* » _Affaire Bukanga Lonzo_ » : Bien sûr que oui, Matata Ponyo, ancien Premier Ministre, est justiciable et, dans son cas, la Cour de Cassation est de droit, son Juge pénal*
Décidément en RD Congo, l’actualité politique ou judiciaire reste toujours riche et intense en événements ou en rebondissements.
Dans l’actualité judiciaire, de nouveau, un rebondissement dans l’ *_affaire Bukanga Lonzo_*¹, une affaire qui continue de faire couler beaucoup d’encre et de salive.
En effet, cette affaire déchire nombre de : Scientifiques, Spécialistes, Observateurs, Acteurs ou Témoins de la vie politique ou judiciaire de la RD Congo.
De cette guerre de tranchées, ressortent quatre (4) équations à quatre inconnus, qu’il faudra résoudre :
1. Est-ce que l’ancien Premier Ministre Matata Ponyo, peut-il être poursuivi pour des infractions ou délits, tels que définis dans les articles 164 et 165 de la Constitution, qu’il aurait commis lorsqu’il était Premier Ministre ?
2. La Cour Constitutionnelle avait-elle raison de se déclarer incompétente pour être le Juge pénal d’un ancien Premier Ministre ?
3. Dans » *_l’affaire Bukanga Lonzo_* » : est-ce que la Cour de Cassation pouvait-elle saisir la Cour Constitutionnelle, et l’interroger pour interprétation ?
4. Quelle est alors la juridiction compétente qui pourrait juger l’ancien Premier Ministre, Matata Ponyo ?
C’est pourquoi, une analyse scientifique rigoureuse, centrée sur la Neutralité Axiologique, devra entrer en lice afin de tenter d’éclairer la lanterne des Congolais.
*MA REFLEXION*
» _La pensée ne doit jamais se soumettre, ni à un dogme, ni à un parti, ni à une passion, ni à un intérêt, ni à une idée préconçue, ni à quoi que ce soit, si ce n’est aux faits eux-mêmes, parce que, pour elle, se soumettre, serait cesser d’être_ » ²
Cela dit, voici ci-dessous, mes tentatives de réponses :
– *Pour la Première équation à un inconnu, à résoudre* :
– Est-ce que l’ancien Premier Ministre Matata Ponyo, peut-il être poursuivi pour des infractions ou délits, tels que définis dans les articles 164 et 165 de la Constitution, qu’il aurait commis lorsqu’il était Premier Ministre ?
*Réponse*:
Oui
*Question* :
Pourquoi ?
*Réponse* :
Pour tenter de résoudre cette équation ; il convient, à mon sens, de faire une analyse comparative entre » *_l’affaire Bukanza Lonzo_* » en RD Congo et » *_l’affaire du sang contaminé_* » ³ en France.
*Question* :
Pourquoi la France ?
*Réponse* :
– Parce que nombre d’auteurs, pas les moindres, à l’instar de Delphine Pollet – Panoussis ⁴, soutiennent que la Constitution de la RD Congo de 2006, est » *_la petite sœur africaine de la Constitution française_* «, la Constitution française en vigueur, celle du 4 octobre 1958, appelée aussi, la _Constitution de la Vème République_
– Parce que dans les deux (2) affaires, il s’agit bien, de la responsabilité pénale de deux anciens Premiers Ministres
– Partant du fait qu’aucune discipline scientifique n’est autonome à cent pour cent ( 100 % ) car on emprunte toujours à la discipline voisine ; et partant aussi du fait que la Constitution de la RD Congo de 2006 est rédigée en langue française et que , le Français est aussi une discipline scientifique , à part entière, enseigné notamment à l’Université ; il convient de s’arrêter un moment sur ces deux » expressions » françaises utilisées dans la Constitution de la RD Congo , plus précisément, dans son *article 164* :
– » *_dans l’exercice de leurs fonctions_* »
– et » *_à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions_* «
et, comparativement sur la même expression utilisée dans *l’article 68* de la Constitution française, pour les » _membres du gouvernement_ » :
» *_dans l’exercice de leurs fonctions_* »
d’où s’est inspiré ou a été tiré, d’ailleurs, et à mon sens, *l’article 164* de la Constitution de la RD Congo de 2006
– Dans le cas de la RD Congo, la première expression :
» *_dans l’exercice de leurs fonctions_* «, voudrait dire, en réalité :
Lorsque le Président de la République ou le Premier Ministre en fonction commettent des actes qualifiés d’infractions ou délits, tels que définis dans les articles 164 et 165 de la Constitution ; donc, actes qu’ils ne pouvaient commettre que, lorsqu’ils jouissaient de leurs compétences.
