tervuren, qui n’est pas un cas isolé, s’inscrit dans une culture occidentale qui nie l’idée qu’il puisse exister, avant la colonisation, une civilisation et une dignité africaines.

Léopold II a-t-il accompli, au Congo, une mission civilisatrice ? L’Allemagne a-t-elle accompli une mission civilisatrice en Namibie ? La France et l’Angleterre ont-elles accompli dans leurs colonies cette mission civilisatrice que décrit Victor Hugo dans son « Discours sur l’Afrique » ? L’Europe est-elle, au moment de la colonisation, « toute la civilisation » et l’Afrique « toute la barbarie » ?

Hugo décrit ainsi l’Afrique : « ce bloc de sable et de cendre, ce monceau inerte et passif qui, depuis six mille ans, fait obstacle à la marche universelle, ce monstrueux Cham qui arrête Sem par son énormité ».

Tous deux fils de Noé, Sem symbolise la prospérité, la marche en avant de l’humanité et Cham, la malédiction. Une théorie, qui naît au XVIIè siècle, fait de la malédiction de Cham, dont les descendants seraient devenus « noirs » l’explication et la justification de l’esclavage. La séparation de l’humanité en races conclut à l’idée qu’il existe des races inférieures, dont l’une serait devenue « noire » du fait de la malédiction qui frappe Cham. La Bible vient au secours des travaux pseudoscientifiques qui nourrissent les théories raciales. Pourtant ardent défenseur des peuples opprimés, totalement engagé dans la lutte contre l’esclavage, Hugo convoque Dieu pour justifier la colonisation : « Allez, Peuples ! emparez-vous de cette terre. Prenez-la. À qui ? à personne. Prenez cette terre à Dieu. Dieu donne la terre aux hommes, Dieu offre l’Afrique à l’Europe. Prenez-la. »

Chez Hugo, au moment où il écrit le « Discours sur l’Afrique », la conscience historique se confond avec la conscience politique. Il dit aux Européens : « Versez votre trop-plein dans cette Afrique, et du même coup résolvez vos questions sociales, changez vos prolétaires en propriétaires. »

Conscience politique et conscience historique

J’établis une différence entre la conscience politique, toujours nécessaire, car tout est politique, et la conscience historique, qui relève des savoirs propres à l’Histoire (ses concepts, ses repères de temps, de durée).  La conscience historique étudie chaque étape de cette Histoire générale et les conditions qui créent l’étape suivante. Le fait colonial, dont les causes sont largement documentées, n’est que l’une des étapes de l’Histoire de l’Afrique.

S’arrêter à cette étape et faire de la lecture de la bibliothèque coloniale l’alpha et l’oméga, c’est-à-dire le commencement et la fin de la compréhension de l’Afrique d’aujourd’hui, c’est accepter une politique du sens qui interdit l’audace de la démarche scientifique et culturelle, alors que seule cette audace permet aux Africains eux-mêmes d’interroger leur propre Histoire, d’en mesurer le génie, mais aussi de comprendre les erreurs du passé.

Pour sortir du prisme déformant du récit colonial, l’Afrique doit se tourner vers ses propres historiens, ses propres chercheurs et ses propres scientifiques, l’objectif étant l’élaboration d’une pensée africaine contemporaine. Seules une conscience historique, une intelligibilité de l’Histoire et la valorisation d’un héritage culturel permettent de se projeter hors de la fragmentation ethnique.

Il existe une modernité africaine qui s’incarne dans l’Etat-nation. Cette modernité ne peut pas se construire sans une compréhension du passé. L’intelligibilité de l’Histoire donne les clefs pour construire un « vivre ensemble » qui fasse sens pour toutes les composantes des sociétés africaines.

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