(Par Patience Kabamba)
Le Protestantisme du seizième siècle avait mis l’accent sur l’importance de la connaissance des Écritures, afin que le fidèle puisse consulter directement la Bible sans passer par une quelconque hiérarchie. Cela a entraîné diverses appellations du protestantisme, chaque branche interprétant les Saintes Écritures à sa façon et privilégiant certains passages bibliques plus que d’autres. Cette méthode a parfois suscité des controverses, à l’image de Jean Calvin qui, lors de la création de la bourse de Genève, prétendait s’identifier au Christ chassant les marchands du Temple. Selon Max Weber, l’essor du protestantisme a non seulement favorisé l’esprit capitaliste, mais il a également conduit à une élévation du niveau d’éducation. Des pays tels que le Danemark, l’Allemagne, l’Angleterre et les États-Unis d’Amérique en ont profité. Ces nations ont acquis une force remarquable grâce à la robustesse de leurs systèmes éducatifs. Selon Emmanuel Todd (2024), la dégradation actuelle de l’Amérique ou de l’Occident dans son ensemble est attribuée à la baisse du niveau d’éducation.
Une jeunesse correctement éduquée est la plus grande assurance pour un avenir prometteur au Congo. Au contraire, je constate que notre système éducatif actuel compromet l’avenir de nos jeunes. Le système LMD, considéré comme une fausse solution, contribue au « futuricide » dans lequel nous sommes plongés en annihilant les intelligences de nos jeunes écoliers, élèves et étudiants. Nous allons suggérer une voie pour le genre de réforme éducative nécessaire à notre pays.
L’ancien ministre de l’ESU a introduit le système LMD à la va-vite il y a deux ans, et tout le monde s’est conformé à cette directive. Il est courant que les secrétaires académiques de différentes universités affirment que les professeurs persistent à dispenser leurs cours comme dans l’ancien système. On persiste à évoquer des cours plutôt que des modules. Pour un grand nombre d’enseignants, les séances de tutorat et les travaux dirigés semblent dépourvus de sens. En d’autres termes, même le jargon du LMD échappe à la compréhension des enseignants.
Les professeurs ont subi des directives émanant de l’autorité supérieure auxquelles ils n’ont participé en aucune manière. Ils perçoivent le LMD comme une sur-prescription en ce qui concerne l’objectif (l’employabilité des étudiants) et une sous-prescription en termes de ressources pour atteindre cet objectif. Le LMD congolais évoque l’idée de « novlangue » d’Orwell et sert d’instruction assez floue pour autoriser les universités congolaises à contraindre les enseignants à obéir aux directives supérieures dans des contextes stressants. Le modèle LMD expose les enseignants congolais à des conditions de travail inconfortables et favorise leur tendance à devenir des prolétaires, pour utiliser un vocabulaire marxien.
Pour que le métier de professeur d’université, riche en valeurs solides et profondément ancré, puisse être submergé, il est indispensable de le perturber d’abord par des rémunérations dérisoires. En 2017, un universitaire au Congo percevait l’équivalent de 2 000 dollars par mois, mais aujourd’hui, il ne peut survivre qu’avec 1 000 dollars car son revenu n’est pas ajusté en fonction de l’inflation. Ainsi, la dévaluation de la monnaie congolaise conduira à une diminution du pouvoir d’achat. Une revalorisation salariale est une élévation du niveau associé à un indice donné. Étant donné l’inflation notable en République démocratique du Congo, on devrait s’attendre à une hausse annuelle de cet indice. L’enseignement universitaire, qui était autrefois un métier prestigieux sur le plan intellectuel et social, est désormais éclipsé par une foule grandissante d’enseignants affichant parfois des conduites immorales ; cette profession s’est transformée en une occupation de « classe moyenne ». L’un des principaux moyens d’établir une hiérarchie parmi les employés est la différence de rémunération. Alors que les parlementaires perçoivent un revenu mensuel de 21 000 dollars, les enseignants universitaires qui les ont formés touchent moins de 1500 dollars par mois. Au Congo, le rôle de professeur d’université s’est détérioré avec le temps, rendant les enseignants plus exposés et favorisant la docilité et conformité constatée dans l’application des systèmes LMD. Comme indiqué précédemment, la dégradation du pouvoir d’achat des enseignants n’est qu’un élément de la prolétarisation de cette profession.
Le système LMD a été imposé aux enseignants sans prendre en compte leur opinion. Alors que les fondateurs du processus de Bologne ne sont pas véritablement familiarisés avec le contexte éducatif et les conditions en République Démocratique du Congo, les enseignants sont tenus de mettre en pratique leurs méthodes.
Au milieu du tumulte des récentes directives concernant le système LMD, les enseignants universitaires ont à leur disposition une boussole historique pour les guider dans la priorisation de leurs tâches. Sous l’angle de cette boussole historique, le système LMD est tout bonnement un échec. Il a engendré une incertitude artistique qui a suscité un certain degré d’anxiété chez quelques professeurs. Le système LMD instauré dans nos universités découle directement des politiques néolibérales européennes qui visent à uniformiser les apprentissages pour standardiser les buts d’employabilité. Cela permet de former les enseignants pour qu’ils puissent se conformer à des critères de qualité définis en dehors des standards professionnels qu’ils ont toujours connus et appliqués. L’application de la pratique pédagogique dans une perspective de gestion pour améliorer l’employabilité n’incombe plus à ceux qui effectuent les tâches, mais plutôt à ceux qui en assurent l’organisation. La réforme LMD entraîne constamment l’apparition de nouvelles normes de travail, de nouveaux modèles et de nouvelles façons d’appréhender le métier pour les enseignants. Une méthode efficace pour les transformer en prolétaires et leur permettre de contribuer à la prolétarisation de leurs étudiants.
Pour réussir une réforme, il est essentiel de se baser sur les expériences concrètes des enseignants et de collecter les « bonnes pratiques » qui découlent de leur travail quotidien. Nous requérons des dispositifs de réforme qui intègrent complètement les professeurs dans les initiatives pédagogiques. Avec la mise en place du dispositif LMD, l’objectif de la formation des professeurs n’est plus de les préparer à faire face aux réalités du milieu scolaire, mais s’oriente davantage vers des buts néolibéraux basés sur les principes essentiels du processus de Bologne. Le but est d’effectuer des modifications importantes dans la culture du travail. Cette séparation entre culture du travail et conformité aux réglementations externes se reflète dans des formations qui privilégient le professionnalisme au détriment de la professionnalité.
Une bonne réforme doit inclure des compétences associées à l’expérience des enseignants dans l’exécution de leurs tâches quotidiennes, c’est-à-dire de leur métier. Les systèmes LMD met en place des instruments innovants destinés à bouleverser les groupes professionnels, instituer de nouvelles échelles hiérarchiques et valider les spécialistes du LMD qui ne sont pas forcément reconnus par ceux travaillant quotidiennement dans les salles de classe. Encore une imitation servile de l’ancien maitre par ses esclaves consentants que nous sommes devenus.
Enfin reposons-nous la question fondamentale : à quoi doit former l’école ?