C’est pourquoi, ces actes sont ainsi réputés susceptibles des poursuites pénales au moment où ils ont été commis.
En clair, en ce qui nous concerne, cela voudrait dire, même après son mandat de Premier Ministre, c’est-à-dire, lorsqu’ il devient ancien Premier Ministre, celui-ci, est toujours réputé justiciable pour des actes qu’il aurait commis quand il était en fonction, actes, tels que décrits dans les articles de la Constitution précités.
Sinon, comment expliquer, à titre comparatif, qu’un ancien Premier Ministre français, en l’occurrence, *Laurent Fabuis*, fut jugé
par la Cour de Justice de la République en 1993, soit un.peu moins de sept (7) ans après son mandat, pour des actes poursuivables en pénal tels que décrits dans l’article 68 de la Constitution française, actes qu’il aurait commis quand il était Premier Ministre, donc en fonction ; c’est-à-dire, entre les 17 juillet 1984 et 20.mars 1986 ⁵ ?
Soulignons toutefois, qu’en France, *l’article 68* de la Constitution française parle des » *_Membres du Gouvernement_* «, bien entendu, le Premier Ministre français y compris, car il est le Premier Membre de son Gouvernement, et donc, le Chef de son Gouvernement ⁶ .
Cet *article 68* de la Constitution française utilise donc la même » expression française » que *l’article 164* de la Constitution de la RD Congo. C’est-à-dire :
» *_dans l’exercice de leurs fonctions_* »
C’est ainsi, qu’on pourrait mieux comprendre, dès lors, que l’article 164 de la Constitution de la RD Congo s’est inspiré ou a été tiré de cet *article 68* de la Constitution française.
*Question* :
Cela dit, quelle serait maintenant, l’intelligibilité de l’autre expression utilisée dans *l’article 164* de la Constitution de la RD Congo :
» *_à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions_* » ?
A mon sens, et en ce qui nous concerne, cette expression simplifierait encore l’intelligibilité de cet article car elle raffermit la première expression.
On pourrait dès lors bien saisir qu’un ancien Premier Ministre est justiciable et devrait répondre de ses actes tels que définis dans les articles 164 et 165 de la Constitution ; actes qu’il aurait commis lorsqu’ il devait prendre des décisions ressortant de ses compétences, c’est-à-dire, lorsqu’ il devait jouir, en tant qu’autorité administrative, donc, en tant que le Premier Ministre., du Principe d’ Indisponibilité des Compétences Administratives.
En Somme, ces deux » expressions » ne protègent nullement un ancien Premier Ministre et encore moins, ne prônent pas son impunité.
Bien au contraire, elles le responsabilisent.
– *Deuxième équation à un inconnu, à résoudre*:
La Cour Constitutionnelle avait-elle raison de se déclarer incompétente pour être le Juge pénal d’un ancien Premier Ministre ?
*Réponse* :
OUI
*Pourquoi*?
A mon avis, il serait réductif de se limiter seulement à l’article 164 de la Constitution, c’est-à-dire, au texte, si on veut bien saisir la complexité de ma réponse.
A mon sens, il faudrait aussi, saisir *l’esprit du Constituant* !
Pour s’en convaincre, interrogeons l’alinéa 1 de l’article 166 et l’alinéa 1 de l’article 167 de la Constitution :
1. En ce qui concerne, l’alinéa 1 de l’article 166 de la Constitution ; un problème de taille se pose en ces termes :
*Question* :
Comment pourrait-on réunir et demander au parlement de voter et de prendre la décision de poursuites ou de mise en accusation d’un ancien Premier Ministre qui a commis des actes tels que qualifiés dans ces articles précités et dont son statut actuel, ne le protège pas, par une quelconque immunité, car il est devenu un monsieur ou une madame lambda, c’est-à-dire, un simple citoyen ou une simple citoyenne ?
*Réponse*:
On ne peut pas le faire car son statut actuel ne le ou la protège plus.
