(Par le Professeur Alain Mutela Kongo)
Depuis quelques décennies, une certaine culture de la mort s’est installée dans les Pays des Grands Lacs et en particulier dans la partie Est de la République Démocratique du Congo. Les groupes armés locaux et étrangers tuent, violent et pillent chaque jour dans une impunité presque totale. Lesdits groupes armés sont soutenus et financés par les puissances obscures des pays les plus industrialisés qui leurs fournissent des armes, en vue de contrôler les minerais stratégiques. Ces armes proviennent des pays civilisés c’est-à-dire, de ceux qui nous font des leçons de démocratie, de bonne gouvernance et des droits humains. Ce sont ceux-là qui ont tué la démocratie en Afrique et au Congo-Kinshasa avec leur double jeu des pyromane-pompiers.
Ces puissances étrangères, en quête des minerais, travaillent en connivences avec des Africains et des Congolais assoiffés de pouvoir et d’enrichissement illicite. Cela provoque des multiples conflits et crises politiques que la République Démocratique du Congo ne cesse de subir. Et le grand perdant dans ces conflits est et reste toujours le peuple congolais, qu’on tue comme on tue les mouches et les moustiques. Comment s’en sortir et instaurer la culture de la vie en extirpant et en éradiquant les groupes armés ? Le mot de plus en plus utilisé pour résoudre les conflits, est celui du dialogue.
Mais quelles sont les conditions pour un dialogue franc et sincère ? Pour qu’il ait un vrai dialogue, il faut que les interlocuteurs concernés dans le dialogue en question se considèrent comme des personnes authentiques et honnêtes. Autrement dit, les acteurs principaux doivent se prendre au sérieux, faute de quoi, ledit dialogue se transformerait en un procès d’intention, ce qui sera un temps perdu.
Se prendre au sérieux et se considérer comme des personnes authentiques équivaut à dire que, les interlocuteurs doivent, chacun en ce qui le concerne, savoir de ne pas savoir tout ; et par conséquent, chacun non seulement est porteur d’un point de vue, mais est aussi bénéficiaire de l’apport de l’autre ou des autres. Dans ce monde où nous vivons, chacun a toujours son observatoire et son promontoire à partir duquel il observe la réalité, et c’est à partir de son promontoire propre qu’il lui est donné de dire son humanité et de dessiner sa carte géographique du monde.
Personne ne peut pas, et ne doit pas, prétendre que dans l’observatoire de l’autre, il n’y a rien de valable et de consistant. Même le pauvre le plus pauvre, parmi les pauvres, peut toujours avoir son petit angle où il conserve sa richesse ; il faudrait tout simplement l’écouter à fond. Dans un dialogue, l’écoute doit être réciproque et jamais fictive. Ecouter l’autre et son altérité, chercher à comprendre les méandres de sa vie, le valoriser et surtout promouvoir ce qui est de positif, que son cœur abrite, en lui.
Si les acteurs principaux, qui sont concernés dans un dialogue, assument cette attitude de respect réciproque axée sur l’écoute profonde et réciproque elle aussi, on peut espérer que le dialogue en question porte des fruits succulents. Par contre, le dialogue dans lequel les concernés ne se prennent pas au sérieux, ne sont pas des personnes authentiques et où chacun a plus à apporter qu’à apprendre des autres est toujours un dialogue voué à l’échec.
Il sied de préciser que, l’on dialogue pour résoudre des conflits, mais chaque dialogue cache toujours derrière des conflits qui peuvent éclater à tout moment, si les partenaires ne se mettent pas d’accord sur les contenus, les méthodes et les objectifs qu’ils se sont assignés. Le dialogue des sourds existe aussi ; et le pire sourd qui puisse exister, c’est celui qui a décidé librement de ne pas entendre. Tu ne peux pas le convaincre, étant donné qu’il a décidé de ne pas entendre ni encore moins d’écouter.
La République Démocratique du Congo est l’un des Pays où les acteurs politiques et religieux dialoguent si souvent et ce, depuis les années 1990. Ils se réunissent, font des concertations, dialoguent et se mettent d’accord. Le pire est qu’ils ne respectent pas leurs propres accords signés pendant les multiples dialogues. Ce qui est en crise, au Congo-Kinshasa, ce n’est pas le dialogue en soi, mais plutôt le respect de ce qui a été convenu, décidé et signé. Autrement dit, ce qui est en crise, c’est la parole donnée.
Or, nous le savons très bien qu’en Afrique traditionnelle, la parole donnée engageait les personnes concernées dans une alliance. À en croire Oscar Bimwenyi Kweshi, « la parole engage l’homme bien plus que sa simple signature ». Nos traditions culturelles africaines, que les acteurs politiques africains maîtrisent à peine, renseignent que l’homme est sa parole. A ce propos, les Bambaras disent : « l’homme n’a pas de queue, il n’a pas de crinière ; le point de prise de l’homme est la parole de sa bouche. De sorte que posséder la parole de quelqu’un c’est posséder sa personne elle-même ».
