(Par Christian Gambotti)
Autrefois marginalisée, l’Afrique subsaharienne est, aujourd’hui, courtisée par la planète entière pour deux raisons : 1) les richesses naturelles dont elle regorge, que ce soit dans son sous-sol (énergies fossiles, minerais, métaux rares) ou sur son sol (matières premières agricoles brutes) 2) son poids géopolitique et géostratégique (les 54 Etats souverains suscitent un réel intérêt stratégique). Le réveil politique de l’Afrique et son dynamisme économique sont, désormais, des réalités palpables. Le débat sur l’Afrique tourne alors au tour de quatre questions : l’Afrique peut-elle se soustraire à l’emprise des anciennes puissances coloniales ? Peut-elle éviter d’être la proie des pays émergents comme la Chine ou l’Inde? Quelle sera sa place sur l’échiquier des luttes d’influence entre le Nord et le Sud ? Peut-elle diversifier son économie et sortir des rentes minière et agricole ? Une question surplombe toutes ces interrogations: quel est le véritable impact de la formidable croissance démographique africaine sur le développement du continent?
La démographie : le défi majeur
C’est une évidence : l’Afrique évolue, se transforme et elle s’installe sur le chemin de l’émergence. L’Occident, de plus en plus déstabilisé par une mondialisation qui lui échappe, construit un récit qui prétend que nous sommes entrés dans un « siècle africain », après avoir dit, dans les années 1990, que nous étions dans un « siècle asiatique ». Le XXIè siècle ne sera ni asiatique, ni africain, ni américain, ni européen. Nous vivons dans un monde multipolaire et multiculturel dans lequel plusieurs pôles de décision se concurrencent. La guerre en Ukraine montre que l’Afrique, qui ne veut plus s’aligner sur les positions de l’un des anciens blocs dominants, est en passe de devenir, dans le système actuel des relations internationales, l’un des acteurs majeurs des décisions géopolitiques, géoéconomiques et géostratégiques qui structurent la multipolarité . Autre évidence : si une partie de l’avenir de l’humanité se joue bien en Afrique, ce n’est pas pour le formidable potentiel de développement d’un continent qui regorge de richesses naturelles. Le défi majeur qui attend l’Afrique subsaharienne est bien celui de son développement, mais il existe un paramètre qui freine son émergence : la forte croissance démographique. Depuis son entrée dans le XXIè siècle, l’Afrique subsaharienne a connu, jusqu’en 2019, un taux de croissance de plus de 5 % par an. De nombreux Etats subsahariens ont alors affiché leur volonté de s’inscrire sur la trajectoire de l’émergence. Un pays comme la Côte d’Ivoire ambitionne de devenir un pays à revenu intermédiaire, selon la typologie de classement des pays par la Banque mondiale (BM) en fonction de leur Revenu National Brut (RNB) par habitant. Sans parler des crises successives qui ont ralenti et épuisé les économies subsahariennes, – crise sanitaire de la Covid 19, guerre en Ukraine et crise climatique -, de nombreux pays se retrouvent dans une situation de surendettement ; d’autres, qui ont fait défaut sur le paiement de leur dette souveraine, se retrouvent dans des processus de restructuration de la dette particulièrement lents. Il a fallu deux ans pour que soit restructurée, dans le cadre du G20, la dette de 6,3 milliards de dollars de la Zambie. La restructuration des dettes souveraines ne représente en réalité qu’un moment de répit, tant les besoins de financement sont, dans tous les domaines, énormes. S’ajoute une problématique souvent oubliée : l’impact de la démographie africaine, galopante et incontrôlée. Le phénomène démographique produit deux effets : il ralentit le développement du continent ; il façonne le XXIè siècle, notamment à travers les flux migratoires Sud-Nord, que ces flux soient légaux ou clandestins et qu’ils soient provoqués pour des raisons politiques, économiques ou environnementales.
Croissance démographique vs croissance économique
La démographie est mieux contrôlée dans de nombreux pays, ce qui engendre une croissance de la population mondiale de 1% par an. Elle a été divisée par deux depuis les années 1960. En revanche, parce que la fécondité reste élevée, la population de l’Afrique subsaharienne continue de croître de 2,7 % par an. De 100 millions d’habitants en 1900, la population de l’Afrique est passée à 275 millions dans les années 1950-1960, puis à 640 millions en 1990 et à 1,4 milliard en 2022, ce qui représente 18 % de la population mondiale. Selon la projection démographique intermédiaire de l’ONU la population de l’Afrique se situerait, en 2050, aux environs de 2,5 milliards et, à la fin du siècle, à 4,4 milliards. Véritable bouleversement, les Africains représenteront alors 40 % de la population mondiale. Le dividende démographique est présenté, par l’Union africaine, comme un avantage qui permet d’accélérer le développement de l’Afrique « lorsqu’un pays jouit d’une proportion relativement grande de sa population en âge de travailler en raison de la baisse du taux de fécondité », ce qui est loin d’être le cas. En effet, l’Afrique subsaharienne voit arriver chaque année des millions de nouveaux entrants sur un marché de l’emploi, qui se caractérise par un chômage de masse et la multiplication des emplois précaires. Pour l’Union africaine, les opportunités économiques ne pourront être créées qu’à la condition « d’investir efficacement dans la santé, l’autonomisation, l’éducation et l’emploi à travers l’action publique et l’engagement du secteur privé ». Il faut ajouter le nécessaire appui des bailleurs de fonds (FMI, Banque mondiale, Banques Multilatérales de Développement, les BMD), ce qui conduit les Etats africains à s’endetter et à supporter la charge de la dette. Les économies de l’Afrique subsaharienne sont encore très fragiles et les Etats ne disposent pas des moyens budgétaires nécessaires au financement de l’emploi, l’éducation, la santé, le logement, etc. Les causes sont multiples et largement documentées : politiques économiques inadaptées, fluctuations des prix des matières premières, programmes d’ajustement structurel, etc. Une cause n’est pas suffisamment prise en compte : la très forte croissance démographique.