Il ou elle devient comme tous ces Congolais sans immunité ou sans privilège de juridiction.
Dans ce cas, il ou elle tomberait automatiquement dans le *régime général*, c’est-à-dire, celui du *Droit commun*, qui lui définirait son Juge naturel.
Cela montre à suffisance que dans *l’esprit du Constituant*, c’est plutôt du Premier Ministre en fonction dont il s’agit !
2. En ce qui concerne l’alinéa 1 de l’article 167:
*Question*:
Comment peut-on déchoir un ancien Premier Ministre ?
*Réponse*:
On ne peut et on ne sait le faire car on ne peut déchoir que le Premier Ministre qui est en fonction, si les actes qu’il a commis dans » l’exercice de ses fonctions » ou à » l’occasion de l’exercice de ses fonctions » sont qualifiés et réputés tels quels, selon les articles de la Constitution précités.
Ces tentatives de réponses, nous démontrent à mon sens et à suffisance, que dans *l’esprit du Constituant*, il s’agit plutôt du Premier Ministre *en fonction* qui doit être jugé devant et par la Cour Constitutionnelle, qui est ainsi, son Juge pénal.
– *Troisième équation à un inconnu, à résoudre*:
Dans » _*l’affaire Bukanza Lonzo*_ » : est-ce que la Cour de Cassation pouvait-elle saisir la Cour Constitutionnelle, en interprétation ?
*Réponse :*
Bien sûr que Oui
*Pourquoi*?
En réalité, la Cour de Cassation s’est retranchée derrière les alinéas 1 et 4 de l’article 162 de la Constitution.
Comme elle est contestée par la partie défenderesse, car celle-ci prétend qu’il y a un vide juridique, et que, comme Constitutionnelle s’est déclarée incompétente car elle est le Juge pénal du Premier Ministre en fonction ; ainsi, la Cour de Cassation ne peut pas être compétente pour juger un ancien Premier Ministre.
De cela, découle donc, automatiquement, un problème d’inconstitutionnalité car la partie défenderesse prétend que la Constitution ne reconnaît pas à la Cour de Cassation, le droit ou la possibilité de juger son client, l’ancien Premier Ministre, Matata Ponyo.
S’estimant être le Juge pénal naturel de l’ancien Premier Ministre, Matata Ponyo, donc compétente pour le juger, car la Cour de Cassation estimerait, qu’il est toujours justiciable en tant qu’un ancien Premier Ministre pour des actes qu’il aurait commis quand il était Premier Ministre, c’est-à-dire, quand il était en fonction ; actes, poursuivables en pénal.
Sous cet angle, la Cour de Cassation ne pouvait qu’interroger la Haute Cour, en l’occurrence, la Cour Constitutionnelle, qui est la seule juridiction habilitée pour interpréter les questions liées à l’inconstitutionnalité.
Intelligemment, à mon sens, la Cour de Cassation aurait voulu d’abord et surtout, que la Cour Constitutionnelle lui interprète les deux expressions qui seraient liées dans cette affaire et tirées de l’article 164 de la Constitution : » *_dans l’exercice de leurs fonctions_ « * et » *_à l’ occasion de l’exercice de leurs fonctions_* » ; afin , à mon sens, de clore d’abord, le débat centré sur la prétention, qu’un ancien Premier Ministre ne peut plus être justiciable et, par ensuite ; dans l’hypothèse où la Cour Constitutionnelle reconnaitrait la responsabilité pénale d’ un ancien Premier Ministre ; c’est-à-dire, le fait qu’il soit justiciable ; en ce moment-là , la conséquence serait que l’ancien Premier Ministre, Matata Ponyo, dont le statut actuel est, Sénateur, réponde de ses actes devant son Juge pénal naturel.
– *Quatrième équation à un inconnu, à résoudre* ;
*Quelle est alors la juridiction compétente qui pourrait juger l’ancien Premier Ministre, Matata Ponyo*?
*Réponse* :
A mon avis, c’est la *Cour de Cassation* qui devient de droit le juge pénal de l’ancien Premier Ministre et, actuel Sénateur, Matata Ponyo !
*Pourquoi* ?
