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Mboka Kongo : Décolonisation et Renaissance de notre nation, 2° Le Congo des villages, (Par le Professeur Kentey Pini-Pini Nsasay, Université de Bandundu)   

Par La Prospérité
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Deux camps sociaux coexistent au Congo qui se combattent mutuellement. Il s’agit des villes et des villages. Chacun se présente comme étant légitime contre l’autre. Ce combat est relayé par ce qu’on appelle le tribalisme. Ce remake de l’opposition entre le Roi des Belges Baudouin 1er et le Premier Ministre Congolais Patrice Lumumba le 30 juin 1960 à l’actuel palais de la Nation, ancien palais du Gouverneur général du Congo-belge, révèle la fracture au sein de l’opinion congolaise concernant la souveraineté de notre pays. Le Congo est-il le Congo des villes coloniales qui abritent les institutions politiques du pays ou bien celui des villages traditionnels ancestraux où habite l’immense majorité de la population délaissée ? Dans cet article je réponds à cette question essentielle qui a un impact certain sur la reconstruction attendue de notre pays. 

Au Congo, lorsqu’on parle des villes et des villages, il est souvent question des élites et des illettrés. A propos de la nouvelle élite mise en place au Congo, pour le pouvoir colonial belge qui l’a créée, les autorités socio-politiques ancestrales en sont exclues, de même les artisans, médecins, enseignants, sages-femmes, pêcheurs ou chasseurs traditionnels. Tous, quelques soient leur charisme ou leur savoir reconnu, sont réputés ignorants ; leur pratique et leur compagnie frappées d’interdit. Depuis l’époque coloniale, pour leur éducation, les jeunes des villages doivent s’éloigner d’eux et s’approcher plutôt des missionnaires ou des religieux installés dans les « missions catholiques », nouveaux villages coloniaux. Car le village traditionnel ancestral est assimilé au non-savoir, siège de l’imbécilité et de la bêtise. Les missions catholiques, elles, sont réputées être les lieux appropriés de formation de nouvelles élites. Le prêtre catholique, en col romain, maniant le latin, pouvant être élevé au rang épiscopal et cardinaliste, en constitue la figure de proue. Il est suivi de tous les autres : juristes, philosophes, agronomes, médecins, économistes, officiers, etc. Le colon ou le missionnaire belges, mêmes absents, demeurent les modèles éternels  (Jacques Vanderlinden, 1985, 44-45).

Ainsi donc, le village et sa sagesse ancestrale demeurent toujours interdits et les jeunes doivent les fuir pour se sauver. A l’époque vraiment coloniale, il était déconseillé aux séminaristes de s’en approcher durant leur formation. Ils devaient éviter leurs villages y compris leurs parents qui étaient dès lors des villageois comme les autres, c’est-à-dire des païens. Évidement le but visé reste toujours de stopper toute activité intellectuelle et productive dans des villages en faveur de la population elle-même. Elle doit plutôt être transformée en machines de production servile et plutôt gratuite. La production capitaliste en faveur des colons et leurs supplétifs se nourrit de la destruction des équilibres socio-économiques et politiques traditionnels. Il lui faut toujours une main-d’œuvre prête à servir dans les chantiers forestiers, les mines, les ports, les gares et les plantations.

Un autre enjeu entrevu par le régime colonial et ceux restés en place, est la confiscation des terres villageoises au profit des plantations industrielles et des missions. Ces expropriations massives modifient le système foncier traditionnel aux effets catastrophiques dont l’exode rural, la dépopulation, les famines et les maladies. Les conséquences des déplacements des populations ont été sévères au Kasaï et au Katanga notamment. Bien de personnes ont été contraints de renoncer à leurs familles et à leurs villages pour être au service des cultures industrielles : coton, palmiers, café, riz, etc. C’est la population villageoise qui a érigé les bâtiments des missions catholiques et construit les villes coloniales (Jean-Marc Ela, 1982, 22-24).

Son supplice s’est poursuivi avec le payement des impôts à l’État sans quelque bénéfice pour elle en terme de développement. La mise en œuvre de cette politique lui a été désavantageuse dans la mesure où elle devait renoncer aux connaissances ancestrales, sans avoir le droit d’en acquérir d’autres puisque celles-ci sont l’apanage de l’école qui enseigne des langues et des matières étrangères. Jusqu’à présent, pour payer les impôts, la population villageoise à l’obligation d’accueillir les agents de l’État, les loger, les nourrir et leur assurer l’approvisionnement en eau de bain. Or dans les villages celui-ci est un casse-tête parce qu’il faut toujours se rendre dans des sources d’eau ou des ruisseaux bien souvent situés à un ou deux kilomètres du village. Les prêtres des missions catholiques qui arrivent dans des villages pour leurs sacrements bénéficient, eux aussi, de la même prise en charge villageoise.

