(Par le Professeur Patience Kabamba)
Beaucoup ont entrepris d’écrire sur la guerre en République démocratique du Congo. L’accord entre le Rwanda et le Congo porté par Washington et l’accord de principe signé à Doha au Qatar entre les rebelles de l’AFC/M23 et le gouvernement congolais sont des évènements récents que nous allons analyser en profondeur. Nous commencerons par annoncer le principe de cette analyse avant de définir l’économie politique comme méthode d’analyse. Le reste du texte décrira succinctement les protagonistes de la guerre de l’est du Congo et leurs attentes en terme de valeur d’échange.
Pour mieux comprendre ce qui se passe au Congo présentement, Je pense qu’il faut être dans l’articulation stratégique du long terme. En effet, c’est le long terme qui travaille à enfanter l’histoire dans le court terme qui produit l’évènement. La guerre à l’est du Congo n’est pas un scénario autonome, elle est surdéterminée par la dialectique historique des forces productives en présence comme notre analyse de l’économie politique va le démontrer.
Par l’économie politique de la guerre il faut comprendre l’ensemble des protagonistes qui y sont de près ou de loin associés. Comme dans les MDW précédents, nous estimons que la guerre au Congo fait partie de la dynamique sociale de la valeur d’échange.
Nous l’avons souvent dit, le profit marchand est devenu l’horizon indépassable de l’activité humaine dans notre contexte sacré du néolibéralisme. La guerre du Congo prendra donc fin lorsque les belligérants, visibles et invisibles, seront capables d’obtenir les mêmes bénéfices économiques en temps de paix. Ce type de “trade off” dépend évidemment des acteurs en présence.
Pour mieux cerner la liste des belligérants dans la guerre de l’est, nous allons faire une distinction analytique entre les protagonistes internes et externes. En réalité, les deux catégories sont imbriquées et dépendent l’une de l’autre. C’est tout simplement à titre analytique que nous les distinguons.
A. Des protagonistes extérieurs
1. Le Rwanda
Le Rwanda de Paul Kagame est devenu l’épicentre qui trouble les pays des Grand Lacs africains. À la faveur de deux génocides dont l’un en 1994 contre la minorité Tutsi et l’autre toujours en 1994 contre la majorité Hutu, le Rwanda parait aujourd’hui sur la scène internationale comme le larbin de l’ordre marchand du monde dont il reçoit beaucoup d’aides et de supports budgétaires pour sa balance de paiement.
Le Rwanda a fait mains basses sur les ressources du Congo et les revend dans le monde entier, chez les Arabes et les Occidentaux. En retour, ceux-ci construisent le pays de mille colline qui est par ailleurs connu pour la manipulation des chiffres de croissance. Le Rwanda était suffisamment intelligent pour commencer à contribuer des casques Bleus aux Nations Unies afin que cette organisation internationale puisse lui être favorable.
Le génocide de Hutu n’est pas reconnu, les crimes du FPR (Front Patriotique Rwandais) ne sont pas punis. Suite à sa contribution de troupes de soldats de la paix de l’ONU au Soudan, en République Centrafricaine et au Mozambique, le Rwanda bénéficie de la faveur du « silence » sur ses invasions répétées dans l’est du Congo ou il entretient l’insécurité afin de “voler” les minerais de son grand voisin. Le Rwanda est un pays “contrebandier” à la poursuite d’une nébuleuse FDLR.
La Force Démocratique pour la Libération du Rwanda (FDLR) est un groupe de Hutu Rwandais accusés d’avoir pris part au génocide de 1994, bien que la grande majorité d’entre eux n’avait pas plus de 10 ans. En fait, le groupe FDLR fait plus de mal aux Congo qu’au Rwanda. Les rapports confidentiels d’experts des Nations Unies ont montré que la grande majorité de FDLR est retournée au Rwanda.
Cependant, Kigali a besoin du prétexte de la présence de FDLR menaçant d’envahir le Rwanda pour poursuivre sa contrebande à l’est du Congo. Sur le plan politique, le président Kagame est le dernier tueur en série encore au pouvoir. (cfr. In Praise of Blood de Judi Rever).
La question capitale est de savoir comment le Rwanda peut-il faire les mêmes bénéfices sans déstructurer l’est du Congo dont il contrôle les richesses ?