Comme la Cour Constitutionnelle est effectivement incompétente pour être le Juge pénal d’un ancien Premier Ministre ; et compte tenu du fait qu’un ancien Premier Ministre n’a plus de privilège de juridiction, tel que stipulé dans l’article 164 de la Constitution, et vu que tout Congolais est justiciable ; l’ancien Premier Ministre Matata Ponyo, tomberait automatiquement dans le *régime général* c’est-à-dire, celui du *Droit commun*.
Dans cette hypothèse, étant réputé justiciable comme tout Congolais, et n’ayant plus de privilège de juridiction dans le sens de l’article 164 de la Constitution; mais toutefois, vu son statut actuel, comme Sénateur en fonction, ce statut qui lui octroie une immunité parlementaire, qui a d’ailleurs été déjà levée, et sachant que c’est la *Cour de Cassation* qui est compétente pour juger les Sénateurs en fonction ⁷ ; elle devient, sous cet angle, automatiquement *son Juge pénal.*
Cela dit et démontré, tout compte fait, il serait illusoire de croire qu’un ancien Premier Ministre de la RD Congo ne peut être justiciable pour des actes qualifiés d’infractions ou de délits tels que définis dans les articles 164 et 165 de la Constitution, actes qu’il aurait commis quand il était Premier Ministre.
Il serait donc, illusoire de croire, qu’il y aurait un vide juridique en cette matière.
Par ailleurs, ce serait une erreur si on croit que c’est la Cour Constitutionnelle qui est le Juge pénal d’un ancien Premier Ministre.
Ce serait, vendre la Science.
En conclusion, à mon sens et après mes tentatives de de réponses et démonstrations, je pourrais avancer et soutenir sans beaucoup de crainte que, vu son statut actuel, en tant que Sénateur, l’ancien Premier Ministre, Matata Ponyo, devra être jugé par son Juge naturel, qui est de droit, la Cour de Cassation.
Toutefois, il convient de souligner que, dans l’hypothèse où il n’était pas Sénateur en fonction, donc sans immunité, ou sans privilège de juridiction, son Juge naturel devrait être, sous cet angle, le Tribunal de Grande Instance, qui est compétente pour juger ce genre d’infractions ou délits en *droit commun*.
En clair, comme, l’ancien Premier Ministre, Matata Ponyo, est actuellement, Sénateur en fonction, à mon sens, il devra répondre devant la Cour de Cassation.
» *_Scientia Vincere Tenebras_* » ( _ » La Science Vaincra les Ténèbres « _)
Professeur Jean-Denis Kasese
Professeur à l’Université Pédagogique Nationale (UPN)
Professeur Associé, Chercheur et Collaborateur Scientifique à l’Université Libre de Bruxelles (ULB)
Membre de la Faculté de Philosophie et Sciences Sociales (ex – Faculté des Sciences Sociales et Politiques / Solvay Brussels School of Economics and Management) de l’Université Libre de Bruxelles (ULB)
Membre de l’Institut de Sociologie (IS) de l’Université Libre de Bruxelles (ULB)
Membre du Centre d’Études de la Coopération Internationale et du Développement (CECID) de l’université Libre de Bruxelles (ULB)
*NOTES ET RÉFÉRENCES*
1. NYABIRUNGU, Raphaël, » Affaire Bukanga Lonzo : » Matata Ponyo ne peut plus être poursuivi devant la Cour de Cassation «, in RADIO OKAPI, publié le jeudi 05/05/2022 – 23h05, modifié le 05/05/2022 – 23h07
2. POINCARÉ, Henri, Discours. Fêtes du 75ème anniversaire de l’Université Libre de Bruxelles (ULB), le 21 novembre 1909
3. KASESE, OTUNG ABIENDA, Jean-Denis, Systèmes Administratifs Comparés, Inédit, UPN, 2013, pp. 44-46
4. POLLET – PANOUSSI, Delphine, » La Constitution congolaise de 2006 : petite sœur africaine de la Constitution française « , in REVUE FRANÇAISE DE DROIT CONSTITUTIONNEL, 2008/3 (n° 75), pp. 461-49
5. ASSEMBLÉE NATIONALE FRANÇAISE, » Gouvernement Fabius (17 juillet 1984 – 20 mars 1986), in ASSEMBLÉE NATIONALE,-LCP, 2019
6. Article 21 de la Constitution française du 4 octobre 1958
7. Article 153, Alinéa 3, de la Constitution de la RD Congo du 18 février 2006.