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RDC : comment Roger Lumbala tente d’échapper à son procès en France

Par La Prospérité
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L’ancien chef milicien congolais, qui sera jugé à partir du 12 novembre à Paris pour complicité de crimes contre l’humanité, réclame son extradition vers Kinshasa.

Le chef des rebelles congolais du M23, Roger Lumbala, signe des documents le 6 février 2013 avant une conférence de presse à Kampala. Le gouvernement de la République démocratique du Congo et les rebelles du M23, réunis à Kampala le 6 février, ont finalisé la révision d’un précédent accord de paix qui avait échoué. Il s’agissait de la première des quatre étapes nécessaires à la conclusion d’un accord de paix. Après douze jours d’occupation, les rebelles du M23 ont été persuadés de se retirer de la ville stratégique de Goma, dans l’est du pays. Ils contrôlent toutefois encore de vastes zones aux abords de ce centre minier important. Ces négociations constituent la dernière d’une série de tentatives pour mettre fin à un conflit qui dure depuis des années et qui a forcé des centaines de milliers de personnes à fuir leurs foyers dans l’est de la RDC.

La justice congolaise ne fait plus peur à Roger Lumbala. Le président du Rassemblement des Congolais démocrates et nationalistes (RCD-N), mouvement rebelle devenu parti politique, qui a sévi dans l’Est pendant la deuxième guerre du Congo, préfère être extradé vers Kinshasa plutôt que d’être jugé à Paris.

Son procès pour complicité de crimes contre l’humanité se tiendra du 12 novembre au 19 décembre devant la cour d’assises. Âgé de 67 ans, le prévenu encourt la réclusion criminelle à perpétuité pour des faits qui se sont déroulés entre le 1er juillet 2002 et le 31 décembre 2003 dans ce qui est aujourd’hui le Haut-Uélé et l’Ituri.

Un dossier « 100 % congolais »

En 2014, Roger Lumbala expliquait pourtant ne pas faire confiance aux juges de son pays lors d’une interview accordée à Jeune Afrique depuis Paris, où il demandait l’asile. « Tout le monde sait comment [la justice] fonctionne », déclarait-il alors. Aujourd’hui encore, le système judiciaire congolais est qualifié de « malade » par le président Félix Tshisekedi compte tenu du niveau élevé de corruption qui empêche tout procès juste et équitable.

« Roger Lumbala ne demande pas à être extradé vers Kinshasa, c’est Kinshasa qui demande l’extradition de Roger Lumbala, qui ne s’y oppose pas, nuance Me Philippe Zeller, son avocat. Je pense qu’il souhaite faire face à ses responsabilités devant une juridiction qui comprend les éléments du dossier. » « M. Lumbala est pour un procès, cela ne le dérange pas. Mais il veut que ce soit dans son pays”, fait savoir un membre de la famille, qui s’étonne qu’un dossier « 100 % congolais » soit jugé en France et y voit une forme de « néocolonialisme ».

Néocolonialisme contre universalisme

La justice française s’appuie sur la compétence dite universelle, telle que prévu à l’article 689-11 du code de procédure pénale. Celui-ci permet aux États de poursuivre les crimes internationaux les plus graves, même s’ils ont été commis à l’étranger. « En 2024, il y a eu 130 procédures sur la base d’une compétence extraterritoriale, partout dans le monde. C’est un principe reconnu », explique Daniele Perissi spécialiste de la RDC pour l’ONG Trial International, qui est partie civile au procès. « L’idée est assez simple : la communauté  internationale estime que certains crimes sont tellement graves que chaque État à une responsabilité de les poursuivre », développe l’expert.

Selon les textes, la compétence universelle s’applique à condition « qu’aucune autre juridiction internationale compétente pour juger la personne n’a demandé sa remise et qu’aucun autre État n’a demandé son extradition ». Or, une demande d’extradition a été formulée dès 2013, rappellent les avocats de Roger Lumbala, bien avant son interpellation en 2020 et sa mise en examen en 2021 par le parquet national antiterroriste. « La France détourne la compétence universelle et bafoue la souveraineté de la RDC », dénoncent les conseils de Roger Lumbala dans un communiqué.

Ils ont saisi la chambre d’instruction pour une requête en nullité, mais celle-ci a été rejetée, la cour estimant que les éléments étaient suffisants pour poursuivre Roger Lumbala. « Ça ne tue pas le débat, des éléments nouveaux sont arrivés entre-temps, dont les différentes demandes d’extradition renouvelées adressées par la RDC aux autorités françaises », insiste Me Zeller. Ces demandes ont été transmises en mars, en juin et en septembre 2025, et n’ont obtenu aucune réponse des autorités françaises. La question de la compétence de la cour occupera la première journée de débat.