Dès lors, le village étant vilipendé et exclu du cercle normal de vie humaine, c’est en milieu urbain et dans les missions catholiques que celle-ci est censée d’épanouir. C’est pour cette raison que ces milieux ont connu des expansions fulgurantes qui demeurent jusqu’à ce jour entrainant des surpopulations et des explosions sociales nocives comme les phénomènes Chègues et Kuluna. Les dirigeants du pays se recrutent dans ces milieux urbains, y vivent et les développent au détriment des villages toujours ignorés et combattus. Nos universités et un grand nombre de nos établissements primaires ou secondaires importants se situent en milieu urbain d’implantation coloniale ou dans des missions catholiques de la même origine. Les villages, malgré leur résistance, ont difficile à y faire face.

Pourtant,  nos villages sont des hauts lieux de connaissance et de vie. Dans de nombreux domaines, ils ont accumulé une expérience qui remonte à des milliers d’années. C’est pour cela qu’ils sont le premier signe et le premier lieu de notre civilisation, c’est-à-dire de notre indépendance vis-à-vis de la nature tout en continuant à y vivre.

En effet, longtemps après la naissance de nos premiers ancêtres, le développement du cerveau leur a permis de trouver de solutions de sécurité pour leur stabilité. La construction des villages fut l’une d’elle. Elle est intervenue après le besoin ressenti par les populations, qui étaient nomades, d’enterrer les morts auparavant abandonnés sans sépulture. Inhumer les morts, les membres des familles proches, revenait à les maintenir présents auprès des vivants. Ce qui était vrai car les vivants bénéficiaient de leur travail et découvertes. Leur vie et leurs langues provenait des Anciens. Aussi, leur offrir une tombe, une demeure éternelle, était une façon de rester en communion avec eux, une façon de les honorer. Le besoin d’ensevelir les morts a engendré celui de vivre auprès d’eux. Et c’est de là que sont nés les villages. C’est pour cette raison que dans nos villages les cimetières sont soignés. 

La construction des villages, dont les plus anciens datent de plus de 1.500.000 ans (Dr Louis Leakey) assurait la sécurité. C’est ce qui a permis la croissance de la population depuis lors jusqu’à nos jours. En effet, dans des villages étaient construites des maisons qui mettaient fin à la vie errante des grottes, sous des arbres ou à la belle étoile. La maison permettait de se mettre à l’abri des fauves, des serpents, des scorpions et de toutes les bêtes dangereuses, également des intempéries.

Ces villages rassemblaient plusieurs personnes qui vivaient ensemble et qui pouvaient échanger plus facilement. Ce qui a permis l’émergence de la science et des techniques nouvelles autres que la cueillette : agriculture, élevage, métallurgie, art. Ces activités sont les gages de notre civilisation ancestrale. Car nos ancêtres ont les premiers mis en œuvre ces pratiques libératrices. Grâce à elles, ils n’étaient plus à la merci de la nature et de ses aléas. Ils pouvaient constituer des réserves et vivre aisément quand bien même la nature ne pouvait pas à l’instant répondre à leurs besoins immédiats. C’est ainsi que sont nés les greniers et les garde-mangers connus chez nos ancêtres.

Grâce à ces assurances retrouvées, les villages traditionnels, Mboka/Bwala/Lal, ont commencé à grossir et c’est ainsi que sont nées les villes. Car contrairement à une certaine opinion, nos ancêtres avaient des villes. Les Bakongo, Balunda, Bachokwe, Baluba, Bakuba, Babangi, etc., avaient des villes. C’était aussi le cas ailleurs en Afrique. Quand les Portugais étaient arrivés chez nous et ailleurs en Afrique, ils avaient rencontré de nombreuses villes très peuplées. La côte orientale et le bassin du Niger en alignaient de dizaines. Mais les colons avaient vite fait de les éliminer toutes pour implanter les leurs.

J’estime donc que dans la controverse qui oppose les Congolais concernant le modèle de développement à adopter, le choix de celui des ancêtres s’impose. Car ce modèle est endogène, adapté et millénaire. Ce serait pour nous un manque de sagesse que de faire de notre pays, le Congo des villes coloniales contre celui des villages ancestraux. Il ne s’agit pas de chercher un équilibre qui n’a pas de raison d’être, mais plutôt de moderniser nos villages suivant le souhait même de la population. Cela veut dire que nos villes actuelles ne devraient plus être de structure coloniale opposée aux Congolais, mais des villes villageoises, véritablement africaines, des villes adaptées à notre modèle ancestral.

La modernisation exclusive de la Gombe au détriment de toute la ville de Kinshasa ou des autres dits centres-villes contre l’ensemble du pays, c’est-à-dire les quartiers populaires et les villages, modernise et donne des béquilles la colonisation. Cela crée des fractures sociales et hypothèque l’unité nationale. Il est temps de nous ressaisir pour construire Mboka Kongo suivant notre modèle ancestral.

C’est le vœu de notre population exprimé régulièrement par nos musiciens depuis Grand Kallé,  lui-même,  en passant par Docteur Nico Kasanda, Lwambo Makiadi, Rochereau Tabu-Ley, Zaïko et tous les autres.

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