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Page d’histoire : il était une fois Etienne Tshisekedi et Thomas Luhaka

Par La Prospérité
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L’opposition politique envisage de faire une déclaration commune

En janvier 2011, l’opposition politique congolaise décide de faire une déclaration commune pour dénoncer le projet du pouvoir de l’époque. Ce projet consistait à ramener l’élection présidentielle de deux tours à un tour. Le MLC, notre parti politique de l’époque, l’UDPS, l’UNC de Vital Kamerhe, l’Ecidé de MartinFayulu, le RCD d’Azarias Ruberwa, le RCD-N de Roger Lumbala, le MPCR de Jean-Claude Nvuemba et d’autres partis politiques de l’opposition s’étaient mis d’accord sur le contenu de la déclaration. Il restait juste un détail à régler : le lieu où sera lue la déclaration. Le MLC avait proposé que cela se fasse dans la concession GB, située entre les communes de Kintambo et de la Gombe, sur l’avenue de l’OUA. Deux jours avant la date prévue pour la déclaration, nous apprenons que le Vieux Etienne Tshisekedi ne veut pas se rendre à GB. Il nous demande plutôt d’aller chez lui, dans sa résidence de Limete, pour faire cette déclaration conjointe.

Le MLC, premier parti politique de l’opposition institutionnelle

François Muamba Tshishimbi, le secrétaire général du MLC, considère qu’il n’est pas opportun, pour l’image de notre parti le MLC, qu’on aille faire cette déclaration à la résidence du vieux Tshisekedi. Pour rappel, en 2011, le MLC est le premier parti politique de l’opposition avec 64 députés nationaux, plusieurs sénateurs et députés provinciaux et un gouverneur de province (Equateur). L’UDPS, ayant boycotté les élections de 2006-2007, n’avait aucun élu.

François Muamba m’envoie rencontrer Etienne Tshisekedi

L’honorable François Muamba va alors me demander d’aller voir le président Etienne Tshisekedi pour lui faire part de notre position et échanger avec lui pour trouver un compromis sur le lieu de la manifestation. A l’époque, je suis l’adjoint de François Muamba au MLC, occupant le poste de secrétaire général adjoint, et député national, élu de Kinshasa.

J’avais fait la connaissance de François Muamba en 2000 dans des circonstances tragiques à Beni. Je pourrais raconter cet épisode où, arrêté par l’armée ougandaise, il avait frôlé la mort. Depuis lors, on a appris à se connaitre et à s’apprécier. Et c’est l’un des cadres du MLC avec qui j’ai longtemps travaillé et que je respecte beaucoup, malgré le fait que nos chemins se soient séparés depuis 2011.

Bénéficiant de sa confiance, je suis donc chargé d’aller rencontrer le sphinx de Limeté. Lui-même ne pouvant pas s’y rendre parce qu’à l’époque, il avait un petit contentieux politico-familial avec le vieux Tshisekedi.

Roger Lumbala me brosse le portrait psychologique d’Etienne Tshisekedi

N’ayant jamais fréquenté Etienne Tshisekedi, je me fais accompagner par Roger Lumbala, recommandé par François Muamba, qui me sert de guide. Je suis très à l’aise avec ce dernier parce que c’est un ami et un camarade de longue date.

En cours de route pour Limete, Roger Lumbala va me brosser le portrait psychologique d’Etienne Tshisekedi afin de m’éviter de commettre un impair pendant l’entretien. Voici exactement ce que me dit mon ami Lumbala, en lingala, mais que je traduis :

« Thoms, tu sais lorsqu’on était petits et qu’on jouait au foot dans le quartier. Il arrivait que le ballon passe au-dessus d’une clôture et entre dans la parcelle d’un papa du quartier qui confisquait le ballon. On n’osait pas aller lui réclamer notre ballon. Etienne Tshisekedi est ce genre de papa. Très rigoureux sur les principes. Choisis bien tes mots quand tu t’adresseras à lui ».

J’ai remercié mon ami Lumbala qui me parlait tout en conduisant sa jeep. Mon véhicule nous suivait derrière avec nos gardes.