Soutien du M23

Pour Daniele Perissi, le mandat d’arrêt congolais de 2013 n’intéresse pas la justice française car il concerne une autre affaire, à savoir le ralliement de Roger Lumbala aux rebelles du M23. L’ancien député du Kasaï était à l’époque un opposant au président Joseph Kabila. La justice militaire le soupçonnait « de connivence » avec le colonel déserteur John Tshibangu, un autre opposant accusé d’avoir recruté des enfants soldats.

C’est pour ces liens supposés que Roger Lumbala avait d’ailleurs été exclu de la procédure d’amnistie en 2014. Il avait fini par rentrer à Kinshasa en 2017 à la faveur de « l’accord de la Saint-Sylvestre » qui mettait fin aux poursuites de l’État contre lui et d’autres opposants dans un souci d’apaisement politique.

Si la RDC veut aujourd’hui mettre la main sur Roger Lumbala, elle est pourtant restée indifférente aux demandes d’entraide judiciaire formulées par la France en 2020. « Les autorités congolaises n’ont jamais répondu aux demandes de coopération », précise une source proche du dossier. Elle a aussi fait preuve de légèreté en rédigeant un mandat d’arrêt international non daté et non signé, qu’elle a transmis par valise diplomatique le 5 octobre dernier.

Procès à haute sensibilité politique

L’insistance des autorités congolaises trahit-elle la fébrilité de certains membres de la classe politique ? « Je suis au courant de beaucoup de choses », fanfaronnait Roger Lumbala en 2014. L’homme a longtemps affirmé détenir des secrets compromettant pour Joseph Kabila, qu’il accusait de vouloir déstabiliser l’est de la RDC quand il était au pouvoir. Mais Roger Lumbala peut-il en faire trembler d’autres ?

« Il y a plusieurs camps. Il y a ceux qui pensent qu’il faut être cohérent avec les positions de la RDC sur la scène internationale et qu’il faut un procès. Roger Lumbala c’est un petit poisson, on peut le laisser tomber. D’autres se disent certainement que ce procès va créer un précédent et qu’il va devenir dangereux de voyager sous peine d’être arrêté. Que c’est une boîte de pandore qu’on veut laisser fermer. Et puis il y a ceux qui, comme le ministre Jean-Pierre Bemba, ont peur qu’on comprenne que c’était peut-être eux qui commettaient les crimes », détaille un observateur de la vie politique congolaise.

Jean-Pierre Bemba et Constant Ndima cités à comparaître

Jean-Pierre Bemba, chef du Mouvement de libération du Congo (MLC) et actuel vice-premier ministre des Transports, était un allié de Roger Lumbala, voire son parrain. « Le MLC et le RCD-N ont une structure militaire intégrée, le RCD-N ayant sa propre milice, mais disposant seulement d’un matériel limité. Les principaux officiers, de même que l’artillerie, ont été fournis par le MLC », note un rapport d’enquête de l’ONU daté du 2 juillet 2003 au sujet de l’opération meurtrière « Effacer le tableau », pour laquelle Roger Lumbala est jugé à Paris.

Bemba a d’ailleurs été cité à comparaître par la défense, tout comme le lieutenant-général Constant Ndima, ancien membre du MLC, considéré comme étant le chef de l’opération. Il avait été nommé gouverneur militaire du Nord-Kivu par Félix Tshisekedi avant d’être rappelé à Kinshasa et remplacé après la tuerie commise à Goma, le 30 août 2023, commise par des militaires sous sa responsabilité.

Aujourd’hui, il continue d’être « au service de la République », balaie le général-major Sylvain Ekenge, porte-parole de l’armée congolaise. Les parties civiles vont malgré cela tenter d’éviter de faire le procès de ces personnalités et se concentrer sur Roger Lumbala.

Détenu de manière préventive, il attend son heure depuis la prison parisienne de la Santé, où il a côtoyé les figures de la droite française au pavillon des personnes vulnérables, comme l’ancien ministre de l’Intérieur Claude Guéant et l’ancien maire de Draveil, Georges Tron. Celui qui se rêvait un destin présidentiel a même logé près de Nicolas Sarkozy, incarcéré jusqu’au 10 novembre à la même prison mais à l’écart, pour des raisons de sécurité.

Jeune Afrique

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