Un marché de l’emploi qui pénalise la jeunesse,
la jeune fille africaine et les femmes
En 2050, la moitié des habitants de l’Afrique subsaharienne aura moins de 25 ans, ce qui pose la question de la capacité des économies à absorber les millions de nouveaux entrants sur le marché de l’emploi. Les jeunes représentent aujourd’hui 60 % des chômeurs en Afrique, et, lorsqu’ils ont un emploi, l’immense majorité d’entre eux se situent dans le secteur de l’économie informelle. Un Rapport de l’Organisation internationale du travail (OIT) avance les chiffres suivants : en Afrique, 94,9 % des personnes entre 15 et 24 ans travaillent dans l’économie informelle. Ce chiffre atteint 97,9 % en Afrique de l’Ouest. De nombreux Etats africains, pour des raisons culturelles, ne peuvent élargir l’éducation aux filles et offrir aux femmes des opportunités économiques et plus de pouvoir, les taux de fécondité restant très élevés. Au Niger, les femmes déclarent vouloir neuf enfants, les hommes treize. La démographie galopante et incontrôlée est à la fois, en Afrique, un facteur de ralentissement du développement économique et un facteur de très forte contestation sociale et de mobilité forcée L’histoire récente de l’Afrique subsaharienne montre que les insurrections populaires se multiplient, entraînant la chute des gouvernements civils (Burkina Faso) ou des coups d’Etat militaires (Mali). A l’échelle de la planète tout entière, nous ne sommes qu’au début des bouleversements politiques, économiques culturels et écologiques majeurs que provoque déjà la démographie africaine. L’Afrique est confrontée à un défi démographique majeur qui oblige les pays riches à refonder, au profit du continent et de l’ensemble des pays émergents, le pacte financier mondial.
La démographie africaine façonnera le XXIe siècle
Dernière évidence : l’Afrique est la partie du monde qui va contribuer le plus à la croissance de la population mondiale d’ici la fin du XXIè siècle. Les pays riches, dont la population vieillit, auront, devant eux, le poids démographique de l’Afrique. Sur la démographie africaine, les récits se multiplient, optimistes avec la mise en avant du dividende démographique, pessimistes avec la question des flux migratoires. Le récit ne doit être ni optimisme, ni pessimiste, mais il doit prendre en compte une réalité : en 2050, la population active en Afrique sera cinq fois plus importante que celle de l’Europe, mais aussi plus importante que celle de l’Inde et de la Chine réunies. Il faut donc donner à l’Afrique les moyens techniques et financiers de consolider son développement en lui permettant, comme l’indique l’Union africaine, « d’investir efficacement dans la santé, l’autonomisation, l’éducation et l’emploi à travers l’action publique et l’engagement du secteur privé ». Les indicateurs démographiques africains obligent les pays riches à mettre en œuvre, de façon urgente, des réorientations fortes et nouvelles du financement de l’Afrique. Les Etats africains, dans les grandes orientations des politiques publiques de santé, devront prendre en compte une priorité nouvelle qui vient contredire les marqueurs culturels des sociétés traditionnelles : la régulation de la fécondité. Face à cette question, l’école et l’éducation restent les plus sûrs vecteurs du changement.
Le cas de la RDC
La République Démocratique du Congo fait partie des 5 pays du monde (tous africains), où le taux de fécondité est l’un des plus élevés avec, en 2017, 6 enfants par femme. Alors qu’il reste l’un des pays les plus pauvres, la forte croissance démographique, qui devrait doubler d’ici 2050, se traduit par d’énormes difficultés difficiles à surmonter : les défis de l’emploi, de l’accès aux services de base (santé, éducation, eau, électricité, logement, transport, etc.) A Kinshasa, l’urbanisme reste un urbanisme de la pauvreté, sans cadastre ni plan de développement, avec une accumulation de bidonvilles. La population actuelle, qui est de 80 millions d’habitants, devrait atteindre les 120 millions en 2030 et les 300 millions d’ici 2100. Dans le contexte actuel, la RDC ne peut prétendre bénéficier du dividende démographique, alors que le pays atteint son optimum dans le rapport entre la population non-dépendante (population active) et la population dépendante (personnes âgées). Les gains économiques que procure le dividende démographique ne se réaliseront que si la RDC s’installe définitivement sur la trajectoire d’une transition démographique. Loin de bénéficier du dividende démographique, la RDC est sous la menace du phénomène contraire que l’on peut qualifier de « bombe démographique ». La transition démographique est donc, pour le gouvernement, un défi politique, économique, social et culturel. L’Etat-stratège capable de maîtriser la trajectoire démographique existe-t-il en RDC ?