La rivalité entre le MLC et l’UDPS

Arrivés à la résidence du vieux Etienne Tshisekedi, je vois la surprise dans les regards de quelques militants de l’UDPS qui trainaient devant la parcelle de leur président. Ils sont surpris de voir un haut cadre du MLC débarquer chez le sphinx. Il faut dire aussi qu’il y a eu des moments où les relations entre nos deux partis, le MLC et l’UDPS, étaient très tendues. Par exemple, je me souviens de l’épisode où Etienne Tshisekedi appelait la population à sortir dans la rue le 30 juin 2005 pour mettre fin à la Transition politique. Et Jean-Pierre Bemba, président du MLC et vice-président de la République, va lui rétorquer en disant que quiconque osera sortir dans la rue pour stopper la transition le trouvera sur son chemin. A cause de cette déclaration d’Igwe (surnom de Jean-Pierre Bemba à l’époque), les militants de l’UDPS nous avaient traités de tous les noms d’oiseaux.

Dans le bureau d’Etienne Tshisekedi

A Limete, on est bien reçus et conduits directement dans le bureau du Président Etienne Tshisekedi. C’est un petit bureau encombré de documents et de portraits du sphinx. Notre hôte nous propose, à Lumbala et à moi, les deux chaises visiteurs qui sont en face de lui. Il y a deux autres cadres de l’UDPS qui sont conviés à l’entretien. Je ne me souviens plus de leurs noms. En tout cas, les deux visages ne m’étaient pas familiers.

Le président Etienne Tshisekedi nous fait part de sa position

Après nous être présentés, le président Etienne Tshisekedi prend la parole pour nous dire ceci : « On me dit que tout le monde me soutient, tout le monde est derrière moi ! Mais quand je demande aux gens de venir chez moi pour faire la déclaration commune de l’opposition, il y a des réticences. Je ne comprends pas. Alors que j’ai une grande paillotte ici qui peut recevoir une centaine de personnes. On me propose d’aller à GB. GB fait partie du patrimoine de la famille Bemba ; je ne peux pas mettre mes pieds là-bas. »

A mon tour, j’explique au président Etienne Tshisekedi la position du MLC.

C’est alors que j’ai pris la parole pour réagir. De mémoire, voici mes propos de ce jour-là. :

« Monsieur le Président, la première des choses que je voudrais vous dire c’est l’émotion que je ressens en ce moment-même. Pour moi, c’est un honneur et un grand privilège de me tenir aujourd’hui devant vous, l’icône de la politique congolaise. C’est une page que je raconterai dans mes mémoires. Merci beaucoup. Mais au-delà de mes sentiments personnels d’admiration envers votre auguste personne, voici le problème politique qui se pose à nous, cadres du MLC. Vous monsieur le président, étant l’incarnation de la lutte politique au Congo, vous êtes au-dessus des partis politiques. Partout où vous nous inviterez à assister à une activité politique, nous répondrons présents.

Mais voici notre problème. Dans la course au pouvoir, l’UDPS est un parti politique concurrent du MLC. Lors des prochaines élections, prévues cette année 2011, nous ne savons pas encore si nous serons des alliés ou des adversaires. Dans l’opinion publique, votre résidence apparait comme le siège de l’UDPS. Le fait pour nous les cadres du MLC de venir participer à une activité politique ici à Limete pourrait apparaître à beaucoup comme un acte d’allégeance du MLC à l’UDPS. Et cela va désorienter nos militants et sympathisants.

Voilà pourquoi mon parti le MLC, m’envoie recourir à votre sagesse et à votre grande expérience politique pour trouver une solution acceptable par tous. Puisque, d’un côté, vous ne pouvez pas vous rendre à GB et, de l’autre côté, nous ne pouvons pas venir à Limete. »

A ce moment précis, Roger Lumbala, qui était assis juste en face de moi, me piétine pour me faire comprendre que je ne devais plus rien ajouter; parce que, pour lui, j’avais coincé le vieux avec mon raisonnement. En effet, après m’avoir écouté, le vieux Tshisekedi lève la tête au plafond, les yeux fermés. Il reste silencieux pendant environ une minute. Et puis, il me regarde en disant : il nous faut donc trouver un lieu neutre alors ! J’acquiesce en disant : « oui monsieur le président ! »

Entre le Grand-Hôtel de Kinshasa et la Place Sainte-Thérèse, le président Tshisekedi tranche

Je vais alors proposer comme nouveau lieu de la manifestation le Grand Hôtel de Kinshasa. En réaction à ma proposition, l’un des cadres de l’UDPS qui était là, le plus jeune, prend la parole pour dire que le Grand Hôtel est un endroit réservé aux bourgeois ; que l’UDPS est un parti du peuple. Et qu’il serait mieux indiqué qu’on aille faire la manifestation à la Place Sainte-Thérèse à Ndjili, un quartier populaire. J’ai repris la parole pour dire à ce cadre, qui me semblait venir de la diaspora, que le jour où l’UDPS organisera ses manifestations seule, ils auront le loisir d’amener le président de l’UDPS, Etienne Tshisekedi, là où ils voudront. Mais pour le moment, pour nous le MLC, Etienne Tshisekedi est le leader incontesté de toute l’opposition et probablement le prochain président de la République. Voilà pourquoi nous l’invitons dans un lieu où sa sécurité et son confort seront garantis. (Je tiens à préciser ici qu’en ce moment-là, Jean-Pierre Bemba, le président du MLC, est en prison aux Pays-Bas depuis 2008; donc indisponible sur la scène politique congolaise).

