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Les nouvelles puissances à l’assaut du continent : Les pétrodollars émiratis font-ils vraiment l’affaire de l’Afrique ?

Par La Prospérité
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Logistique, énergie, minerais… Les Émirats arabes unis se sont imposés comme l’un des premiers investisseurs étrangers en Afrique, derrière l’Union européenne et la Chine. Au risque d’être parfois accusés de pratiques néocoloniales.

Ousmane Sonko espère que ce voyage de près d’une semaine aux Émirats arabes unis (EAU) fera la différence. Le 7 septembre, le Premier ministre sénégalais atterrit sur le tarmac de l’aéroport international Zayed d’Abu Dhabi. Hommes en armes, drapeaux hissés, il est accueilli par les autorités avec tous les honneurs. Accompagné d’Abdourahamane Sarr, son ministre de l’Économie, et de Cheikh Diba, son ministre des Finances et du Budget, Ousmane Sonko a prévu de rencontrer des responsables politiques mais aussi des dizaines d’investisseurs.

Depuis la mise au jour de la « dette cachée », l’économie tourne au ralenti et les deux hommes sont venus vendre la destination Sénégal ainsi que les opportunités offertes par le Pays de la Téranga, notamment dans les secteurs touristiques, minier et des hydrocarbures. Au cours de cette visite d’État, un avenant au contrat entre le Port autonome de Dakar et Dubaï Port World (DP World) a notamment été signé. Car depuis 2007, c’est le géant émirati de la logistique qui gère les infrastructures portuaires de la capitale sénégalaise.

En 2022, DP World a approfondi son emprise et commencé la construction du port de Ndayane, bientôt capable d’accueillir les plus grands navires de commerce, pour un montant chiffré à 1,13 milliard de dollars. Ce projet – le plus gros investissement privé jamais réalisé dans le pays – doit permettre de démultiplier la capacité logistique du Sénégal. Ce partenariat privilégié se retrouve dans le dynamisme des relations commerciales entre les deux pays : selon l’Agence nationale de statistique et de démographie du Sénégal, les importations sénégalaises en provenance des Émirats ont bondi de 174 millions de dollars en 2019 à 668,5 millions de dollars en 2023, principalement constituées d’hydrocarbures raffinés, d’équipements et de machines.

Préparer l’après pétrole

Le Sénégal n’est pas un cas isolé. De l’Afrique du Sud à l’Algérie en passant par l’Angola et la RDC, DP World est souvent en première ligne de cet assaut émirati avec pour ambition de faire du port de Jebel Ali un hub incontournable pour le commerce entre l’Afrique et l’Asie. DP World et Abu Dhabi Ports gèrent pas moins de douze infrastructures portuaires du continent. « Dans le cadre de la diversification de leurs économies au-delà du pétrole et du gaz, les États du Conseil de coopération du Golfe (Arabie saoudite, Émirats arabes unis, Oman, Koweït, Qatar et Bahreïn) ont stratégiquement intégré les marchés africains dans leurs modèles économiques, détaille une note de recherche d’Afreximbank publiée en décembre 2024. Cette évolution se traduit par des volumes d’échanges bilatéraux dépassant 121 milliards de dollars, avec des investissements directs étrangers (IDE) s’élevant à plus de 100 milliards de dollars entre 2012 et 2022.

Les Émirats sont, de loin, en tête de ces investisseurs venus du Golfe et la tendance s’accélère. Rien qu’en février 2024, les EAU ont annoncé un investissement de 35 milliards de dollars en Égypte, soit un tiers du total des IDE reçus par l’Afrique sur l’ensemble de l’année. En contrepartie, Abu Dhabi a obtenu les droits de développement de la péninsule de Ras al-Hikma, sur la côte méditerranéenne.

«Ce n’est pas de la philanthropie, ce sont toujours des investissements avisés, prudents et à fort potentiel. Ils préparent l’après pétrole et investissent en Afrique comme ils le font ailleurs dans le monde», explique Papa Amadou Sarr, aujourd’hui directeur général de Porteo mais qui vient de quitter l’AFD et dont la mission était notamment de mobiliser des fonds dans les pays du Golfe. « Ils présentent un avantage aux yeux de beaucoup de pays : leurs prêts et leurs investissements ne comportent pas de conditionnalités liées à la protection de l’environnement, des droits sociaux ou au respect des droits de l’homme », ajoute un expert africain du développement qui préfère conserver l’anonymat.

Hub mondial pour le traitement des minerais

Avec des réserves prouvées de pétrole estimées à environ 100 milliards de barils, soit 5,6 % du total mondial, les Émirats arabes unis regorgent d’or noir. Le prix du brut ayant augmenté depuis le début de la pandémie de Covid-19 – passant d’environ 22 dollars le baril en avril 2020 à près de 70 dollars en moyenne en 2025 mais avec un pic à 120 dollars en 2022 –, les recettes servant à financer les ambitions émiraties semblent ne pas avoir de limite.