2. L’Ouganda
L’Ouganda de Museveni joue un rôle très ambigu dans la guerre de l’Est du Congo. Il est tantôt avec le gouvernement congolais, tantôt avec le Rwanda de Kagame. L’armée ougandaise est pour l’instant à Mahagi où elle contrôle les entrées et sorties de l’aérodrome comme une armée d’occupation. C’est un flou artistique que Kampala entretient par rapport à ses relations avec la RDC. L’Ouganda est à la fois avec le Congo et avec les ennemis internes et externes du gouvernement congolais, à savoir le Rwanda et l’AFC/M23.
L’Ouganda est une variable très compliquée dans l’équation congolaise, elle est à la foi une variable numérique et complexe.
3. Les USA
Les Etats Unis d’Amérique ont forcé le Rwanda et le Congo à signer un accord de paix qui reprend en fait le “trade off” dont nous avons parlé au début. Le Rwanda pourra continuer à exploiter les minerais du Congo sur lesquelles il a fait mains basses, mais en collaboration avec la RDC. Ainsi, le Rwanda pourra continuer d’engranger les mêmes bénéfices. Ainsi, cette fois-ci, cela se fera dans la paix. De plus, le Rwanda et la RDC auront un client attitré, l’Amérique de Donald Trump.
Les USA offrent un plan de paix entre les deux pays en se positionnant comme le premier acheteur des minerais du Congo exportés par le Rwanda en association avec le Congo. La paix américaine dans les Grands Lacs conforte la mainmise du Rwanda sur les minerais du Congo et demande aux Congolais de s’associer pour recevoir une partie de bénéfices. Les Etats Unis répondent à une situation de fait et obligent le Congo à se soumettre pour le bénéfice de la paix ; une paix qui lui coute de céder ses richesses au pays voisin. Les USA se comportent au Congo comme en dealer qui offre la paix en échange de minerais. C’est une vieille proposition d’Herman Coen, (l’ex-Monsieur Afrique du Département d’Etat), reprise quelques années plus tard par l’ex-président français, Nicolas Sarkozy.
B. Les protagonistes à l’intérieur du Congo
A. L’AFC/M23
Ce mouvement rebelle est une coalition de l’Association Fleuve Congo dirigée par monsieur Corneille Naanga, l’ancien président de la CENI et du mouvement du 23 Mars (M23) sous la direction du général Makenga. Les revendications de l’AFC/M23 surfent sur l’intégration de ses éléments dans l’armée nationale congolaise et sur l’exigence de reconnaitre leur nationalité congolaise. Ils sont, depuis deux ans, responsables des déplacements de milliers de Congolais de leurs terres.
Ce mouvement rebelle facilite la mainmise du Rwanda sur les ressources congolaises. Refusant les allures autocratiques du gouvernement de Kinshasa, l’AFC/M23 a pris les armes contre le gouvernement congolais tout en servant de relais pour le Rwanda qui exploite les ressources du Congo. Les pourparlers de Doha, au Qatar tentent d’aplanir les différends entre l’AFC/M23 et le gouvernement Congolais.
Ces accords doivent remplir deux taches : à la fois l’arrêt de la dictature et le respect strict de la constitution par le régime de Kinshasa d’une part, et désolidariser l’AFC/M23 du Rwanda qui les instrumentalise, d’autre part. Il n’est pas sûr que cela soit accompli d’ici la fin du mandat du gouvernement actuel en 2028. La division du pays profite bien au Rwanda en plus du fait qu’elle consacre une certaine balkanisation administrative du pays.
B. Le Gouvernement Congolais
Face à ses adversaires extérieurs comme le Rwanda et intérieurs, notamment le AFC/M23 dont nous allons parler, le gouvernement congolais se trouve désemparé. Il a perdu plusieurs villes de l’Est du pays dont Bunagana, à la frontière ougandaise pendant plus de deux ans et plus récemment les villes emblématiques de Goma et de Bukavu.
La faiblesse du gouvernement congolais n’est donc plus à démontrer : l’armée en débandade, les finances publiques dilapidées, et les postes politiques tribalisés. L’impunité a élu domicile dans le pays car punir les détourneurs des deniers publics impliquerait de mettre en prison certains amis ou membres de la famille régnante.
Pour avoir une idée sur l’ampleur des détournements on peut consulter le tableau ci-après :