Combien des paroles nos politiciens donnent et ne respectent pas ? Combien des promesses fallacieuses ? Nous vivons dans un monde où celui qui donne la parole et ne la respecte pas continue à vivre sans remords. Or, nos ancêtres, qui n’étaient pas diplômés étaient conscients du fait que la parole donnée devrait être respectée, la parole prononcée est revêtue d’une grande puissance. « Proférée dans certaines circonstances et par qui de droit, la parole peut devenir dangereuse et même meurtrière, atteignant sa cible plus sûrement qu’une flèche ».
La crise que nous traversons en Afrique en général et au Congo en particulier est due à la crise de la parole. Il s’agit bel et bien d’une crise anthropologique : nous sommes pauvres en anthropologie. Et d’ailleurs, le Camerounais, Engelbert Mveng, disait qu’en Afrique, la pauvreté n’est pas seulement une question financière et économique, elle est plutôt anthropologique : c’est toute la personne de l’homme africain qui a été tarée, traumatisée et paupérisée.
Un être souffrant d’une pauvreté anthropologique peut-il être capable de donner une parole et la respecter ? Est-il consciencieux ? C’est cette pauvreté anthropologique, qui se traduit par le non-respect de la parole donnée, qui pousse chaque jour certains de nos frères à pactiser avec le diable et à soutenir des projets sataniques torpillant ainsi les intérêts de notre peuple. Certains de nos frères et sœurs ont choisi de manger le pain baigné dans le sang de leurs concitoyens, ils travaillent pour leurs propres intérêts égoïstes et surtout pour les intérêts des grandes firmes occidentales et asiatiques au détriment de ceux de leur propre peuple, désormais clochardisé et réduit au silence.
Les penseurs africains, leur voix n’est plus écoutée par ceux qui devraient l’écouter. Le comble est que pour être écouté et respecté, il faut prendre les armes, tuer, violer et piller. Le langage de la violence est le plus écouté, et celui du dialogue constructif est toujours escamoté.
Nous sommes d’accord pour le dialogue, mais on doit dialoguer avec qui et pour quelles fins ? L’espace des Grands Lacs est théâtre d’une économie de prédation qui n’obéit pas à la logique du dialogue honnête. Doit-on dire aux criminels sans cœur de renoncer à l’économie de prédation ? C’est comme si on disait aux abeilles de ne plus produire le miel et aux lions de ne plus chasser.
Seuls les rapports de force et les mesures contraignantes peuvent être dissuasifs afin d’imposer la paix au Congo-Kinshasa et dans la région des Grands Lacs. Mais comme nous sommes piégés de l’intérieur, il faudrait signer un pacte de sang entre nous, être unis, parler plus ou moins le même langage et s’assigner des projets et des plans de développement social susceptibles de redresser le centre de gravité de l’histoire de l’homme congolais.
Le sang a trop coulé ; nos frères et sœurs maltraités et tués, les femmes et les enfants violés, tout cela doit nous interpeller afin de ne plus blaguer, mais de dialoguer pour récupérer notre souveraineté désormais compromise.
Nous pensons que si nous sommes unis et animés par l’amour de la Nation, nous pourrons lutter contre les multiples infiltrations ainsi que le complot de balkanisation de la République Démocratique du Congo. En définitive, nous disons que, nous ne pouvons pas ne pas dialoguer, pourvu que le dialogue en question ne soit pas fictif et tactique, propre aux fourbes et aux personnes mal intentionnées avec des agendas cachés, pour ne pas dire obscurs et sataniques. Nous ne pouvons pas ne pas dialoguer, car au commencement était le dialogue, ainsi la structure ontologique même de l’homme est dialogale.
L’homme est toujours, selon Oscar Bimwenyi Kweshi, un être qui est fondamentalement tourné vers l’Autre, vers les autres, ses propres semblables, et, enfin, il est tourné vers le cosmos lui-même. Que les acteurs politiques ainsi que toutes les forces vives de la Nation congolaises s’engagent dans un dialogue constructif et sans compromission afin de devenir une espèce de coryphée de la liturgie cosmique, c’est-à-dire les garants de l’harmonie et de l’équilibre au sein de nos populations, qui ont tant souffert inutilement.
Nous tenons à rappeler à nos dirigeants que les citoyens congolais ont droit au travail, à un salaire équitable, à la sécurité sociale, à la santé et à l’éducation. Le Peuple congolais a droit à la vie et à la liberté. Le Peuple congolais dit non au traitement cruel, inhumain et dégradant conformément à la déclaration internationale des droits de l’homme.
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