Après ce bref échange entre le cadre de l’UDPS et moi, le président Etienne Tshisekedi reprend la parole pour clore le débat en disant tout simplement : «Luhaka a raison ; on ira au Grand-Hôtel». Ainsi s’achève cette rencontre avec Etienne Tshisekedi wa Mulumba.

La coupure d’électricité le jour de la manifestation

Roger Lumbala me ramène dans son véhicule jusqu’à la résidence de François Muamba. Je fais le rapport détaillé de l’entretien à mon chef. Il me félicite. Ensuite, il donne des instructions pour la réservation du Salon Congo du Grand-Hôtel et d’autres dispositions pratiques.

Le jour j, c’est-à-dire le 9 janvier 2011, nous nous retrouvons dans la grande salle de l’Hôtel qui déborde de cadres et militants du MLC, de l’UDPS, de l’UNC et d’autres partis de l’opposition. Le président Etienne Tshisekedi arrive en dernier. Nous l’installons à la place d’honneur. Et juste au moment où le chargé du protocole prend le micro et commence à annoncer le programme de la manifestation, l’électricité saute. Mais nous ne sommes pas inquiets, parce que nous savons que le Grand-Hôtel dispose de groupes électrogènes puissants et qu’ils vont les allumer tout de suite. Après cinq minutes d’attente, les groupes ne sont pas toujours allumés. Là, on se dit qu’il y a un problème. Interrogés, les responsables de l’Hôtel nous disent qu’ils ont quelques soucis avec leurs groupes. Mais nous allons vite apprendre la vérité de manière officieuse : c’est un agent de l’ANR (le service de renseignement) qui aurait donné l’ordre de saboter la manifestation en coupant le courant. Initiative personnelle d’un agent trop zélé ou instruction venue de sa hiérarchie ? Je ne l’ai jamais su. Nous allons alors évacuer la salle. Et c’est à la porte extérieure que le président Etienne Tshisekedi, débout et en colère, va livrer la substance de la déclaration de l’opposition à la presse. Après, il va être ramené chez lui à Limete.

Les surprises de l’histoire

Mais, à cette époque, personne parmi nous ne pouvait imaginer la tournure inattendue que prendraient les évènements politiques dans la décennie à venir (2011-2020) dans notre chère RDC. Citons quelques-uns de ces événements. 1. A l’élection présidentielle de 2011, le MLC, n’ayant pas de candidat, est très embarrassé pour choisir l’un des trois candidats de l’opposition qui affrontent le président de la République sortant, Joseph Kabila Kabange. A la dernière minute, Jean-Pierre Bemba, dans une déclaration que je lis, propose aux congolais de choisir entre Etienne Tshisekedi, Vital Kamerhe et Léon Kengo wa Dondo. 2. Le 6 mai 2012, un groupe d’officiers des FARDC créent un mouvement politico-militaire dénommé M23 et entre en rébellion contre le gouvernement du président Joseph Kabila. 3. Par ordonnance du 26 juin 2013, le président Kabila convoque les Concertations nationales. Le MLC répond favorablement, l’UDPS et l’UNC déclinent l’offre du dialogue. 4. Fin octobre 2013, le président Kabila et les FARDC lancent une offensive générale contre les positions du M23. Reconnaissant sa défaite, le M23 déclare mettre un terme à sa rébellion le 5 novembre 2013. Les troupes du M23 sont désarmées et envoyées dans des camps en Ouganda.

Nous reviendrons en détails sur ces événements et bien d’autres encore qui ont amené à l’alternance pacifique de janvier 2019.

Ceci confirme bien ma philosophie de vie : Yika mpiko, lobi eza ya Nzambe (Reste déterminé, demain appartient à Dieu) !

A suivre !

Thomas LUHAKA LOSENDJOLA

Président honoraire de l’assemblée nationale

Ancien vice-premier ministre

Avocat au barreau de Kinshasa-Gombe

Chercheur indépendant

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