En juin 2025, la société International Resources Holding (IRH), contrôlée par le frère du président des EAU, Mohammed Ben Zayed (MBZ) a annoncé l’acquisition, pour 366 millions de dollars, d’une participation majoritaire dans la société minière Alphamin Resources. Cette transaction permet à IRH d’accéder au complexe minier de Bisie en RDC, l’un des gisements d’étain les plus importants et les plus riches au monde, qui représente 6 % de l’offre mondiale. C’est également IRH qui a acquis, en 2024, 51% de la mine de Mopani en Zambie, pour 1,1 milliard de dollars.

En 2023, la Société aurifère du Kivu et du Maniema (Sakima), une entreprise parapublique congolaise et l’entreprise émiratie Primera Mining Limited avait signé un accord qualifié de contrat du siècle. D’un montant de plus d’1,9 milliard de dollars, il vise l’installation de « plus de quatre mines industrielles » pour « connecter les provinces du Sud-Kivu et du Maniema ». En ligne de mire, l’or et les 3T : étain, tantale, tungstène. « L’objectif est de devenir un hub mondial pour le traitement des minerais, ils investissent donc dans toute la chaîne de valeurs », explique Torbjorn Soltvedt, directeur associé de Maplecroft, société internationale de conseil en stratégie et risque. Au Maroc, les Émirats se sont également hissés en tête des investisseurs au titre de l’année 2024, avec une part de 18,9 % du flux net total des investissements directs étrangers (IDE), selon l’Office des changes.

Risque de surendettement

Du nord au sud, d’ouest en est, les pétrodollars émiratis se déversent donc sur le continent. Mais ces investissements bénéficient-ils vraiment à l’Afrique ? « Oui », répond Afreximbank dans sa note de décembre 2024. Selon l’institution de financement du commerce, ces partenariats offrent des « opportunités importantes, notamment une augmentation des investissements, une amélioration de l’agriculture, la création d’emplois et le développement des infrastructures, renforçant ainsi la résilience économique de l’Afrique ». Afreximbank prévient cependant « des risques budgétaires pourraient apparaître si les retours sur les prêts concessionnels ne se concrétisent pas ».

La Chine a été le fer de lance du développement des infrastructures sur le continent pendant plus d’une décennie, mais elle a aussi conduit de nombreux pays africains sur la voie du surendettement, notamment en Angola, en Zambie, en Éthiopie ou au Ghana. « Contrairement à ce qu’a pu faire la Chine, ils ne font pas de prêts lorsque les pays présentent un risque, ils sont beaucoup plus prudents », explique notre expert précité.

« Exacerber les tensions locales »

«Il faut que les pays africains soient suffisamment armés pour négocier des partenariats gagnant-gagnant, estime Papa Amadou Sarr. Lorsque les investissements sont majoritairement dirigés vers l’exploitation de ressources ou vers les exportations, sans transformation locale, les pays restent dans une position de fournisseurs de matières premières».

Un aspect plus sombre de l’implication émiratie en Afrique a été mis en lumière par Swissaid. Selon une étude de l’ONG publiée en 2024, les EAU ont importé 2 569 tonnes d’or africain entre 2012 et 2022 qui n’ont pas été déclarées à l’exportation. Cela équivaut à un total de plus de 115,3 milliards de dollars qui se sont envolés du continent illégalement. Et les Émirats ne se cantonnent pas à faire du business en Afrique. «Ils ont une présence militaire et vont parfois jusqu’à exacerber les tensions locales», explique Jean-Loup Samaan, chercheur à l’université de Singapour.

Les Émirats ont ainsi joué un rôle décisif dans lors des « printemps arabes », en particulier en Égypte, en Libye, en Tunisie et au Yémen. Leur soutien au gouvernement éthiopien a pesé sur l’issue de la guerre du Tigré et leur rôle dans la Corne de l’Afrique est particulièrement documenté. Enfin, Abu Dhabi est profondément impliqué dans la guerre en cours au Soudan, soutenant la milice des Forces de soutien rapide (RSF). « Cette milice est accusée de crimes de guerre qui pourraient s’apparenter à un génocide. En fournissant armes et soutien, les EAU sont donc en partie responsables », détaille Jean-Loup Saaman.

Pourtant, le petit pays du Golfe persique continue de gagner en influence. Les 7 et 8 novembre prochains, le gouvernement tchadien présentera son Plan national de développement à Abu Dhabi. Le Tchad espère faire financer une partie de 30 milliards de dollars nécessaire à la réalisation du «Tchad connexion 2030» par les pays du Golfe. «Il y a encore quelques années, N’Djamena aurait choisi d’organiser cet évènement à Paris, c’est le révélateur que le centre de gravité du continent est en train de se déplacer vers l’Orient», estime notre expert. Quitte à remplacer un néocolonialisme par un autre ?

De Jeune-Afrique

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